Phénomène social à multiples facettes dont la complexité n'est plus à démontrer, l'impôt fait partie intégrante de la vie publique et rythme tous les instants de la vie du citoyen. Il occupe aujourd'hui une place prépondérante au sein des "prélèvements obligatoires". A la suite de Gaston Jèze, il est désormais classique de définir l'impôt comme "une prestation pécuniaire, requise des particuliers par voie d'autorité, à titre définitif et sans contrepartie, en vue de la couverture des charges publiques".

Dans un contexte de réforme et de concurrence fiscale en Europe, le Conseil des impôts, qui a été remplacé par le Conseil des prélèvements obligatoires en 2005 (voir glossaire), proposait quatre orientations principales concernant l'imposition des revenus dans un rapport publié en 2000 :

  • la consolidation d'une imposition des revenus à deux branches;
  • l'imposition des revenus de l'année en cours comme la mise en place d'une retenue à la source sur les salaires et les pensions;
  • l'intégration de l'abattement de 20% et l'allègement du barème de l'impôt sur le revenu tout en réduisant les dépenses fiscales pour élargir l'assiette de l'impôt;
  • la modernisation des relations des contribuables avec l'administration fiscale.

Parmi ces propositions, la France a choisi de mettre en place le prélèvement à la source de l'impôt sur le revenu qui doit entrer en vigueur au 1er janvier 2019, conformément à l'ordonnance n° 2017-1390 du 22 septembre 2017. La question se pose alors de savoir quels sont les défis de ce nouveau régime fiscal.

1. Analyse conceptuelle de l'impôt à la source

L'INSEE définit le prélèvement ou retenue à la source comme un "mode de recouvrement de l'impôt, consistant à faire prélever son montant par un tiers payeur, le plus souvent l'employeur ou le banquier, au moment du versement au contribuable des revenus sur lesquels porte l'impôt". L'Administration suisse, quant à elle, indique que le prélèvement à la source est une "procédure suivant laquelle le débiteur d'une prestation représentant un revenu imposable pour son bénéficiaire déduit directement l'impôt dû sur cette prestation et le verse ensuite aux autorités fiscales".

2. Quelques exemples étrangers

La retenue à la source de l'impôt s'est généralisée dans la plupart des pays développés à l'exception de la Suisse et de Singapour. En Suisse, seuls les travailleurs étrangers qui ne sont pas titulaires d'un permis C (autorisation d'établissement) ainsi que ceux qui ne sont pas domiciliés fiscalement en Suisse et qui perçoivent un revenu issue d'une activité exercée en Suisse (frontaliers, artistes, sportifs, etc.) sont soumis à l'impôt à la source. A Singapour, les revenus ne son pas imposés à la source et sont payables en plusieurs versements.

Le Canada est pionnier pour le prélèvement de l'impôt à la source puisqu'il l'a mis en place en 1917. L'Allemagne a suivi et depuis 1925 les employeurs sont chargés de prélever directement l'impôt à la source sur le salaire de leurs salariés avant de le reverser aux administrations fiscales des Länder. Les revenus du capital sont également prélevés à la source par les banques et autres organismes financiers. Seuls les indépendants échappent à ce type de recouvrement d'impôt. Ils sont les seuls à déclarer les revenus de l'année précédente et à payer leurs impôts tous les trimestres. En Grande Bretagne, tous les revenus sont prélevés à la source. Les salariés sont taxés individuellement et non par foyer ou par couple et les sommes dues sont prélevées mensuellement par les employeurs. Les banques ou institutions financières sont chargées de prélever à la source l'impôt sur les revenus du capital.

En 2012, une inspectrice des finances du Conseil des prélèvements obligatoires a réalisé une comparaison internationale des pays qui pratiquent déjà l'impôt à la source. Au Royaume-Uni, en Nouvelle Zélande ou au Danemark, l'impôt est totalement individualisé. Ni la situation conjugale, ni les enfants à charge ne sont pris en compte dans le calcul de l'impôt sur le revenu. Le travailleur salarié n'est pas obligé de faire une déclaration. Au Canada, en Allemagne ou en Belgique, les entreprises sont informées de la situation familiale. En Irlande et aux Pays-Bas, il existe un système intermédiaire.

3. Le prélèvement à la source en France : les gagnants et les perdants

Le prélèvement à la source va constituer un énorme gain de trésorerie pour l'État dès lors que les crédits d'impôt et les réductions ne seront pas pris en compte dans le calcul du taux de prélèvement mensuel et seront déduits à posteriori. Ils feront l'objet d'une régularisation au mois de septembre de l'année suivante. Mais qu'en est-il des avantages pour les particuliers ?

