Aujourd'hui, le taux d'imposition moyen effectif dans l'Union européenne pour les entreprises traditionnelles est évaluée par la Commission européenne à 23% contre 9,5% pour les multinationales du numérique. Ces géants du numérique profitent, comme toutes les multinationales, des failles des systèmes fiscaux pour pratiquer une optimisation fiscale réduisant drastiquement leur taux d’imposition.

Ainsi, dans un document évoquant les mesures destinées à fixer plus fortement les GAFA (Google, Apple, Facebook et Amazon) la Commission européenne révèle que les grands groupes paient moins de la moitié du montant des impôts acquittés par les entreprises traditionnelles. Par ailleurs, selon une étude du Cabinet Greenwich Consulting commandé par le Sénat français, les GAFA plus Microsoft ont payé en moyenne 22 fois moins d’impôt en 2011 que ce qu'ils auraient dû normalement débourser. Enfin, en 2015 la filiale française de Google a déclaré au fisc français un chiffre d'affaires de seulement 248 millions d'euros, un montant très inférieur à ses revenus réels estimés à environ 2 milliards d'euros. Concernant le géant Apple, ce dernier n’a payé que 7 M d’euros d’impôts en France au titre de l’impôt sur les bénéfices, pour un chiffre d’affaires estimé à 3,5 Mds d’euros en 2014 (CA déclaré : 52,4 M).

Un rapport de France Stratégie, publié le 9 mars 2015 et qui est le fruit des réflexions "des chercheurs des Écoles d’économie de Paris (PSE), de Toulouse (TSE) et de l’Institut Mines-Telecom", met entre autres l'accent sur les spécificités de l'économie numérique et sur les problèmes d'optimisation fiscale pour expliquer l'évasion fiscale qui en résulte.

1. Les spécificités de l'économie numérique

  • La non-localisation des activités : les géants du numérique proposant des services à distance via internet, il est difficile de les localiser.
  • Le rôle de plateforme sur un marché « biface » qui met en contact internautes et entreprises.
  • Une économie dominée par les effets de réseau ou externalités positives de réseau : l’utilité retirée d’un service en réseau dépend positivement du nombre d’utilisateurs de ce service (voir Katz et Shapiro).
  • Une exploitation des données personnelles à grande échelle et une monétisation de ces données. D’abord gratuites, la plupart des données sont maintenant payantes et constituent l’actif principal d’entreprises comme Google ou Facebook. Alors que les organisations produisaient et utilisaient jusqu’à maintenant leurs propres données, des  courtiers en données (« data brokers ») revendent aujourd’hui les données d’entreprises ou encore de l’Etat à divers acteurs.

 2. L'optimisation fiscale

L’optimisation fiscale se distingue de la fraude fiscale en ce qu’elle consiste à utiliser tous les moyens légaux disponibles pour réduire la charge fiscale.

Quelques exemples d'optimisation fiscale :

  • Exemple de la TVA dans les ventes en ligne. La très forte croissance du commerce en ligne s'est accompagnée d'une perte de recettes fiscales pour les pays de consommation. En effet, contrairement aux biens physiques, où la TVA doit être payée dans le pays de consommation, les biens dématérialisés peuvent être facturés n’importe où. Dès lors, les plateformes ont eu tendance à facturer leurs ventes depuis les Etats où les taux de TVA sont plus faibles.
  • La manipulation des prix de transfert - les prix auxquels les filiales d'une entreprise se vendent des biens et des services - constitue l'une des stratégies phares d'optimisation fiscale des multinationales pour transférer leurs bénéfices dans les pays où la fiscalité est plus avantageuse. Ainsi, lors de la vente d'un bien par exemple, une entreprise française peut facturer à sa filiale étrangère, localisée dans un pays où le système fiscal est avantageux, un prix inférieur au prix de marché, pour minorer ses bénéfices en France et partant limiter son impôt sur les bénéfices. L'application d'un prix de transfert plus bas que le prix de marché n'est pas une pratique illégale.
  • Autre exemple : le « double irlandais » et le « sandwich hollandais » qui consiste en substance à réduire l'impôt en acheminant les bénéfices vers un paradis fiscal, par l'intermédiaire des filiales irlandaises et hollandaises.

 double irlandais et sandwich hollandais

3. L'Europe et la taxation des géants du numérique

La Commission européenne (CE), qui prévoyait de taxer dans un premier temps à 3% le chiffre d'affaires des GAFA avant de mettre en place un système plus raffiné dans lequel la taxe payée par chaque entreprise serait fonction du nombre de ses utilisateurs dans chaque pays, a présenté son texte le 21 mars 2018.

Ce projet touchant à la fiscalité et soutenu par la France, l'Italie et l'Espagne, doit être approuvé à l'unanimité des Etats membres. Or, les ministres des Finances de plusieurs pays européens, comme  l'Irlande, les Pays-Bas, La Suède, le Danemark, le Luxembourg, la République Tchèque et Malte l'ont contesté lors d'une séance de travail de l'Eurogroupe qui a eu lieu à Sofia le samedi 28 avril 2018. Ils recommandent d'attendre que l'OCDE finalise son projet "Erosion de la base d’imposition et transfert de bénéfices" (« Base Erosion and Profit Shifting » /BEPS) à portée mondiale avant de prendre une décision. De son côté, l'Allemagne se montre prudente et s'interroge sur la pertinence de taxer le chiffre d'affaires alors que les entreprises sont habituellement imposées sur leurs bénéfices.

Au total, la taxation des GAFA continue de diviser l'Europe.

4. Glossaire

Effet de réseau ou externalité de réseau : Situation dans laquelle la fonction d’utilité pour un consommateur dépend (généralement dans un sens positif) de la consommation du même bien ou service par les autres consommateurs (Katz et Shapiro, 1985).

Érosion de la base d’imposition et transfert de bénéfices (« Base Erosion and Profit Shifting » /BEPS) : Stratégie de planification fiscale qui exploite les failles et les différences dans les règles fiscales en vue de faire « disparaître » des bénéfices à des fins fiscales ou de les transférer dans des pays ou territoires où l’entreprise n’exerce guère d’activité réelle, mais où ils sont faiblement taxés, ce qui aboutit à une charge fiscale faible ou nulle pour l’entreprise.

GAFA : Acronyme pour désigner les principales entreprises du numérique (Google, Apple, Facebook et Amazon).

Plateforme numérique : "Service occupant une fonction d’intermédiaire dans l’accès aux informations, contenus, services ou biens édités ou fournis par des tiers" (Source : Conseil national du numérique).

Prix de transfert : Prix des transactions entre sociétés d'un même groupe et résidentes d'Etats différents.

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