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La troisième édition de Bordeaux Fintech, organisée par Montaigne Conseil, dirigé par Louis-Alexandre de Froissard, s’est ouverte hier parallèlement dans deux lieux voisins : la Faïencerie, pour les conférences et Cap Sciences, pour une série de pitchs menée par des créateurs de startups.

Sur-titrée "Le réveil de la tech", cette manifestation consacrée aux startups et nouvelles technologies financières, qui s'achève ce vendredi, a quitté la rive droite de Bordeaux et l'îlot alternatif de Darwin, où elle est née, pour se replier sur la rive gauche.

La première conférence, intitulée "Monde académique vs Fintech, la rencontre" a été l'occasion de croiser les regards d'enseignants-chercheurs, de créateurs de startups, professionnels de la finance et du droit. Animée par Thibault Cuénoud, enseignant-chercheur au groupe Sup de Co La Rochelle.

L'université sous la pression des fintech

Un sujet développé par Julien Batac, maître de conférences à l'Université de Bordeaux. C'est en se référant à la théorie des organisations que Julien Batac a rappelé que face à ces turbulences il fallait se différencier, expérimenter, innover, "faire mieux et autrement demain". Le développement de la fintech "met sous tension nos structures, notre modèle est très fragile" a estimé Julien Batac, parce que l'université, "qui manque un peu de fonds", doit désormais intégrer "des étudiants plus exigeants", faire face "à des concurrents plus intelligents et plus agiles qu'avant".

Peut-être une façon d'évoquer aussi sans la nommer la course à l'armement financier lancé par les écoles supérieures privées, dont les frais de scolarité ont tendance à grimper en flèche. "Sommes-nous "Too big to fail?" (trop gros pour nous effondrer ? - NDLR) enchainait ensuite l'orateur, avant de plaider pour une reconfiguration des usages, puisque les Fintech incitent à plus de coopération, à une mutualisation des recherches. "Nous sommes prêts à travailler avec les startups de la fintech car la recherche académique et appliquée constituent nos deux axes porteurs" concluait Julien Batac.

Jean-Baptiste Say, le précurseur

Le président de l'Andese, l'Association nationale des docteurs ès sciences économiques et sciences de gestion, est directeur de recherche associé au laboratoire de recherche Prism de l'université Paris I Panthéon-Sorbonne.

Daniel Bretones a les pieds dans le monde académique et dans celui de la fintech puisqu'il a créé une startup à New-York, il y a plusieurs dizaines d'années, et participé à plusieurs levées de fonds. Daniel Bretones, qui dirige aujourd'hui le cabinet Actrad, à Poitiers, a fait l'éloge de l'économiste Jean-Baptiste Say, dont il a souligné qu'il était l'inspirateur de Schumpeter.

Descendant d'une famille huguenote de Lozère réfugiée en Suisse après la révocation de l'Édit de Nantes, puis revenu en France, Jean-Baptiste Say "a démontré que le prix d'un produit est lié à la demande et non à la quantité de travail qu'il y a dedans" a souligné Daniel Bretones. D'où l'importance d'identifier "les besoins latents et non assouvis des consommateurs", dans le cadre du "design thinking", et d'impulser une démarche d’innovation pour aboutir à une puissante coopération impliquant les startups de la fintech.

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Les investissements ne se résument pas qu'à des chiffres (photo DR)

Apprendre à vivre avec les investisseurs

Investisseur en capital, Pierre Battini, ex-président de l'Afic (Association française des investisseurs pour la croissance) a retracé l'histoire contemporaine du capital-risque en France, expliquant que des années 1970-1980 jusqu'à 2010-2012 "ça a beaucoup trainé car il n'y avait pas d'argent". Enseignant à Paris 1, Paris Dauphine, Pierre Battini a créé plusieurs fonds d'investissement. Tout en retraçant les points marquant de sa carrière, Pierre Battini a observé que les fonds d'investissement sont plus nombreux à Toulouse qu'à Bordeaux "donc il y a un besoin ici en financement", avant de préciser qu'on ne dit plus capital-risque mais capital-innovation, "c'est mieux".

Pierre Battini a estimé ensuite qu'il y a trop de structures de financement en France et que c'est un problème car, avec cet émiettement, il y a beaucoup trop de tickets de petits montants, alors qu'il en faut aujourd'hui des gros : "Ce ne sont pas des tickets à 500.000 € qui sont recherchés, mais à 1 voire 1,5 M€." Son conseil pour les jeunes dirigeants des startups de la fintech ? S'habituer à vivre au quotidien avec les investisseurs, "ils seront là pour 5 ans, 7 ans, 10 ans : c'est important".

La crise des subprimes et l'origine de la Fintech

Ancien universitaire et ancien banquier Michel Roux reste sur la brèche même s'il est retraité. "Devenu un peu avocat" comme il l'évoque en souriant, Michel Roux est aussi cofondateur d'une startup parisienne dans la fintech en cours d'immatriculation baptisée Etikfin. Devenu avocat tout court, il continue d'enseigner le droit bancaire et l'éthique en finance, notamment à la faculté de Droit de l'université de Strasbourg.

Michel Roux a dévoilé un pan intéressant de l'histoire de l'émergence de la fintech, en rappelant que les startups de ce nouveau secteur ont vu le jour dans la Silicon Valley après l'explosion de la crise des subprimes de 2008 aux Etats-Unis, "quand des tas de cadres ont décidé de créer leur entreprise pour distribuer des produits financiers". Et c'est bien l'usage croissant des nouvelles technologies de l'information et de la communication, qui a généré de nouveaux liens entre clients et entreprises. Des liens nouveaux que l'évolution du marketing a pu ensuite faire percoler jusqu'à la disruption, a déroulé en substance ce spécialiste des affaires bancaires. Pourtant le terme de disruption semble ne pas vraiment séduire Michel Roux.

Des technologies financières à risque, pas de la location

"Peut-on comparer les technologies financières aux VTC, à la location de logements ?..." a questionné l'orateur avec une forte dose d'agacement. Il est vrai que la location de meublés, qui fait tant parler d'Airbnb, pourrait passer comme le dernier degré de l'activité économique et une des plus caricaturales illustrations de la rente.

"La finance est un vrai métier à risque ! a corrigé Michel Roux. Pourtant, a-t-il poursuivi, tout ce qui touche à la blockchain (chaine de confiance fiabilisant les transactions numérisées -NDLR) change beaucoup de choses. Il y a ceux qui ont confiance et ceux qui ont peur que l'automatisation numérique entraîne la destruction des emplois. En finance la confiance c'est important, et c'est bien là que le bât blesse" a décrypté Michel Roux pour bien cadrer les enjeux de la dynamique existante entre fintech et banques.

Si les banquiers ont besoin de l'agilité des startups, ces dernières ont besoin des bases de données des banques. Mais au-delà de cette dialectique Michel Roux a mis le doigt sur un point de bascule qui pourrait changer le futur de la finance si quelqu'un appuie dessus.

"Google détient 150 Md€ de fonds propres quand le flottant (part du capital coté en Bourse - NDLR) du groupe bancaire BNP Paribas (le plus puissant d'Europe) est de 40 Md€... d'où le fait que je sois un peu inquiet sur le risque de ce type de rachat" a conclut le professeur de droit.