1. Introduction

Nombreux sont ceux qui s’extasient devant les taux de croissance, parfois à deux chiffres, des pays dits « émergents ». Mais, comme le font remarquer certains économistes, l’économie de ces pays reste fragile et de nombreux obstacles ou difficultés demeurent. Pour François-Xavier Bellocq, « L’émergence, c’est la capacité d’un pays à transformer sa croissance en développement économique et social durable ». La comparaison entre le classement  économique mondial de pays comme la Chine, le Brésil et la Turquie et l’indice de développement humain (IDH) de ces derniers illustre cette affirmation. Ainsi, la Chine (2ème économie mondiale) a enregistré des taux de croissance allant de 8 % à 10,2 % entre les années 2000 et 2011 alors qu’elle se place au 101e rang pour l’IDH. Sur la période 2002-2011, la croissance a atteint en moyenne 3,8 % par an au Brésil, qui occupe la 6ème place dans le classement économique mondial mais qui est seulement au 85ème rang pour l’IDH. La Turquie, qui a connu un taux de croissance de 6,2 % entre les années 2000 et 2008 (chute de ce taux en 2009), se place au 90ème rang mondial pour l’IDH.

 

2. Ne pas confondre croissance et développement

« La croissance n’est pas le développement » (Jacques Généreux)

Plusieurs auteurs et chercheurs mettent en garde ceux qui croient à tort que  développement et croissance sont synonymes. Le développement ne doit pas être confondu avec la croissance c’est-à-dire qu’il peut y avoir croissance sans développement.

François Perroux définit d’une part la croissance « comme une augmentation pendant une ou plusieurs périodes longues d’un indicateur de dimension, le produit global net calculé en termes réels » et d’autre part le développement comme « l’ensemble des transformations des structures économiques, sociales, institutionnelles et démographiques qui accompagnent la croissance, la rendent durable et, en général, améliorent les conditions de vie de la population ». Cette définition du développement met l’accent sur deux aspects essentiels : si la croissance peut se réaliser sans forcément entraîner le développement (partage très inégalitaire des richesses, captation des fruits de la croissance par l’élite en place au détriment du reste de la population, etc.), il existe cependant une forte interdépendance entre croissance et développement.

Le développement économique englobe des bouleversements plus grands que le simple processus de croissance économique : le développement est par nature un phénomène qualitatif de transformation sociétale alors que la croissance est seulement un phénomène quantitatif d’accumulation de richesses.

Le Programme des Nations-Unies pour le Développement (PNUD) définit le développement comme le fait « d’élargir l’éventail des possibilités offertes aux hommes ». En outre, un des messages clés transmis par les rapports successifs du PNUD est « que le développement humain ne se confond pas avec la croissance économique, et que de gros progrès sont possibles même sans croissance économique rapide ».

3. Exemples par pays

Les investisseurs des pays développés se ruent sur les fonds des pays émergents qui connaissent un fort taux de croissance. Mais si l’on se réfère aux statistiques vitales de ces pays comme le Brésil, la Chine, ou la Turquie, on se rend compte qu’ils sont nombreux à connaître des problèmes.

Tableau : Quelques indicateurs de croissance et de développement en 2012

Pays Rang IDH Valeur IDH Espérance de vie
à la naissance années
Durée moyenne
de scolarisation
années
PIB/habitant
$ PPA constant 2005
Différence de classement
entre RNB par tête et IDH*
Brésil 85 0,730 73,5 7,2 10 278 -7
Chine 101 0,699 73,5 7,5 7 418 -11
Turquie 90 0,722 74 6,5 13 466 -32
Moyenne OCDE   0,888 80   30 765  


* Note de lecture : Plus la différence est négative, moins il y a corrélation entre croissance et développement. Dans l’exemple de la Turquie, il y a 32 rangs d’écart entre le classement mondial pour le revenu national brut (RNB) par tête (où la Turquie occupe le 58ème rang) et le rang mondial pour l’IDH (90ème).
Source : PNUD

3.1 La Chine

La croissance du PIB au cours de ces dernières années fait rêver certains. Mais quid des indicateurs de développement ? Le PIB total de la Chine est au deuxième rang mondial alors que son PIB par habitant la situe dans les pays en développement. Son IDH est de 0,699 contre 0,655 pour les pays en développement. Exprimées en pourcentage du PIB, les dépenses publiques pour l’éducation et la santé sont très inférieures à celles de presque tous les pays de l’OCDE mais aussi à celles de la plupart des pays en développement comparables. Pour l’éducation par exemple, elles représentent 3 % du PIB contre 4 % en moyenne pour les PED et la Chine ne se classe que 104ème du point de vue du taux de scolarisation dans le secondaire. Avec un indice Gini s'élevant à 0,61 en 2010 selon le Centre d'enquête et de recherche sur les revenus des ménages, la Chine devient un des pays les plus inégalitaires du monde. Ces inégalités sociales deviennent dangereuses pour le développement et la stabilité de l’économie de la Chine. La Chine rivalise avec les États-Unis pour la position de première puissance économique mondiale à l’horizon 2030, mais son revenu par habitant sera encore trois fois inférieur à celui des Américains.

