Réponse à l’exposé de Michael Kumhof du département de recherche du F.M.I lors de la réunion de la Fondation Maurice Allais le 23 Mai 2014

Hyman Minsky  a démontré que la croissance économique dans un monde  « libéral » provoquait un excès d’émissions de crédit. En effet dans ce type d’économie  qui est celle du monde actuel après l’échec de la tentative communiste de limiter l’expansion aux possibilités de la masse monétaire émise par la Banque centrale, il n’est pas possible d’empêcher les entreprises d’espérer profiter de la « bonne conjoncture » pour se développer en investissant grâce à des fonds empruntés.  Il n’est pas dans l’intérêt des banques de refuser de prêter  à des entreprises valables et d’utiliser à ce titre des fonds déposés à vue (transformation) en partant de l’idée que la plupart des fonds déposés à vue sont en fait extraordinairement stables. Bien entendu il y a un « moment Minsky » où l’on s’aperçoit que l’on a exagéré dans le montant des prêts et, comme l’animal de Tex Avery qui court vers le bord d’une falaise et à un moment le dépasse. Dans les deux cas celui des banquiers et celui des animaux du « dessin animé » il n’y a pas de catastrophe tant que l’on ne remarque pas que l’on est dans le vide. Dès que la bête s’aperçoit de sa situation, elle tombe. Dès la première faillite d’une banque, le public panique.


Aussi  on cherche des solutions : Sarbanes-Oxley aux U.S.A, Bâle III dans le Monde (même si les Américains en ont retardé le lancement aux U.S.A.). Mais une nouvelle idée vient de jaillir : le « Chicago Plan » qui pousse le raisonnement de Minsky jusqu’à l’absurde. On considère qu’il faut revenir à la notion d’Henri  Germain  d’utiliser les fonds déposés à vue pour des prêts de très court terme et n’accepter aucune « transformation » pour les dépôts bancaires des banques dites « monétaires » (Money Banks).

Pour essayer de comprendre cette position issue de la triple pensée d’Henri Germain  et du  « Tea Party » il nous faut analyser les méthodes actuelles de lutte contre les crises financières, les avantages envisagés par le « Chicago Plan » et en faire la critique.


I -Bâle III


Avec  la « Dérégulation » lancée par Reagan-Thatcher, on a dès 1988 lancé le plan Bâle I pour obliger les banques à une certaine sensibilité dans la gestion des dépôts : Ainsi le « ratio Cooke  » obligeait toutes les banques mondiales à détenir 8% de réserves dont 4% formait le « Tier One » mobilisable à tout moment. Bâle II (2006) a renforcé les règles de Bâle I, mais l’inefficacité de ces mesures s’est révélé  au cours de la crise actuelle. Cela a incité les Autorité Financières à renouveler ces règles (Bâle III en 2010) en les aggravant considérablement de trois façons.

a) On a augmenté les ratios style Cooke, pour les porter à terme (2018) à plus de 10% en pénalisant les grandes Banques dites systémiques. En même temps on a créé des « Tests de résistance » pour étudier comment résisteraient les Banques au cours d’une crise importante, en envisageant une situation de plus en plus inquiétante, car les Autorités Financières ont peur d’une crise comparable à celle de 2007/2008. Ces Tests  ont un effet inattendu. La concurrence entre banques les incite pour ramener la « Confiance  » de leurs clients à essayer de produire des résultats de ces tests meilleurs que ceux de leurs concurrents. Ils immobilisent ainsi des sommes très importantes au détriment des besoins d’investissement de leurs clients.

b)  On crée deux Ratios de liquidité : le L.C.R. (Liquidity coverage Ratio) à 1 mois. Les actifs stables doivent couvrir les risques de pertes des clients et de fermeture de marchés. Malheureusement si les Fonds d’Etat sont évalués à 100%, les prêts et valeurs mobiliaires le sont à 50% et les crédits à long terme au commerce international à 0%. Cela incite les banques à investir en fonds d’Etat aggravant ainsi l’effet d’exclusion déjà noté en analysant la notion de ratio définie par Bâle III. Et le N.S.F.R. ( Net Stable Funding Ratio) à un an où les actifs stables doivent couvrir sur cette période les risques de crise. Il faut que le montant des besoins en ressources stables (Required Stable Funding) soit inférieur aux ressources disponibles (Available Stable Funding).

c ) On invente surtout un effet de levier où le rapport de capitaux propres au total des actifs doit être supérieur à 3%.

