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Catégorie : Notes de conjoncture
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On parle constamment de la « domination » des Marchés. Par contre on critique tout le temps le rôle néfaste des Agences de Notations, leurs conflits d’intérêt (elles sont prises entre les sociétés qui les financent et l’obligation de donner un avis « objectif »). Or, si tout le monde a parfaitement conscience que ces deux mots « Marché » et « Notation » veulent dire (approximativement), personne n’en analyse le caractère réel. Il nous faut donc les étudier et voir comment on pourrait les aménager pour les rendre moins nocifs.

I. Les Marchés

Si l’on reprend la définition théorique du marché, c’est le LIEU où est confrontée une INFINITE d’ordres d’achat et de vente, émis par une infinité de donneurs d’ordres et ce, aussi bien à l’achat qu’à la vente.
Certes des spéculateurs ont cherché de tout temps à saboter le marché pour améliorer leurs profits. Le dernier cas le plus célèbre est la tentative des frères Hunt pour contrôler le marché de l’Argent. Leur échec est venu des ventes du public apportant, pour les faire fondre, pièces et autres objets en argent qu’ils détenaient. Plus récemment, il faut noter la tentative avortée de « corner » du Cuivre d’Yasuo Hamanaka de Sumitomo.
Mais à l’heure actuelle, les réglementations financières ont provoqué progressivement la détérioration structurelle de la notion de marché :

a) Depuis le XVIIIème siècle se sont créés, tout en les interdisant plus ou moins, des marchés de primes et options qui élargissaient le marché. Mais c’était, jusque dans les années 1970, un très modeste complément qui avait l’avantage d’élargir les marchés sans véritablement interférer avec les cotations.

b) Dès 1970, le Marché s’est forment modifié. La découverte qu’il était possible de gérer des fonds de façon automatique a permis de nouvelles techniques de «spéculation » : les « Program Tradings » et les « Portfolio Insurances » ont provoqué le krach de 1987 au point que les clients des grandes banques ont obligé celles-ci à réduire considérablement l’usage de ces techniques.
Dans le même temps, on a compris que des clients comme la « Veuve de Carpentras » avaient pour les banques un coût trop élevé. On a donc encouragé les individus à regrouper leurs fonds dans des opérations collectives directes (En France O.P.C.V.M.s) ou indirectes (Assurances, Fonds de Pensions et même Building Societies en Grande Bretagne), diminuant ainsi le nombre des opérateurs directs sur les marchés, mais réduisant de ce fait le caractère de concurrence pure et parfaite des marchés.
Le développement de l’analyse financière lui-même a eu pour effet d’uniformiser un peu les opinions des opérateurs par un effet de « mimétisme » un peu inquiétant.

c) Dans les années 90 un double phénomène est apparu aux Etats-Unis suivi assez vite en Europe :
 
i)    Richard Sandor ,professeur à Chicago a utilisé les techniques de marchés commerciaux en transformant les vieilles options américaines un peu semblables à celles pratiquées en France en « Nouvelles Options » et les opérations à découvert, en opérations « Futures » si elles se traitent sur le Marché et « Forwards »si elles se traitent de « gré à gré  » (O.T.C).
ii)    Banques et Brokers ont imaginé de développer des marchés en « concurrence  » avec les marchés officiels les « E.C.Ns ».

En Europe continentale, et pour des raisons techniques en Angleterre, les marchés officiels avaient conservé ce caractère de monopole qui assurait une certaine homogénéité des marchés .Certes on avait déjà créé des « marchés continus  » notion parfaitement valable pour les cotations des grandes valeurs mondiales, mais scandaleuse pour les valeurs de tout petit marché. La technique allemande d’après–guerre aurait pu servir de modèle : les valeurs très importantes étaient cotées toutes les heures, les valeurs secondaires une fois par jour, les valeurs  les moins importantes une fois par mois. Cela permettait de réunir un nombre suffisamment important d’ordres pour que les échanges soient assez « nourris » et qu’ainsi que les cours soient représentatifs de l’évaluation « psychologique » des entreprises.

d) « Enfin la directive « M.I.F.» vint. ». Un certain nombre de Banques essentiellement américaines s’étaient mal conduites et ont d’ailleurs été condamnées à payer des indemnités importantes. Mais pour « récompenser » ces Banques, Bruxelles a décidé, en leur faveur, la Directive M.I.F. permettant de casser définitivement les marchés. Ainsi les entreprises financières peuvent à leur gré traiter entre confrères (Marché OTC), sur des marchés privés dépendant des Grandes Banques Internationales (M.T.Fs) entre clients de banque (Crossing Networks) ou même servir de contrepartie à leurs clients (internalisation des ordres) et même enfin sur les marchés réglementés. (N.Y.S.E.Euronext n’effectue plus à New-York que 20 % des transactions sur valeurs U.S.).
Bien plus, pour améliorer la « transparence », on a inventé les « Dark Pools » où on autorise les opérateurs à ne donner aucune information ex ante et à « retarder » l’information ex post.
On a bien songé à un « léger succédané » la « Best Execution », mais  « heureusement » on lui a mis un grand nombre d’exceptions.
Dans le même temps, pour inciter le public à comprendre l’intérêt économique de la Bourse et par conséquent réduire les excès de spéculation, on a ouvert la boite de Pandore que sont les C.F.Ds, les C.D.S.s et surtout les « High Frequency Orders ». Ces derniers représentent maintenant 70 % du marché américain et plus de 40 % des marchés européens et produisent régulièrement des Krachs boursiers dont le plus important a été celui du 10 mai 2010, où certaines valeurs ont vu leur cours baisser temporairement de 99,99 %, et l’une monter à 100.000 dollars (Il paraît que l’on voudrait ainsi ramener la confiance sur les marchés).

