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Catégorie : Nadia Antonin
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La technologie blockchain ou "chaîne de blocs" a été conçue en 2009 pour la création du Bitcoin, monnaie virtuelle ne dépendant d’aucune banque centrale ou institution financière et protocole d’échange totalement anonyme basé sur le réseau « peer to peer » (« pair à pair »).

Les réticences à l'égard de cette monnaie virtuelle sont nombreuses. En effet, eu égard à son manque de traçabilité et à son anonymat, le Bitcoin échappe à tout contrôle étatique (notamment aux autorités monétaires), attise la convoitise des hackers, favorise l'évasion fiscale, le contournement des règles relatives à la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (LCB-FT) ainsi que le développement du logiciel rançon ("ransomware"). Malgré tous ces risques, la blockchain (moteur de base du bitcoin) constitue pour certains un "nouvel eldorado numérique". "Parce qu'elle permet de créer des bases de données sécurisées et partagées entre tous les participants d'un réseau, elle pourrait changer la manière de concevoir beaucoup de métiers, affirme Christophe Chazot, directeur de l'innovation pour le groupe HSBC.

1. Le concept de blockchain et les projets pilotes

Le concept

La blockchain est une technologie de stockage et de transmission d’informations, transparente, sécurisée, et fonctionnant sans organe central de contrôle. Par extension, une blockchain constitue une base de données qui contient l’historique de tous les échanges effectués entre ses utilisateurs depuis sa création. Cette base de données est sécurisée et distribuée : elle est partagée par ses différents utilisateurs, sans intermédiaire, ce qui permet à chacun de vérifier la validité de la chaîne.

Il existe deux grandes catégories de blockchain : publiques et privées. Les blockchains publiques sont des réseaux ouverts, des bases de données consultables par tous. Les blockchains privées sont utilisées dès que l'identité des participants est requise pour participer à un réseau d'échange.

Cette nouvelle technologie peut se définir comme le "premier véritable ordinateur global", qui permet de construire sur sa plateforme des applications décentralisées. Le principe consiste à utiliser la blockchain en la couplant avec des contrats intelligents ("smart contracts"). Selon Blockchain France, un contrat intelligent est un programme autonome qui, une fois démarré, exécute automatiquement des conditions définies au préalable. Il fonctionne comme toute instruction conditionnelle de type " if - then" (si telle condition est vérifiée, alors telle conséquence s'exécute").

blockchain
Source : « Blockchain, catalyseur de nouvelles approches en assurance », PwC, mars 2017

Quelques exemples de récentes expérimentations
Près de 8 ans plus tard, l'utopie des concepteurs de la Blockchain est devenue une réalité et certains acteurs se sont lancés dans des expérimentations, dans le secteur financier en particulier.

A. Quelques exemples d'expérimentations dans le secteur bancaire et financier
Le secteur bancaire et financier s'est lancé tôt dans la technologie des registres distribués, via des expérimentations en solo ou au sein de consortiums.
La Banque de France, épaulée par la jeune pousse ("start-up") Blockchain Partner et en collaboration avec sept établissements de crédit, représentant 95% des demandes d'identifiants SEPA, a lancé en juillet 2016 une expérimentation sur la Blockchain pour gérer les identifiants créanciers SEPA. Ce projet, baptisé "MADRE", qui s'inscrit dans le cadre du plan stratégique Ambitions 2020 de la Banque de France, utilise la nouvelle technologie Ethereum. En septembre 2017, le Directeur des données ("Chief Data Officer" - CDO) de la Banque de France a annoncé "qu'une phase de discussion a été engagée avec l'ensemble de la communauté bancaire pour passer du stade de l'application expérimentale à une solution en production". "Mais le démarrage sera progressif : l'ancienne interface sera conservée pour permettre aux banques qui auraient d'autres priorités d'avoir le temps nécessaire pour rejoindre le nouveau système".
Un consortium de banques (Deutsche Bank, HSBC, KBC, Natixis, Rabobank, Société Générale et Unicredit) teste actuellement la technologie blockchain pour faciliter le financement du commerce international ("trade finance"). Le CDO de la banque Natixis souligne que "la technologie des registres distribués apporte un protocole de communication qui permet l'échange et le stockage d'informations de manière sécurisée, transparente et en temps réel entre l'ensemble des parties prenantes". Pour réaliser les tests, les banques en question ont choisi le protocole blockchain Hyperledger Fabric qui s'intéresse au financement des activités d'import - export des entreprises.
Ces derniers mois, on a beaucoup parlé des "Initial Coin Offering" - ICO). ICOR Mentor les définit comme "une méthode de levée de fonds fonctionnant via l'émission d'actifs numériques échangeables contre des cryptomonnaies durant la phase de démarrage d'un projet". Ces actifs numériques sont appelés jetons (ou "tokens").