D'aucuns pourraient penser tout d'abord que le prélèvement à la source va mieux répondre aux préoccupations des contribuables en simplifiant leurs démarches. Or, comme le démontre le rapport du Conseil des prélèvements obligatoires de février 2012, "le prélèvement à la source de l'impôt n'entraînerait pas une simplification sensible des démarches déclaratives qui incombent au contribuable, celles-ci dépendant du mode de calcul de l'impôt et non pas de son mode de recouvrement". En effet, la nécessité de remplir une déclaration subsiste, de même que celle d'informer l'administration des changements de situation intervenant en cours d'année ou de vérifier l'avis d'imposition assorti, le cas échéant, d'un appel de régularisation. Le prélèvement à la source ajoute de la complexité dans un pays où l'impôt n'est pas individualisé (coefficient conjugal, coefficient familial).

Une autre question qui se pose consiste à savoir si le prélèvement à la source favorise un ajustement plus rapide de l'impôt aux variations de revenu des contribuables. D'après le rapport précité de février 2012, l'effet attendu de retenue à la source concernant la prise en compte des variations de revenu des contribuables ne joue véritablement que dans le cadre d'une retenue à la source "parfaite" qui, "en permettant l'ajustement des taux d'imposition en temps réel et sans erreur permet de cumuler l'effet taux à l'assiette". Or, il a été démontré qu'une retenue à la source "parfaite" est complexe à bâtir dans le cadre du système fiscal actuel et comporte en contrepartie des inconvénients notamment en termes de coûts de gestion pour l'administration et/ou les tiers payeurs.

En outre, le passage à la retenue à la source va avoir des conséquences sociologiques et psychologiques problématiques. Et tout d'abord, il est indéniable que le prélèvement à la source va être à l'origine d'un choc psychologique. Comme le soulignaient Bernard Ducamin, Robert Baconnier et Raoul Briet en 1996 : "faire que des millions de salariés reçoivent, après le passage au nouveau système, une feuille de paye diminuée sensiblement et que l'ensemble des retraités reçoivent, au même moment, une pension significativement réduite nécessite d'être bien compris et accepté ; l'effet de ce choc peut être redoutable". Un des risques de ce choc psychologique pourrait être une baisse de la consommation. Ce n'est bien évidemment pas souhaitable car un recul de la consommation pourrait avoir un impact négatif sur la croissance économique. Dès lors, pour lutter contre ce choc psychologique, les trois ministres (travail, santé et comptes publics) qui ont signé l'arrêté du 9 mai 2018 (publié au Journal officiel le 12 mai) ont proposé d'inscrire en plus gros caractères le montant du salaire net avant impôt, aux dépens du net à payer, somme effectivement versée sur le compte. Ainsi, si le bulletin de paie est en caractère 12, le "Net à payer avant impôt sur le revenu" devra figurer en caractères 18.

Enfin, ce mode de recouvrement de l'impôt peut entraîner d'autres inconvénients comme des troubles dans les relations de travail. En effet, outre le problème de confidentialité, ce nouveau dispositif de recouvrement de l'impôt peut avoir des conséquences sur la politique salariale. Pourquoi augmenter un salarié alors que le conjoint est très aisé et pourquoi ne pas licencier en priorité un salarié dont le taux d'imposition plus élevé laisse supposer qu'il perçoit d'autres revenus.

Au total, il ne faut pas sous-estimer les problèmes délicats qu'une telle réforme va poser et qui expliquent qu'elle n'avait pas pu aboutir jusqu'à présent : transfert du coût de gestion de recouvrement vers les entreprises, dégradation potentielle des relations de travail, information de l'employeur sur les revenus du conjoint. Comme le souligne le Président de la Cour des comptes Didier Migaud dans son discours du 16 janvier 2012 : "tous les revenus ne se prêtent pas facilement à un impôt à la source ; calculer le taux d'imposition en temps réel est très difficile ; la protection de la confidentialité des informations transmises aux tiers-payeurs est indispensable et l'année de transition est problématique d'un point de vue fiscal". De même, dans un rapport du Conseil des prélèvements de février 2012, Didier Migaud conclut qu'en ce qui concerne la retenue à la source "la balance penche plus vers les inconvénients que les avantages".

4. Glossaire

Conseil des prélèvements obligatoires : Institution rattachée à la Cour des comptes, "chargée d'apprécier l'évolution et l'impact économique, social et budgétaire de l'ensemble des prélèvements obligatoires, ainsi que de formuler des recommandations sur toute question relative aux prélèvements obligatoires".

Principe du consentement à l'impôt : Principe selon lequel un impôt prélevé par l'État doit avoir été accepté par les représentants de la nation.

Crédit d'impôt : Disposition fiscale permettant aux ménages de déduire de leur impôt sur le revenu une partie ces dépenses occasionnées.

Foyer fiscal : Ensemble des personnes inscrites sur une même déclaration de revenus.

Quotient familial : Quotient qui indique le nombre de parts dont bénéficie un contribuable pour le calcul du montant de son impôt sur le revenu.

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