On ne voit pas bien où cette aggravation continuelle des règlementations des banques peut mener. Ces réglementations ont  peu d’effet contre les crises (par exemple crises immobilières) mais elles ont un un effet nuisible pour le développement économique en incitant à la création d’organes de moins en moins contrôlables : Hedge Funds/Fonds alternatifs, Crowd Funding/Financement participatif),  etc...
Mais dans cette optique de contrôle à tout va, le « Plan Chicago  » propose même que la couverture des prêts par des réserves bancaires soit totale.


II . Les avantages du Chicago Plan


Les auteurs du Plan envisagent une transformation complète de la structure bancaire : des « Money Banks » dont les fonds propres doivent couvrir à 100% les dépôts des clients; et des organismes para-bancaires qui vont avoir des titres publics en couverture de leurs prêts.

Ils voient un grand intérêt dans ces Money Banks : celles-ci ne courront plus aucun risque. Si un client fait défaut il suffira de liquider un des actifs qui lui sert de couverture. La rentabilité devrait être forte  (on envisage 10% en moyenne par an) puisqu’il y aura deux sources de bénéfices: les fonds propres et les prêts. On ne voit pas très bien comment on peut faire des prêts sans utiliser les fonds propres et n’avoir ainsi qu’une seule source de revenu. Ces Banques deviennent en fait des organismes de prêts directs genre société de Private Equity/ Capital investissement.

Mais surtout il parait y avoir un bénéfice encore plus grand pour la communauté. Certains acceptent le « postulat » que toute dépense publique est payée par des augmentations d’impôts. Dans cette optique, la règle la règle « Too Big To Fail » parait entraîner un coût pour l’Etat dès qu’une grande Banque, dite systémique car elle pourrait provoquer une panique (Comme Lehman Brothers) est en difficulté. Il en est de même dès qu’une Banque Centrale joue le rôle de « prêteur en dernier ressort ».

Cette analyse ne tient pas compte des effets multiplicateurs provoqués par un ralentissement de la vitesse de rotation de la monnaie en période de crise, effets qui permettent « sans inflation » de créer de la monnaie. On retrouve, dans l’analyse du postulat précité, les idées fondamentales du Tea Party. Certains de ces membres en effet demandent la suppression de la Federal Reserve pour éviter ses interventions comme prêteur en dernier ressort.
Mais cette analyse suppose également que l’on ne garantisse pas les « organismes » qui eux feront les autres opérations financières. On voit tout de suite les risques de crise que cela peut entraîner.


Conclusion


On voit ainsi que la sclérose des banques telle qu’elle est définie par le Chicago Plan aurait pour conséquence une impossibilité pour les banques à faire leur métier de « transformateur »  (elles investissent à long terme des fonds déposés à court terme pour la part stable de leurs dépôts) et que la collecte de fonds créerait un « effet d’exclusion » retirant à l’investissement privé des fonds indispensables.

En fait ce projet relève des mêmes conceptions que celles du Club de Rome : pourquoi développer l’économie qui est source de pollution et ne pas chercher à juste conserver la «  situation très agréable  » actuelle ? Il faut revenir à MINSKY en poussant son raisonnement à l’absurde : Pour  éviter toute crise il suffit d’interdire toute Croissance économique et toute Innovation. Le problème posé est alors : Est-il préférable d’accepter qu’il y ait des crises ou de refuser le progrès économique ???

En résume on s’aperçoit que le Plan Chicago provoquerait un coût insupportable pour la communauté par l’effet d’exclusion mais aussi par la hausse des taux de prêts pour rémunérer  les « Money Banks » à hauteur de 10%.

 En fait tout l’effort actuel porte sur la liquidité des banques ce qui pousse les entreprises à chercher désespérément des fonds pour leurs investissements et cela par des moyens de plus en plus incontrôlables, aussi à l’inverse du « Chicago Plan » il faudrait desserrer les contrôles bancaires quitte à revenir sur Bâle III, Sarbanes-Oxley et le MIFID.