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Catégorie : Notes de conjoncture
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L’ « Ubérisation »correspond à un double phénomène.
A) Une société créée ex-nihilo propose ses services pour mettre en contact un particulier demandeur d’un service et un autre particulier qui est prêt à le lui fournir. Comme elle communique avec ses « clients » par le réseau Internet elle peut rapidement en multiplier le nombre et ce à un coût minime pour les utilisateurs.
B) Le développement de la « Société d’ Intermédiation » est d’autant plus grand qu’elle a choisi une activité, soit gérée par des  oligopoles (taxis), soit encombrée de règlements tatillons et gênée par une fiscalité excessive (Banques, Compagnies d’Assurance).  
Cette « révolte » contre les excès d’ « oligopolisation », de normes abusives et de fiscalité excessive a lieu dans tous les secteurs, aussi bien dans la Banque que dans les activités de tous les jours. Aussi pour analyser l’ « Ubérisation » de la finance, nous verrons l’historique de ce « phénomène » lié au développement de l’Internet, dans le cas de la Banque et essayerons d’envisager quel peut être l’avenir de cette « Ubérisation ».

I. Historique du P2P (Peer to Peer ou Pair à pair)

De tout temps des producteurs ont cherché à négocier avec des clients privés. Les foires qui ont existé depuis le Moyen-âge en sont un bon exemple. Le monopole des « agents de Change » qui concernait les négociations de valeurs mobilières était presque total, mais il y avait une exception : les particuliers pouvaient faire des négociations entre eux, à condition qu’ils le fissent sans aucun intermédiaire. Relativement récemment, les ventes immobilières sont parfois réalisées de « particulier à particulier ». Mais l’organisme qui met sur pied des foires ou le journal qui transmet des offres de logement sont coûteux du fait des frais qu’ils subissent. Il s’agit d’un « artisanat » qui survit à côté de sociétés habituées à servir d’intermédiaires et parfois à garantir les transactions. (Marchands de Biens, Grande Distribution, Banques etc...)

Internet permet la création d’entreprises « à bas coût »pouvant organiser la mise en contact d’un très grand nombre de particuliers. L’exemple d’Uber en France est symptomatique : les Taxis parisiens ont un monopole de fait. Uber lance des V.T.C. en concurrence avec les taxis.
 
Les Autorités Mondiales sont dépassées par ce phénomène d’ « Ubérisation » et cherchent à le contrôler. L’exemple le plus important est le développement de l’Ubérisation dans le monde bancaire, il est intéressant d’analyser cette situation.

II L’Ubérisation du secteur Bancaire

La banque est protégée de la concurrence par la réglementation, mais cette réglementation devient étouffante. Son métier fondamental est la protection des fonds déposés chez elle. Ceux-ci sont partiellement utilisés pour effectuer des prêts à l’Economie, mais cette deuxième fonction  est de plus en plus dévoyée. En effet comme les réglementations se multiplient, les Banquiers diminuent leur activité de prêt et recherchent des produits nouveaux. Si ceux-ci sont à l’origine utiles, ils sont très vite détournés de leur but grâce à l’imagination exceptionnelle des Financiers. Ainsi par exemple les « Credit Default Swaps (C.D.S.)» ont été inventés pour permettre de protéger des créanciers d’un risque de faillite d’un débiteur. En particulier ils ont été utilisés pour « couvrir » des emprunts publics dits « Emprunts Souverains ». Mais ils permettent surtout de spéculer « à découvert », sans risque contre des Monnaies de pays à économie moyennement gérée. Ils aggravent considérablement la situation  de ces pays.

De là les autorités Financières se sont crues obligées de mener une double politique : contrôler le Crédit et essayer de réguler les « Produits Dérivés ».
a) Sur le premier point, on part d’une analyse qui semble erronée : « la crise de 2007-2013 est due à une insuffisance de liquidité des Banques ». En fait il y a bien eu crise de liquidité, mais c’était la conséquence et non la cause de la crise. Celle-ci semble due à un excès de prise de risques (dont les « Subprimes » ne sont qu’un exemple qui a servi de  catalyseur à la crise). Cela a entraîné un manque de confiance généralisé et un effondrement de la vitesse de rotation de la monnaie d’où, malgré un excès de masse monétaire, un manque réel de liquidités. Il semble que l’on ait ainsi pris le Thermomètre pour la Maladie. On espère en bloquant le Thermomètre éviter pour l’avenir une crise similaire. Aussi on a intensifié avec Bâle III les réglementations, à la fois très efficaces et très simples de Bâle I (Ratio Cook). On a augmenté les ratios de couverture des Banques en particulier le « Tier One » (qui comporte essentiellement des produits sans risque). Bien plus on a créé une augmentation spécifique pour les  banques dites « Systemically Important Financial Institutions  (S.I.F.I.) » les obligeant à un taux de couverture de plus de 10 %.