Les usages de la blockchain ne se limitent pas à l'univers de la finance comme en témoignent les applications récentes dans de nombreux domaines de l'économie.

B. Quelques exemples d'exploration de la blockchain dans des secteurs économiques autres que la finance
Le secteur de l'énergie paraît le plus avancé après la finance et l'assurance. Ainsi, vingt trois groupes énergétiques européens se sont lancés dans cette nouvelle technologie, parmi lesquels on trouve Enedis, Engie, Total, RWE, etc. A Brooklyn, la coopérative TransActive Grid a développé en 2016 un système d'échange d'énergie renouvelable entre les habitants d'une rue. Ceux équipés de panneaux solaires revendent leur surplus de production aux autres, l'énergie étant tracée par des compteurs intelligents qui inscrivent les échanges sur la blockchain. Une autre initiative dans le domaine de l'énergie concerne la France qui, avec une plateforme de financement participatif appelée Lumo, travaille sur un projet visant à récompenser les producteurs d'énergie solaire en "solarcoins".
Dans le domaine des transports, le 5 octobre 2017, la Fédération nationale des transports routiers (FNTR) a officiellement lancé les travaux pour une Blockchain Globale transport.
Dans le secteur alimentaire, Nestlé, Unilever, Walmart et sept autres groupes agroalimentaires travaillent sur la traçabilité des denrées périssables via la technologie blockchain.

De façon générale, les blockchains pourraient remplacer la plupart des "tiers de confiance" centralisés (métiers de banques, notaires, cadastre ...) par des systèmes informatiques distribués.

Ces promesses ne sont pas exemptes de défis, qu'ils soient économiques, juridiques, de gouvernance ou encore écologiques.

2. Les défis

La garantie de confiance est un élément essentiel de la technologie blockchain. En effet, son caractère décentralisé et distribué permet une disponibilité forte du système, la traçabilité est assurée par la conservation de toutes les transactions dans le registre et l'intégrité est garantie par le système de cryptographie qui combine clé publique et clé privée. Cela étant, de nombreuses attaques sont observées sur des environnements blockchain et les fraudes s'élèvent à plusieurs dizaines de millions de dollars ou d'euros. Ainsi, des pirates informatiques ont dérobé l'équivalent de plus de 50 millions de dollars de monnaie virtuelle à un fonds d'investissement expérimental dédié au financement de projets sur la blockchain Etherum, la Decentralized Autonomous Organization (DAO). Ce fonds, qui était parvenu à lever 150 millions de dollars en Ether a perdu un tiers de ses avoirs.

Par ailleurs, l'adoption à grande échelle de cette technologie se heurte à des problèmes de sécurité, de règlementation, de gouvernance, de régulation, de confidentialité et d'anonymat des échanges, de mode de preuve, de questionnement sur la valeur juridique des contrats intelligents ("smart contracts") qui sont des logiciels et non des contrats.

Les enjeux juridiques majeurs de la blockchain témoignent de la nécessité absolue d'encadrer cette nouvelle technologie par un cadre sécuritaire quasi infaillible.

3. Quel cadre juridique pour la blockchain ?

Les premiers travaux pour essayer de fixer un cadre juridique de la blockchain ont été menés à la fois sur le plan national et européen.

