La conjoncture actuelle est favorable aux grands groupes du CAC 40 qui retrouvent des niveaux de bénéfices qu’ils ne connaissaient plus depuis cinq ans grâce au retour  d’un taux  euro/dollar réaliste et des cours du pétrole à 30 $ US. Ces grandes entreprises sont portées par leur implantation internationale et échappent à la faible croissance française. La réussite du CAC 40 et de nombres d’ETI et de PME innovantes et mondialisées masque les problèmes centraux de notre économie dont  le taux de chômage n’est qu’un indicateur.

Le problème de la marge des entreprises françaises qui est en moyenne de 20 points inférieure à celle de leurs homologues allemandes est central car il conditionne  la rentabilité des entreprises opérant sur le territoire national. Ce taux de marge qui met les PME françaises en difficulté par rapport aux PME allemandes ne favorise ni l’emploi ni les investissements. La création du CICE ne réduit que de 50 % la fracture franco-allemande en termes de marge opérationnelle. L’excès de charges pesant sur les opérateurs hexagonaux est le nœud gordien qui conditionne le retour à la croissance car malgré un environnement favorable (euro et prix des matières premières) la croissance n’est pas de retour à la différence de nos partenaires européens. Par ailleurs l’instabilité fiscale et le niveau d’imposition des plus-values de cession n’attirent pas les investisseurs dans l’hexagone.

Un autre des points à améliorer pour renforcer la compétitivité des entreprises ne concerne pas seulement le développement de la capacité à innover mais le développement de la capacité à négocier avec les salariés et les partenaires sociaux. La mobilisation et la motivation des personnels constituent un défi pour nombre de managers. La revalorisation de la fonction ressources humaines est essentielle pour favoriser l’émergence d’entreprises plus décentralisées, plus créatives et responsabilisantes. Ce n’est pas un hasard si le concept d’entreprise libérée promu par « Goretex ou Whole foods market » aux Etats- Unis depuis près de 30 ans fait le titre d’ouvrages parmi les plus vendus dans les rayons management des librairies.

L’agriculture est en crise depuis de nombreuses années et les ventes de vins et de spiritueux ne peuvent masquer la situation difficile des éleveurs ou des céréaliers compte tenu de la fin de la politique des quotas au niveau européen. Cette crise larvée et durable souligne les carences de la politique agricole française en matière d’anticipation et d’adaptation aux changements induits par la libéralisation des marchés. La « Nouvelle France agricole ou NFA » n’a pas encore véritablement émergé par manque d’une réflexion stratégique sur un nouveau modèle d’agriculture plus rémunérateur pour les exploitants et par une carence en investissements d’accompagnement requis. Cependant les circuits courts et les cultures biologiques sont en plein développement et porteurs de futur pour façonner une nouvelle agriculture.

Le niveau du chômage actuel avec plus de 3,5 millions d’inscrits en catégorie A et près de 5, 5 millions de chômeurs en catégorie A, B, C caractérise l’économie française. La probabilité de réduction de ces chiffres sur le court terme est faible et la décrue ne se fera que sur 2 à 5 ans si les conditions s’y prêtent.

La sortie du tunnel pour l’économie française et le marché de l’emploi ne seront réalisables qu’à travers des réformes profondes concernant le niveau des charges pesant sur les entreprises françaises et la mise en place d’une fiscalité réaliste et stabilisée dans le temps. Ces choix devront accompagner la mise en place de la « Nouvelle France industrielle ou NFI » initiée par l’ancien Ministre de l’économie et du redressement productif avec 330 projets lancés à fin 2014.

Cette NFI a abordé une deuxième étape en mai 2015 sous l’orientation du Ministre actuel de l’Economie, Emmanuel Macron, et sous la forme de neuf solutions pour l’Industrie du Futur soutenues par 3, 4 milliards € d’investissements publics : Nouvelles ressources, Villes durables, Mobilité écologique, Transports de demain, Economie des données, Médecine du futur, Objets intelligents, Confiance numérique, alimentation intelligente. Dans ce nouveau cadre les entreprises et les pôles de compétitivité devraient trouver de nouveaux espaces de croissance.

Les entreprises qui investissent dans la modernisation de leurs capacités de production bénéficient de 2,5 milliards € d’avantage fiscal au cours des douze prochains mois et de 2,1 milliards € de prêts de développement supplémentaires distribués par Bpifrance aux PME et ETI au cours des deux prochaines années.

Le périmètre et la gouvernance du projet « Industrie du Futur » ont été conçus pour s’interfacer naturellement avec la plateforme « Industrie 4.0 » allemande. Cette coopération s’incarnera dans des projets communs, des projets pilotes ou de développements technologiques, qui seront présentés dans le cadre du plan d’investissement européen.

La montée en puissance de la « Nouvelle France Industrielle » se fera sur le moyen terme et la période transitoire jusqu’en 2020 restera probablement une période de croissance faible en attendant que le plan investissement du futur produise ses effets sur la croissance.

La transition n’est pas seulement énergétique depuis les accords de Grenelle et après la COP 21  mais repose également sur la formation de personnels préparés aux défis des nouvelles technologies, aux nouveaux métiers à acquérir et aux compétences à développer comme la capacité à négocier avec les partenaires sociaux. Les Centres et Instituts de formation tout comme les Universités et les Grandes Ecoles ont un rôle clé à jouer dans ce redéploiement ou se joue la survie de l’industrie française dans le XXI ème siècle.

La réussite de cette phase de transition est ce qu’était le passage du Cap Horn aux grands voiliers il y a plus d’un siècle : des moments difficiles et périlleux sur des mers hachées par les vagues énormes en provenance des 50 èmes rugissants, avant de retrouver les eaux moins turbulentes de l’Atlantique  ou du Pacifique Sud.

Daniel Bretonès                            2 février 2016