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Catégorie : Nadia Antonin
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1.  Introduction

En cette période de crise, d’aucuns s’interrogent sur la question de savoir si la flexibilité et la sécurité du marché du travail (« flexisécurité » ou « flexicurité ») sont compatibles. En effet, plusieurs études tendent à remettre en cause la validité du concept, désormais confronté à un contexte de crise. Ainsi, une étude intitulée « Not for bad weather: flexicurity challenged by the crisis” d’Andranik Tangian illustre au moyen de statistiques que les pays avec un haut taux de flexibilité au travail ont été plus atteints par la crise économique actuelle. Il écrit: « the crisis manifests itself more in countries with high flexibility and somewhat less in countries with general social security ». Les effets néfastes (l’auteur parle de « damage from the crisis »)  au niveau macroéconomique sont exprimés en termes d’écart de production, de dette publique, de la taille des plans de sauvetage et du taux de chômage. Il conclut que la flexibilité est insuffisamment compatible avec une économie durable.

Ce concept, promu par la Commission européenne, est remis en cause et on parle désormais de mobication (« contraction des mots « mobilité » et éducation »).

1. Le concept de « flexisécurité » et sa remise en cause

1.1 Le concept de « flexisécurité »
La notion de « flexisécurité » a vu le jour aux Pays-Bas en 1995 en réponse à une note du ministre du travail intitulée « flexibility and security ». Elle débouche en 1999 sur la loi « flexibilité et sécurité » qui, reprenant le contenu d’un accord entre partenaires sociaux, libéralisait le recours aux formes particulières d’emploi mais offrait, en contrepartie, des garanties sociales nouvelles aux travailleurs précaires, dans le champ du travail intérimaire notamment. Ce néologisme est né d’un compromis selon lequel l’instabilité des emplois est acceptable si des garanties existent. Mais c’est l’expérience danoise qui sert le plus souvent de référence dans la représentation qui domine les débats actuels sur cette notion. Au Danemark, ce concept est mentionné pour la première fois dans une publication de 1999 du ministère du travail qui donne une description du « triangle d’or » :
-    Grande flexibilité du marché du travail, avec des règles de fonctionnement souples ;
-    Système d’indemnisation généreux des salariés au chômage ;
-    Politiques actives de l’emploi, visant à éviter le chômage de longue durée.

A partir de la fin des années quatre-vingt-dix, la réussite danoise n’a cessé de fasciner les analystes du marché du travail. Elle est devenue une source d’inspiration majeure.

Progressivement, la notoriété de la « flexisécurité » s’est consolidée par son usage croissant dans les instances de discussion de la Commission européenne. Ce concept est défini par cette dernière comme « une stratégie intégrée visant à améliorer simultanément la flexibilité et la sécurité sur le marché du travail, inspirée du « modèle danois ». Ainsi, en juin 2007 la Commission adopte une communication intitulée « Vers des principes communs de « flexisécurité » : des emplois plus nombreux et de meilleure qualité en combinant flexibilité et sécurité » qui identifie les « quatre composantes de la « flexisécurité » : législation sur la protection de l’emploi, formation tout au long de la vie, politiques actives du marché du travail, modernisation et amélioration du système de protection sociale ».

Schématiquement, elle repose sur une libéralisation des licenciements tout en garantissant aux salariés, grâce à des prestations de chômage d’un niveau élevé et à l’accès à des formations destinées à préserver leur employabilité, une sécurité matérielle tout au long de leur vie professionnelle. Ce modèle facilite les mobilités requises par des mutations permanentes de la structure productive et correspond à la représentation du fonctionnement idéal du marché du travail sous la figure de la « destruction créatrice » chère à Schumpeter : il importe de laisser disparaître les emplois non rentables et de permettre aux salariés de retrouver au plus vite un autre emploi.

Ce qui est certain, c’est que le modèle danois n’a pas été transposé tel quel dans tous les pays membres de l’UE. « Étant donné que chaque État membre est dans une situation initiale différente et est doté d’un cadre institutionnel qui lui est propre, le défi de la « flexisécurité » ne pourra être relevé partout de manière identique »,  ont estimé les experts européens.

1.2 L’expérience française
En France, comme le rappelle Dominique Méda dans un article publié en janvier-mars 2011 dans la revue « Formation emploi »,  le terme a été vraiment adopté par le pouvoir politique pendant les années 2004 et 2005. Après un rapport sur le modèle danois du sénateur Pierre Méhaignerie, le terme est revendiqué par Dominique de Villepin à l’occasion de la mise en œuvre du Contrat Nouvelle Embauche (CNE). Mais ce contrat a constitué, comme le souligne Dominique Méda, « le premier échec du développement d’une flexicurité à la française ».