e) Enfin « last but not least », on a « financiarisé » les marchés de matières premières en leur appliquant toutes les techniques des marchés « dérivés ». Ainsi, par exemple, la « position ouverte » en produits pétroliers atteint 50 fois la production annuelle et, à la différence des marchés du Cuivre ou de l’Argent, il n’y a pas de possibilités pour le public de « refournir » du pétrole au marché. Cela permet donc toutes les manipulations. Le Président de la C.F.T.C Américaine, Gary Geisler, essaye bien de limiter le nombre de contrats pétroliers qu’un opérateur a le droit de détenir, mais il se heurte à une telle opposition que sa décision est en fait « retardée ».

On voit ainsi que les marchés sont désormais facilement manipulables (même si cela demande des fonds énormes).
Prenons un exemple : comme le développement de la plupart des pays européens s’est fait avec un fort endettement, il est facile de les attaquer et l’on arrive à cette situation où l’Italie a une dette de 120 % de son PNB depuis 1991, sans que personne n’ait songé à la critiquer avant la période actuelle. De même, l’Angleterre a une dette plus forte que celle de l’Espagne et n’est nullement sous le feu des spéculateurs et celle du Japon dépasse les 200 % du PNB sans que personne ne remette en cause sa notation. En fait l’attaque des pays de la Zone Euro provient de la déception, rencontrée hors Europe des 17, de n’avoir pas pu régler rapidement le problème de la dette grecque, car l’image de l’Euro avait été un signal fort pour tout le Monde de la possibilité d’assurer un développement à plusieurs pays.

Aussi peut-on dire par cet exemple que les marchés reflètent des mouvements « moutonniers » le plus souvent illogiques et… on veut encore leur faire confiance.

II. Les agences de Notation

Les Agences de Notation répondent à un besoin : juger de la qualité d’une émission et du risque que courent les investisseurs, mais cela incite ces opérateurs à ne pas rechercher par eux-mêmes le risque que pourrait représenter une émission, et à se fier au jugement d’une Agence de Notation .Bien plus, certaines Institutions utilisent abusivement les décisions des Agences, car elles obligent leurs gérants à ne pas conserver les obligations qui aient un rating inférieur à une certaine définition « A + » par exemple. Si une société, dont le titre a un tel rating, le perd d’une « Notch », un grand nombre de sociétés sont obligées de vendre, provoquant de graves perturbations dans le marché de ces titres.
D’autre part les Agences sont faillibles. On connaît les erreurs commises sur les S.P.Vs des années 2007/2008 ; Plus récemment, l’abaissement du rating des Etats Unis a provoqué une baisse du taux long U.S. tandis que la conservation de l’AAA français n’a pas empêché une forte hausse de notre taux à 10 ans.

Aussi les autorités financières critiquent toutes cette domination des Agences de Notation.

III. Conclusion

Comment pourrait-on essayer de remédier à cette situation

On retrouve en fait la distinction entre :

-    « Industrie financière » dont le but est l’enrichissement des Institutions, enrichissement qui a un avantage : il permet de réduire le coût des opérations pour le public, et
-    le « Service » qui défend mieux l’épargne et favorise l’investissement des entreprises, surtout à un moment où les possibilités des banques et des Assurances sont réduites par Solvency II et Bâle 2,5 et 3.

Mais il y a des dérives importantes dans «  l’industrie financière ». Dans un livre remarquable publié en 2010 chez John Wiley (High Frequency trading) Irene Aldridge fait l’éloge des milliardaires qui ont pratiqué ces opérations et constate à un moment de son livre que l’on peut échouer dans une opération « si un autre trader A UNE MEILLEURE INFORMATION » ?, argument qui relève de la défense du droit à « l’information privilégiée ». Rien n’y est envisagé sur les conséquences des flash orders sur le comportement du marché.
Il ne s’agit pas de revenir au marché classique et d’interdire tout « Algorithme », mais il faut retrouver des règles pour supprimer les excès de ces nouvelles pratiques. Les mesures sont connues : lutte contre les ventes à découvert « naked », application de la technique Tobin pour éviter les multiplications d’ordres non exécutés et sans doute remettre en cause plus fortement qu’envisagé par MIF II, le MIF et les réglementations de Solvency et Bâle qui d’ailleurs ont été initiées par les Américains et qu’ils s’empressent…de reporter à une date ultérieure.

Au total ces mesures sont urgentes, surtout dans le contexte européen où existe un risque fort de déflation.