3.2 Le Brésil


L’écart de PIB par habitant entre le Brésil et les pays de l’OCDE est en train de se réduire, mais il demeure ample et s’explique dans une large mesure par une productivité de la main-d’œuvre relativement faible, due en partie à des taux d’investissement assez bas. Cette insuffisance du taux de l’investissement de l’économie (19,3 % du PIB contre 46 % par exemple en Chine) se traduit notamment par la faiblesse des infrastructures. Le coefficient de Gini s’élève à 0,6 et révèle un pays très inégalitaire.

3.3 La Turquie


Des pays comme la Turquie sont confrontés à la difficulté de concilier leur essor économique avec le progrès environnemental et social, autrement dit de parvenir à un développement durable. En Turquie, le revenu par habitant est le plus bas des pays de l’OCDE. L’important écart par rapport à la moyenne supérieure des pays de l’OCDE résulte du faible niveau tant de la productivité du travail que de l’utilisation de la main-d’œuvre. Une croissance durable en faveur du développement passe par une réduction des inégalités sociales, très élevées et très peu rééquilibrées par l’impôt et la redistribution, comme le montre l’indice de Gini évalué à 0,436, l’un des plus élevés de l’OCDE. Le différentiel de classement entre RNB par tête et IDH est l’un des plus élevé au monde et affiche -32.  Dans le classement des pays de l’OCDE selon l’espérance de vie scolaire, la Turquie arrive dernière du classement (voir tableau).

4. Glossaire

Classement selon le RNB par habitant moins classement à l’IDH : Différence entre le classement selon le RNB par habitant et le classement à l’IDH. Une valeur négative indique que le pays est mieux classé selon le RNB qu’en fonction de l’IDH. (Source INSEE).

Durée moyenne de scolarisation : Nombre moyen d’années d’éducation dispensées aux personnes âgées de 25 ans et plus, d’après les niveaux d’éducation de la population convertis en années de scolarisation sur la base des données théoriques de chaque niveau d’enseignement suivi.

Indice de développement humain : Indicateur élaboré par le PNUD et utilisé depuis 1990, qui combine trois éléments :
-    l’espérance de vie à la naissance ;
-    le niveau d’instruction, mesuré par le taux d’alphabétisation des adultes (pour 2/3) et le taux brut de scolarisation tous niveaux confondus (pour 1/3) ;
-    le revenu mesuré par le PIB réel par habitant.

Indice Gini : L'indice (ou coefficient) de Gini est un indicateur synthétique d'inégalités de salaires (de revenus, de niveaux de vie...). Il varie entre 0 et 1. Il est égal à 0 dans une situation d'égalité parfaite où tous les salaires, les revenus, les niveaux de vie... seraient égaux. A l'autre extrême, il est égal à 1 dans une situation la plus inégalitaire possible, celle où tous les salaires (les revenus, les niveaux de vie...) sauf un seraient nuls. Entre 0 et 1, l'inégalité est d'autant plus forte que l'indice de Gini est élevé.

Produit intérieur brut (PIB) : Agrégat représentant le résultat final de l’activité de production des unités productrices résidentes.
Note : le PIB peut se définir de trois manières ;
-    le PIB est égal à la somme des valeurs ajoutées brutes des différents secteurs institutionnels ou des différentes branches d’activité, augmentée des impôts moins les subventions sur les produits ;
-    le PIB est égal à la somme des emplois finals intérieurs de biens et de services (consommation finale effective, formation brute de capital fixe, variation de stocks), plus les exportations, moins les importations ;
-    le PIB est égal à la somme des emplois des comptes d’exploitation des secteurs institutionnels : rémunération des salariés, impôts sur la production et les importations moins les subventions, excédent brut d’exploitation et revenu mixte. (Source : INSEE).

Programme des Nations-Unies pour le Développement (PNUD) : Réseau mondial de développement dont dispose les Nations Unies, qui aide les gouvernements à identifier leurs propres solutions aux défis nationaux et mondiaux auxquels ils sont confrontés en matière de développement.
Note : Le PNUD est né de la fusion du Programme élargi d'assistance technique des Nations Unies créé en 1949, et du Fonds Spécial des Nations Unies, mis en place en 1958. Le PNUD, tel qu'on le connaît aujourd'hui, a été établi par l'Assemblée générale des Nations Unies en 1965.

Volatilité : Amplitude de variation d’un titre, d’un fonds, d’un marché ou d’un indice sur une période donnée.


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