A. Initiatives françaises
La Banque de France a mis en place un "Laboratoire Banque de France" pour analyser l'impact des innovations sur les métiers, mesurer les risques et opportunités de cette nouvelle technologie.
Le Haut Comité Juridique de la Place Financière de Paris (HCJP) mène une réflexion juridique autour de la blockchain.
La Direction générale du trésor (DGT) a lancé le 24 mars 2017 une grande consultation publique sur le projet de réformes législative et réglementaire relatif à la blokchain et plus particulièrement sur la gestion des titres non cotées via cette technologie. L'objectif consistait à compenser le vide juridique causé par l'essor des Fintech et leur propension à recourir à tous types d'innovation technologiques, la plus préoccupante étant la blockchain qui fonctionne sans l'intervention d'un organe central. Bercy s'interroge également sur la gouvernance de la blockchain et sur la compatibilité de cette technologie avec la législation européenne encadrant l'usage des données personnelles.

B. Initiatives européennes
En juin 2016, l'Autorité européenne des marchés financiers (European Securities and Markets Authority - ESMA) a publié un document de travail pour discussion sur la technologie de registre distribué ("Distributed Ledger Technology" (DLT) dans lequel elle énonce un certain nombre de défis juridiques et techniques qui devront être surmontés avant que cette technologie puisse être largement appliquée aux marchés des valeurs mobilières.
Le 23 mars 2017, la Commission Européenne a publié une consultation couvrant un grand nombre de thèmes dont les technologies de registre distribué. Par ailleurs, dans le cadre d'un groupe de travail sur les FinTechs et les technologies de registre distribué, la Commission Européenne, à la demande du Parlement Européen, envisage de mettre en place un Observatoire des blockchains afin notamment de suivre de près les développements de cette technologie et de développer une expertise sur des sujets transversaux tels que l'infrastructure, les mécanismes de gouvernance et de validation, les contrats intelligents, les enjeux en matière de régulation et de législation, l'interopérabilité et les standards.

4. Conclusion

Le nouvel Eldorado de la blockchain attire d'un côté les explorateurs qui souhaitent tirer partie de cette nouvelle technologie et de l'autre les escrocs ayant la volonté d'en abuser.

Face aux risques et fragilités auxquels se heurte la blockchain , on peut se demander si la technologie blockchain a les moyens de ses ambitions.

4. Glossaire

Clé privée : Partie non divulgable, et donc à usage exclusif de son détenteur, du jeu de clés nécessaire au bon fonctionnement d’un algorithme cryptographique asymétrique.

Clé publique : Partie divulgable du jeu de clés nécessaire au bon fonctionnement d’un algorithme cryptographique asymétrique.

Contrat intelligent ("smart contract") : Programme autonome qui exécute automatiquement les conditions et les termes d'un contrat, sans nécessiter d'intervention humaine une fois démarré.

Cryptographie : Discipline incluant les principes, moyens et méthodes de transformation des données, pour cacher leur contenu sémantique, empêcher leur utilisation non autorisée ou permettre la détection de modifications (la cryptographie conçoit des algorithmes que l’on souhaite inviolables).

Cryptomonnaie : Voir monnaie virtuelle.

Directeur des données ("Chief Data Officer") : Personne chargée, au sein d’une organisation, de définir la politique de gestion des données, de déterminer celles qui sont utiles à la prise de décision et de s’assurer de la qualité et de la cohérence de ces dernières (Source : J.O du 26 septembre 2017).

Logiciel rançon ("ransomware") : Logiciel malveillant qui verrouille l'accès à un ordinateur ou à des données personnelles en les chiffrant, obligeant ainsi la victime à verser une rançon pour déverrouiller son ordinateur ou pour récupérer ses données.

Monnaie virtuelle : « Monnaie non régulée et numérique, qui est émise et habituellement contrôlée par ses développeurs, et qui n’est acceptée que par les membres d’une communauté virtuelle bien spécifique ». (Source : BCE)

Technologie de registre distribué ("Distributed LedgerTechnology" - DLT) : voir Blockchain.

Tiers de confiance : Personne morale délivrant des certificats numériques dont l’autorité est reconnue par les parties et qui assure une ou plusieurs fonctions comme par exemple : tiers de séquestre, tiers certificateur, notarisation, ...

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