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Catégorie : Messages du Président
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Dans un contexte de mondialisation accélérée la construction européenne se poursuit avec des avancées et des à-coups. Les « Non » Français et Hollandais en 2005 au projet de constitution, préparé par des parlementaires représentatifs de l’ensemble de l’Union, en est l’élément le plus représentatif.

L’acquisition au printemps 2006 d’Arcelor par Mittal, ce dernier illustrant les nouveaux conquistadors d’origine asiatique, a mis en relief l’impact de la mondialisation sur nos économies européennes.

Arcelor, société d’origine européenne mondialisée et leader dans la fabrication d’aciers spéciaux, détentrice d’un portefeuille de technologies et de produits à forte valeur ajoutée se fait absorber par un concurrent ne générant pas plus de bénéfices mais montrant un taux de croissance à peine supérieur.

La politique de promotion et de défense des champions nationaux a été mise en œuvre avec succès par le Ministre des Finances et de l’Economie de l’époque pour sauver Alstom d’un dépôt de bilan quasi-certain en 2004-2005.

Lorsque à l’été 2005 la rumeur d’une OPA de Pepsi Co sur Danone s’est répandue le gotha politique et financier Parisien s’en est ému !

L’agro-industrie fait parti des activités « stratégiques » alors une forte réaction s’est fait sentir, ce qui n’a pas été le cas pour l’acier français, considéré comme non stratégique et intégré au début des années 2000 au consortium européen et luxembourgeois Arcelor.

Le plus surprenant c’est que la logique de consolidation des places financières au niveau mondial échappe jusqu’à présent à la politique de promotion des champions nationaux à envergure européenne et mondiale.

L’accord formalisé mais pas encore validé définitivement de fusion entre Euronext et le New York Stock Exchange (NYSE) met en évidence un déséquilibre dans la répartition du pouvoir décisionnel de la nouvelle entité aux niveaux du Directoire et du Conseil de Surveillance au bénéfice du Nyse. Il a fallu attendre le 5 octobre dernier la publication du rapport Lachman, Président du Conseil de Surveillance de Schneider qui s’exprime à titre personnel, pour que la réalité soit décrite : « Il ne s’agit d’une fusion entre égaux mais d’une prise de contrôle d’Euronext par le Nyse. Par ailleurs la proposition actuelle de rachat d’Euronext par Deutsche Börse soulève de nombreux autres problèmes par rapport au modèle boursier fédéral d’Euronext »

Le risque dans le cadre de l’absorption d’Euronext par le Nyse, serait la constitution d’une forte alliance entre Deutsche Börse et la Bourse de Milan à laquelle se rallierait plus tard la bourse de Madrid, sur la base de modèles boursiers voisins.

Dans ce contexte c’est une Europe éclatée et déconstruite sur les plans financiers qui se créerait.

La solution idéale serait un accord entre Deutsche Börse et Euronext dans laquelle la première céderait à la seconde son marché d’actions en contrepartie d’une participation au capital d’Euronext. Ce schéma « euro-européen » permettrait l’intégration des bourses de Milan et de Madrid à terme.

Ceci souligne un point stratégique négligé par les pouvoirs publics français et la Commission européenne « la faiblesse des investisseurs institutionnels d’origine européenne » intervenant sur les places financières européennes. L’illustration en est le désengagement des banques françaises fondatrices, elles ne contrôlent qu’un peu plus de 10% du capital d’Euronext. Ceci a permis aux investisseurs institutionnels d’origine non-européenne une prise de contrôle de fait et/ou un pouvoir d’influence très fort sur le devenir des places financières d’Europe continentale.

Cet exemple est l’illustration de la nécessité de faire émerger au niveau français et européen de puissants acteurs « Investisseurs institutionnels », disposant de forts moyens financiers et capables de peser dans les institutions clé pour le devenir de l’Europe.

La mise en place d’un cadre spécifique au développement d’investisseurs institutionnels puissants devrait être une priorité du Conseil Stratégique (entité qui succède au Commissariat au Plan) auprès du Premier Ministre en liaison avec la Commission européenne.

Le renforcement des capitaux d’Euronext par des opérateurs français et européens pour lui conférer plus d’autonomie serait dans la logique de ce schéma. Dans ce contexte Euronext disposerait d’un pouvoir de négociation supplémentaire dans le cadre des rapprochements à venir et des interconnexions éventuelles entre plates-formes. Euronext dispose d’atouts considérables parmi lesquelles une des plates-formes de transaction, reconnue comme une des plus performantes au niveau mondial.

Les systèmes financiers et boursiers constituent le système nerveux central de l’économie. Il est souhaitable que ce dernier se développe au bénéfice d’une construction européenne des marchés financiers et non pas d’une déconstruction de ces derniers.

Les mesures prises par Paris Europlace et la région Ile de France pour constituer un « pôle de compétitivité à vocation financière » vont dans le bon sens car elles visent à renforcer l’attractivité de la place financière Parisienne et faciliter un fonctionnement plus efficace de l’économie.

Depuis le traité de Rome la construction Européenne a été le contraire du « laissez faire » et le fruit de décisions politiques mûries par les acteurs de cette construction. Depuis plus d’un demi-siècle des progrès considérables ont été réalisés dans des secteurs très nombreux grâce à cette construction, elle-même résultat d’une volonté collective. L’Europe a les moyens techniques et financiers d’organiser le pilotage financier de l’ensemble de son économie au niveau continental. Saura-t-elle capable de faire émerger encore une fois cette volonté collective, à l’origine de sa création et de son développement ?

A quoi sert de promouvoir des champions franco-européens à vocation mondiale, d’y investir des milliards d’euros, si les décisions les concernant tant en matière de fusions-acquisitions et de délocalisation sont prises hors d’Europe continentale. Les impacts de ce « laissez-faire » concernent à moyen terme les politiques d’emploi. On peut également s’interroger sur l’impact de cette éventuelle déconstruction sur la politique monétaire et le statut de l’Euro.

La situation actuelle relève avant tout d’une intervention du « Politique » pour trouver un accord global sur l’évolution de l’espace financier et boursier européen, bien au-delà des bénéfices trimestriels réalisés par Euronext et Deutsche Börse.

Cette décision d’essence intrinsèquement politique « To be or not to be » serait dans la logique de la construction européenne entreprise depuis plus d’un demi-siècle.

Daniel Bretonès 13 octobre 2006