Le numérique est un secteur particulièrement lucratif. Ainsi, en 2030 un dollar sur cinq sera généré, au niveau mondial, par le secteur des TIC (source : ARCEP). Il en résulte une intensification de la concurrence entre les géants du secteur comme Google, Apple, Yahoo, Amazon, Facebook, etc. Mais qu'en est-il de ces géants du numérique et de la fiscalité ?

 

1. Problématique: le manque à gagner

Les géants du numérique profitent, comme toutes les multinationales, des failles des systèmes fiscaux pour pratiquer une optimisation fiscale réduisant drastiquement leur taux d’imposition. Selon une étude du Cabinet Greenwich Consulting pour la Fédération Française des Télécoms, les GAFA (Google, Apple, Facebook et Amazon) + Microsoft auraient payé 22 fois plus d’impôt sur les sociétés si leurs activités de production étaient localisées et taxées en France et non en Irlande, soit 828 millions d'euros au lieu de 37,5 millions. Apple n’a payé que 6,7 millions d’euros d’impôts en France au titre de l’impôt sur les bénéfices, pour un chiffre d’affaires estimé à 3,5 milliards d’euros.

Au total, les gains de productivité générés par l'économie numérique ne se traduisent pas par des recettes supplémentaires pour les grands Etats.

2. Analyse conceptuelle

L'optimisation fiscale consiste à utiliser tous les moyens légaux disponibles pour réduire la charge fiscale. Elle se distingue de la fraude fiscale.Il existe de nombreux exemples d'optimisation fiscale :
· non facturation de certaines ventes en France ;
· manipulation des prix de transfert ;
· le « double irlandais » et le « sandwich hollandais , illustrés par le schéma ci-après :

double irlandais

3. Les réactions face à l’évasion fiscale dans le secteur du numérique

3.1 Les réactions en France
· Le rapport de Pierre Collin et Nicolas Colin de janvier 2013 dresse un état des lieux et émet des propositions de nouvelles règles fiscales;
· Le 10 septembre 2013, le Conseil national du numérique a remis au Gouvernement un rapport sur la fiscalité du numérique. Celui-ci préconise d'agir au niveau international pour adapter la fiscalité à la transformation numérique, de renforcer la transparence et les contrôles, d'éviter de mettre en œuvre unilatéralement et immédiatement une taxe nationale spécifique au numérique et enfin de déployer une stratégie industrielle numérique européenne.
· Le 9 mars 2015, France Stratégie, instance de réflexion auprès du Premier ministre, a publié son rapport sur la fiscalité du numérique. Ce rapport, fruit des réflexions d'un groupe de chercheurs des Ecoles d’économie de Paris, de Toulouse (TSE) et de l’Institut Mines-Télécom, piloté par Francis Bloch (Université Paris-I), est disponible sur le site www.strategie.gouv.fr. Les auteurs du rapport mettent tout d'abord l'accent sur les spécificités de l'économie numérique et les nouvelles difficultés de la fiscalité qui en résultent.

a) Les spécificités de l'économie numérique ...
→ La non-localisation des activités;
→ Des externalités de réseau importantes;
→ L'exploitation et la monétisation des données personnelles à grande échelle;
→ Les entreprises du numérique jouent souvent un rôle de plateforme sur un marché « biface », avec d'un côté des internautes et de l'autre des entreprises.

economie numerique

b) ... et les nouvelles difficultés de la fiscalité
→ Première difficulté : l'optimisation fiscale eu égard au caractère immatériel des activités et à la difficulté à définir le territoire concerné par les opérations de production;
→ Deuxième difficulté : l'érosion des recettes fiscales;
→ Troisième difficulté : la concurrence est faussée. A partir des modèles théoriques élaborés par les chercheurs, l'étude de France Stratégie propose des pistes pour mieux « taxer » les géants du numérique.

c) Les pistes suggérées pour une meilleure "taxation" des géants du numérique
→ 1ère piste : l'instauration d’une taxe sur les revenus publicitaires des entreprises;
→ 2ème piste : la mise en place d’une taxe unitaire, fondée sur l’activité de la plate-forme, mesurée par le nombre d’utilisateurs sur le territoire national (annonceurs ou internautes) ou par le flux de données échangées.
→ 3ème piste : la différenciation du taux d’imposition en fonction de l’origine des revenus. Il s’agirait d’appliquer « un taux plus faible pour les revenus produits par le simple accès au site (vente, recettes publicitaires liées à un mot-clé de recherche) que pour ceux générés grâce à des données stockées (revente de données sur les recherches à des tiers, stockage de données de vente pour une tarification ou une publicité ciblée).

3.2  Les réactions au niveau européen
La Commission européenne suggère la notion « d'assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés » (ACCIS) qui est un ensemble unique de règles de détermination du résultat imposable, susceptibles d’être utilisées par les sociétés exerçant leur activité au sein de l'UE.

3.3 Les réactions au niveau international
L'OCDE a conduit de nombreux travaux sur la fiscalité du numérique dont le projet « Erosion de la base d’imposition et transfert de bénéfices (« Base Erosion and Profit Shifting »/BEPS)». Les ministres des Finances du G20 ont demandé à l’OCDE d’élaborer un plan d’action devant apporter des réponses coordonnées et globales au problème de l’érosion de la base d’imposition et du transfert de bénéfices, c’est-à-dire donner aux pays les instruments nationaux et internationaux permettant de mieux aligner les droits d’imposition sur l’activité économique. L'idée d'imposer là où la valeur est créée a été mise en exergue.

4. Glossaire

"Double irlandais" et "sandwich hollandais" : Technique qui consiste en substance à réduire l'impôt en acheminant les bénéfices vers un paradis fiscal, par l'intermédiaire de filiales irlandaises et hollandaises.

Erosion de la base d’imposition et transfert de bénéfices : Stratégie de planification fiscale qui exploite les failles et les différences dans les règles fiscales en vue de faire « disparaître » des bénéfices à des fins fiscales ou de les transférer dans des pays ou territoires où l’entreprise n’exerce guère d’activité réelle, mais où ils sont faiblement taxés, ce qui aboutit à une charge fiscale faible ou nulle pour l’entreprise.

Externalité de réseau : Situation dans laquelle la fonction d’utilité pour un consommateur dépend (généralement dans un sens positif) de la consommation du même bien ou service par les autres consommateurs (Katz et Shapiro, 1985).

GAFA : Acronyme pour désigner les principales entreprises du numérique (Google, Apple, Facebook et Amazon).

Marché biface : Marché qui met en relation deux groupes d’agents qui ont des gains potentiels à interagir.
Note : Une plateforme ou un intermédiaire rend possible ou facilite les transactions (en réduisant leur coût). (Source : Autorité de la concurrence).

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