Mais, comble de raffinement on a imaginé « deux ratios de liquidité » étonnamment pervers : le « liquidity Coverage Ratio (L.C.R.) » qui devrait permettre aux banques de « tenir le coût » pendant un mois dans une situation où les liaisons bancaires font défaut (et qui s’applique depuis le 1 Janvier de cette année) et le « Net Stable Funding Ratio (N.S.F.R.) » qui devrait permettre de survivre un an en période de crise et qui est prévu pour le 1/1/2016. Bien plus on envisage un Bâle IV « pour mieux couvrir le risque de taux » et « limiter la capacité des banques à utiliser leurs modèles internes pour abaisser leur consommation en Capital ». A la limite, on pourrait aller jusqu’au « Chicago Plan » exposé à Paris par un économiste du Fonds Monétaire, selon lequel les prêts des Banques devraient être couverts à 100% par des capitaux propres.

b) La régulation des produits dérivés.
La position est de 700 milliards de dollars dont la partie la plus dangereuse ( les C.D.S.) représente en fait « seulement » un peu plus de 22 milliards. Cela présente un danger pour le système financier international beaucoup plus grand que les problèmes de liquidité. Les Autorités financières internationales ont essayé de réduire le risque en obligent les banques à « compenser » sur des « plateformes de compensation » les produit dérivés. Cela devrait réduire de moitié le risque mais en fait cela transfère une partie de ce risque sur les « Chambres de Compensation » dont les capitaux propres sont très insuffisants.

On voit par cet exemple deux problèmes : l’obsession de la liquidité, (pour éviter d’avoir recourt à la « Banque de dernier ressort ») conduit à rendre l’activité de prêt des banques de plus en plus limitée, les poussant à prendre plus de risques en particulier grâce aux produits dérivés. Par contre il est fondamental que les entreprises trouvent des solutions pour leurs investissements (qui en France sont effectués jusqu’à présent, à plus de 70 % par le secteur bancaire). Certes on développe le « shadow Banking » mais, en France on cherche déjà à le limiter.

Il reste donc le « Crowd Funding » ou « Finance Participative ou Fi Part’ » dont la branche « Equity », forme financière de l’Ubérisation, devrait représenter dans le Monde 35 milliards de dollars pour 2015 (contre  16 milliards en 2014 et 6 en 2013) et 152 millions d’euros en France en 2014, montant  encore insignifiant mais au développement très rapide (doublement entre 2013 et 2014). Il y a en France 46 entreprises de Fi Part’. Les montants prêtés ou investis dépendent considérablement de la taille de la société. « Sowefund », par exemple, fait des prêts qui vont jusqu’à 400.000 euros, « Lendix » à qui Wormser Frères a prêté 5 Millions d’euros, fait des prêts de 300.000 euros à un million. De plus en plus, les banques s’intéressent à cette activité. La Banque Populaire Atlantique (BPA) a lancé une plateforme « Proximea » qui s’intéresse à la Bretagne, Groupama a pris une participation dans « Unilend » qui gère 12 millions d’euros de contrats. Ces sociétés reçoivent du public des sommes minimes, certaines les acceptent à partir de 100 euros.

 Le travail d’analyse des dossiers est semblable à celui de la Banque à trois exceptions près : les réponses des sociétés de Fi Part’ sont très rapides, (l’une d’entre elles prétend donner une réponse à un demandeur en moins de 15 jours), ils acceptent des dossiers trop petits pour intéresser les Banques et surtout leurs  commissions  sont assez faibles .(L’un d’eux demande 4 % de la somme après acceptation du dossier et 1% par an d’honoraires quelque soit le taux de l’argent ).

Certes, en France, ces caractéristiques ne font pas du Fi Part’ un concurrent des Banques .Mais cela commence à être le cas aux Etats Unis où certaines sociétés font des prêts d’un montant comparable à ceux des banques.

A partir ce cette analyse, on peut essayer de déterminer quel pourrait être l’Avenir de l’Uberisation Bancaire.

Conclusion : l’Avenir

Le développement d’Internet devrait s’accélérer. La concurrence du Fi Part’ devrait devenir de plus en plus dure pour le secteur bancaire traditionnel, car il ne semble pas que les Autorités Financières prennent vraiment conscience des vrais problèmes et continuent, pour des raisons démagogiques, à essayer d’éviter le « recours au prêteur en dernier ressort ».

i) le risque majeur porte sur les produits dérivés. Sur les 600 trillions la majeure partie est composée de « swaps de taux » où existe toujours un danger de faillite de banque, mais ce danger est  partiellement limité, en faisant passer ces opérations par des chambres de compensation. Mais les vendeurs de C.D.S. sont des institutionnels (Banques, Assurances, Hedge Funds etc) qui prennent en fait un risque exceptionnel car  les chambres de compensation ont des fonds propres insuffisants pour faire face à une crise grave. Quand on voit que le premier « défaut de paiement » de la Grèce a coûté au secteur financier près de 3 milliards de dollars on peut essayer d’imaginer quel serait le coût pour des pays plus importants.

ii) les mesures de contrôle ne protègent pas de l’escroquerie. On pourrait penser que l’Affaire Madoff (2008) aurait incité les institutionnels et les particuliers à une certaine prudence. Il n’en est rien et dès 2009 aux Etats-Unis, Scott W.Rothstein détournait, de cette façon, 1,2 milliards de dollars.

Le but de toutes les mesures est de protéger les Banques Centrales en leur évitant de faire des pertes, ce qui n’a aucun sens puisqu’elles peuvent créer librement de la monnaie. D’ailleurs elles le font toutes lorsque la conjoncture entraîne un ralentissement de la vitesse de circulation de la monnaie. D’autre part il y a un autre principe malsain : le public doit être protégé  contre tout risque. Il serait préférable de l’ inciter à prendre des risques (comme dans les pays anglo-saxons) en l’ avisant de façon la plus précise possible des risques qu’il peut courir. Les spéculations malsaines sur le « fixing » ou les opérations à risque exagéré comme les « Contracts For Difference (C.F.D) »montrent que le public est « désireux » de prendre de vrais risques. Cela devrait permettre de développer le Fi Part’ et d’inciter les Autorités financières à réduire considérablement leurs réglementations.

Jean-Jacques Perquel Octobre 2015