Le procès BNPPARIBAS est de nature différente des autres procès entamés par des procureurs américains contre des institutions financières. Dans le premier cas il s’agissait de pénaliser le laxisme du secteur bancaire américain qui a laissé le secteur bancaire immobilier détourner la loi Clinton sur les prêts dits « subprimes ». Cela en a entraîné une crise qui a ravagé le monde entier.
Dans  le deuxième cas, il s’agit d’une série d’opérations où des « traders » de diverses banques internationales se sont coalisés pour « manipuler » des indices et même le gigantesque marché des devises (plus de 4.000 Milliards /jour). Cette situation a été très grave dans la mesure où elle diminue considérablement la confiance que peut avoir le public dans la communauté financière.

Il n’en est pas de même de l’ « affaire BNPPARIBAS ». Sa filiale suisse a effectué des opérations financières avec des pays avec qui les relations commerciales étaient interdites par les Etats-Unis, mais non par les pays de la communauté européenne. Malheureusement pour la B.N.P. les transactions se sont faites en Dollars et le procureur argüe que le dollar étant monnaie « interne  »  de leur pays tout usage du dollar pour des opérations interdites aux U.S.A  les font considérer comme des opérations frauduleuses jugeables par les tribunaux Etatsuniens. Quelle que soit la solution du procès cette accusation pose un problème majeur : le dollar est-il la « Monnaie Internationale » ou au contraire une « Monnaie Locale » comme le Yen, le Yuan ou l’Euro. Pour essayer de répondre à cette question nous devons revenir à la notion de monnaie internationale et voir si cette décision ne pose pas un problème majeur de déséquilibre économique comme celui que l’on a connu dans l’entre-deux -guerres.

1) De la notion de Monnaie à celle de Monnaie Internationale

I) Les périodes à Monnaie Unique ont été en général des périodes de grands développements économiques, à condition que la masse monétaire s’investisse dans l’économie. Deux exemples célèbres peuvent être cités. Au Moyen-Age où l’or était la monnaie dominante, l’obligation de trouver des fonds pour les Croisades a incité les églises et couvents à augmenter la masse monétaire en fondant des objets religieux. Les sommes ainsi « retrouvées » ont servi en premier lieu à développer l’armement des guerriers mais ensuite à assurer l’essor économique de la « deuxième renaissance » (1100-1300)(la première datant de Charlemagne.). Par contre le rapatriement de l’or sud-américain par les Espagnols n’a pas servi le développement du pays, les fonds ayant essentiellement été utilisés à des importations et non au progrès interne du pays.
II) En fait il faut faire une distinction entre la monnaie interne d’un pays caractérisée par les trois fonctions aristotéliciennes de « moyen d’échange », de « conservation  de richesse » et de « moyen d’évaluation des biens » et la monnaie internationale. Le pays qui la détient dispose d’un « droit de seigneuriage » qui lui permet d’émettre ses « devises  » sans avoir besoin d’équilibrer réellement sa balance des Paiements. Par contre elle perd le contrôle de sa masse monétaire, les utilisateurs extérieurs pouvant accélérer ou ralentir la vitesse de rotation de cette monnaie ou même en créant des crédits sur la base de cette monnaie, augmenter la masse monétaire de ladite monnaie. Ainsi l’Or a été la monnaie internationale (avec parfois l’Argent) jusqu’au XIX ème  siècle, puis la Livre Sterling et enfin, depuis Bretton Woods, le Dollar. Cette situation donne à l’Amérique une prépondérance économique. Mais elle est de plus en plus attaquée du fait des déficits financiers de sa Balance des Paiements, (même si, pour le moment, la Chine est obligée de les financer pour s’assurer de la continuation de ses exportations et du financement des investissements américains en Chine).
III) L’absence de monnaie internationale est une cause de déséquilibre économique. Ainsi pendant l’entre-deux-guerres a-t’on essayé différentes solutions : Union Latine, Gold Exchange Standard (1922 à Gênes) sans monnaie dominante, (période de concurrence entre  la Livre et le Dollar). Il faut ajouter l’existence d’une insuffisance de demande solvable face à une forte croissance de l’offre due à l’essor économique des années 20. Tout cela a eu pour conséquence la crise des années  30.

2) Le problème du Dollar

I)  Ce qui fait sa force

Toute monnaie internationale dépend en général de l’existence d’une force politique et militaire importante. Cela été le cas de l’Angleterre au XIX ème siècle avec ses victoires sur Napoléon et sur les Russes Crimée). L’Union Latine n’a jamais pu s’imposer. Aux XX ème et au XXI ème  siècle les Etats-Unis restent la première puissance mondiale, militairement parlant. En outre, le Marché financier américain est un des premiers marchés financiers mondiaux en concurrence  avec Londres mais de plus en plus avec les Marchés asiatiques tels que  Singapour ou Hong- Kong. La plupart des matières premières sont également cotées en Dollars. Enfin si l’on veut une certaine stabilité économique, il faut qu’il y ait une monnaie de remplacement si l’on remet en cause le Dollar. Or il n’y en a pas. Le principal candidat est le Renminbe chinois. La puissance militaire de la Chine cherche à se comparer avec celle des Etats-Unis mais la Non-Convertibilité du Renminbe empêche le développement de son utilisation.

II) Mais le Dollar est plus faible qu’il ne parait

En effet la puissance militaire américaine est limitée par l’ampleur de ses échecs (Viet-Nam, demi-victoire en Irak, échec en Afghanistan). La dette américaine envers les pays de l’Asie de l’Est est très importante. Un petit nombre de pays anti-américains voudraient utiliser une autre monnaie  (panier de monnaies comme le droit de Tirage Spécial S.D.R. par exemple). Les places asiatiques voudraient bien concurrencer Londres et New-York (Francfort également).
Aussi ce qui sauve actuellement le rôle du dollar c’est l’absence de réelle monnaie de remplacement car rien ne serait pire dans un univers qui sort d’une crise mondiale qu’une période sans monnaie internationale

Conclusion

Si on analyse le procès fait à BNPPARIBAS on constate le caractère très particulier de cette accusation. Les Américains font une comparaison pour le moins curieuse. L’attaque contre les Banques américaines concernant les Subprimes s’explique par la crise mondiale qui en est issue. Les poursuites contre les banques Suisses portent sur l’effort de ces Banques pour détourner des fonds américains vers des horizons mieux protégés fiscalement. Les procès contre une série de banques internationales qui ont manipulés les indices et même le fixage des changes avaient l’excuse que ces opérations lésaient les clients honnêtes du système financier (à noter que BNPPARIBAS n’en faisait pas partie). Par contre la seule attaque, la plus vigoureuse, celle contre BNPPARIBAS porte sur le fait que l’Amérique veut imposer le droit américain à tout utilisateur de Dollar considéré COMME UNE MONNAIE INTERNE. Il est extrêmement grave qu’un procureur U.S. remette ainsi en cause le rôle de la  monnaie américaine au risque, s’il est suivi, d’entraîner la fin du Dollar comme monnaie internationale et de favoriser  ainsi un nouveau déséquilibre mondial.

 Jean-Jacques Perquel