L’accord national interprofessionnel signé en janvier 2008 a posé les jalons d’un système alliant la flexibilité de l’emploi et la sécurisation des parcours professionnels. Les principaux termes de cet accord ont été repris dans la loi du 25 juin 2008 portant modernisation du marché du travail et ont créé notamment un mode inédit de séparation à l’amiable, la « rupture conventionnelle ». Pierre Cahuc et André Zylberberg dans leur ouvrage « Les réformes ratées du Président Sarkozy » qualifient cet accord de « véritable conte de fées ». D’après ces auteurs, « ce terme évoque une organisation de l’activité économique qui protège les salariés contre les aléas de la vie active grâce à une assurance chômage, un service public de l’emploi et une formation professionnelle efficace ». Puis, ils parlent de la France comme « d’un mauvais élève de la « flexicurité ». Pour eux, le marché du travail en France est situé aux antipodes de la « flexicurité » pour deux raisons : la première est la mauvaise prise en charge de l’accompagnement des demandeurs d’emploi et la deuxième raison tient à notre droit en matière de licenciement. Ils en concluent que la « flexicurité » à la française se réduit à l’avènement de la rupture conventionnelle qui permettra de partir plus facilement à la retraite aux frais de l’Assedic et d’allonger inutilement les périodes de chômage de quelques cadres hautement qualifiés.

1.3 La remise en cause de la « flexisécurité »
Eu égard à la crise notamment, la « flexisécurité » a perdu son statut de stratégie prioritaire et d’aucuns se sont interrogés sur la viabilité de ce concept tel qu’il existe au Danemark. Dans un premier temps, il faut rappeler qu’en période de crise, le marché du travail est moins flexible. En effet, les personnes sont maintenus dans leur emploi eu égard à la réduction de l’offre de travail. Par ailleurs, le système de « flexisécurité » s’avère couteux au moment même où les dettes publiques s’accroissent en Europe.

La remise en question du modèle danois de « flexisécurité » fait écho à la présentation d’un nouveau concept la « mobication ».

2. « La mobication »

Cette nouvelle idée de « mobication » a été proposée par deux universitaires de Copenhague. Elle repose sur le recours systématique au développement des compétences afin de renforcer la mobilité sur le marché du travail. Cette vision du marché du travail paraît être justifiée dans une période de crise où le processus de destruction créatrice d’emplois s’accélère. L’objectif est de faire face aux défis structurels du marché du travail et de permettre de former et d’orienter la main-d’œuvre vers les branches dynamiques en termes d’emploi (ou celles manquant de main-d’œuvre), tandis que le volet sécurité se verrait quant à lui développé par la systématisation d’une formation continue.

On passe ainsi du modèle de « flexisécurité » à un modèle centré sur les compétences et la formation.

Est-ce que ce concept a des chances de se développer en France. Un rapport du Sénat intitulé « Prospective du pacte social dans l’entreprise » de janvier 2011 évoque ce concept. Ainsi, « à côté de l’assurance chômage et d’un accès au logement facilité, l’employabilité des personnes deviendrait l’axe majeur d’une « flexisécurité » de pointe, qualifiable de « mobication ». Un véritable pilotage de la formation professionnelle française serait organisé en vue d’optimiser continuellement l’employabilité des salariés et des chômeurs ». (…) « Aiguillonnées, le cas échéant, par une obligation juridique de préserver l’employabilité de leurs salariés, les entreprises s’orienteraient, en synergie, vers une gestion plus responsable des emplois et des formations de leurs salariés via une authentique « Gestion professionnelle des emplois et des compétences » (GPEC)».

La crise que nous traversons et la rigidité de notre marché du travail constituent un sérieux obstacle au développement de la « mobication » malgré l’effort mené ces dernières années par les pouvoirs publics pour développer l’éducation et la formation continue.

Pour Jean-Louis Dayan et Jean-Yves Kerbourc’h, la rigidité du marché du travail en France résulterait de :
-    notre droit concernant les CDD et le travail intérimaire ;
-    nos politiques menées et nos prestations ;
-    nos stratégies d’apprentissage au cours de la vie qui sont peu développées ;
-    notre système de protection sociale qui, selon un rapport du CERC (2005), ne serait plus adapté à notre société actuelle.

3. Glossaire

Contrat Nouvelle Embauche (CNE) : Contrat à durée indéterminée visant à apporter pour les entreprises de moins de 20 salariés seulement une plus grande flexibilité du marché du travail, grâce à des procédures de licenciement facilitées durant les deux premières années suivant l’embauche en contrepartie de nouvelles garanties (revenu de remplacement, aide au retour à l’emploi).

Flexibilité du travail : Mode de gestion de la main-d’œuvre permettant à une entreprise de s’adapter aux évolutions de sa demande et de son environnement.

Flexibilité externe quantitative : Pratique consistant à faire fluctuer les effectifs d’une entreprise en fonction des besoins en ayant recours aux licenciements et aux contrats de travail de courte durée.

Flexibilité interne quantitative : Pratique consistant à faire varier la quantité d’heures travaillées pour un effectif donné.
Note : Elle peut être réalisée par des modulations saisonnières à partir d’un contrat portant sur une durée annuelle, des temps partiels, des travaux intermittents, des heures supplémentaires, etc.
 
Formation tout au long de la vie : Toute activité d’apprentissage entreprise à tout moment de la vie, afin d’améliorer les connaissances, les qualifications et les compétences, dans une perspective personnelle, civique, sociale et/ou liée à l’emploi.

Loi de modernisation du marché du travail du 25 juin 2008 : Loi instaurant la « rupture conventionnelle » d’un contrat de travail par commun accord entre l’employeur et le salarié.
Note : Elle fixe les durées maximales des périodes d’essai.

Mobilité professionnelle : Pratique consistant à changer d’organisation, donc d’employeur.
Note : Ce changement peut être volontaire (recherche d’un emploi mieux rémunéré par exemple) ou involontaire (un licenciement pour faute grave par exemple).


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