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Catégorie : Nadia Antonin
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Le 7 mai 2019 s'ouvrait le procès concernant les suicides à France Télécom. Plus de 60 salariés de France Télécom se sont suicidés entre 2006 et 2010, selon des sources syndicales. Ces suicides chez France Télécom et d'autres organismes révèlent une crise sévère du travail, du management et des organisations. Cette situation préoccupante nous conduit à nous interroger sur la qualité de vie au travail.

Pour lutter contre le «stress» au travail, de nombreuses tentatives ont été lancées. Il y a quelques années, on a même évoqué le concept de "bonheur au travail". Plus récemment, la loi plan d'action pour la croissance et la transformation des entreprises (PACTE), initié en octobre 2017 en associant les acteurs économiques et les partenaires sociaux, a pour ambition de «donner aux entreprises les moyens d'innover, de se transformer, de grandir et de créer des emplois en associant mieux les salariés aux résultats des entreprises».

Dans cette recherche du bien-être au travail, savoir manager devient un enjeu primordial. Une étude menée par Amanda Goodal en 2015 auprès de 35 000 employés au Royaume-Uni et aux Etats-Unis, intitulée «Boss Competence and Worker Well-being» révèle que les compétences du patron constituent l'indicateur le plus révélateur de la satisfaction au travail. D'où la question de savoir quelles sont les qualités essentielles que l'on demande à un manager.

Après avoir brossé un portrait du bon manager dans un premier temps, nous examinerons dans un second temps le management à la française.

1. Qu'attend-on d'un bon manager ?

Peter Drucker, pour qui «manager est un art», insiste dans ses travaux sur l'importance du rôle des managers pour la réussite de l'entreprise. Il a défini cinq activités essentielles du dirigeant efficace : la fixation des objectifs, l'organisation du travail, la motivation et la communication, la mise en place de normes de performance et la formation des employés.

Les mots d'ordre d'un manager doivent être les suivants : motivation, dynamisme et épanouissement des équipes, professionnalisme et confiance. Tous ces critères sont la condition essentielle au bon fonctionnement d’une entreprise ou d'une institution.

A. Un management juste
Ce que l'on attend avant tout d'un bon manager, c'est un management juste car le sentiment d'injustice conduit à la colère, au dégout, à la frustration, à la peur, etc. Pour Thierry Nadisic, enseignant - chercheur à l'EM Lyon, la justice au travail comporte quatre dimensions :

B. Savoir motiver ses équipes
Motiver ses collaborateurs est un vaste sujet pour tout manager qui veut faire concorder performance de son équipe et bien-être de ses agents. Pour motiver ses collaborateurs, d'aucuns proposent d'appliquer la pyramide du psychologue américain Abraham Maslow.

Cette théorie de la pyramide des besoins, initialement développée dans un contexte généraliste et notamment enseignée en management, peut-être illustrée de la façon suivante pour le monde du travail :

→ les besoins physiologiques : toucher un salaire pour vivre décemment, ...
→ les besoins de sécurité : avoir un emploi stable notamment, ...
→ les besoins d'appartenance : être intégré dans un groupe de collègues, être informé régulièrement de la vie de l'entreprise, ...
→ les besoins d'estime : être reconnu par son manager, posséder un titre valorisant, ...
→ les besoins d'accomplissement de soi : élargir ses compétences, devenir un expert dans son domaine, être autonome dans son poste, ...

Un bon manager saura répondre à ses différents besoins pour motiver ses équipes et développer leur engagement pour l'entreprise. 

Quelques années plus tard, les travaux de Frédérick Herzberg, psychologue et professeur de management à l'Université de l'Utah, viennent compléter le modèle de Maslow en apportant une différence entre satisfaction et motivation. Ce professeur de management qui a mené une enquête auprès de 200 ingénieurs et comptables à la fin des années 50, a découvert que certains facteurs sont source de satisfaction (ou d'insatisfaction s'ils ne sont pas comblés), alors que d'autres facteurs déclenchent des actes réellement motivés. Les premiers facteurs nommés par l'auteur "facteurs d'hygiène" concernent tous ceux qui ne visent pas la réalisation de soi. Ce sont des facteurs extrinsèques ou facteurs d'ambiance. La seconde catégorie de facteurs appelés "facteurs moteurs" comprend l'intérêt au travail, les responsabilités, le salaire incitatif, la considération, l'autonomie, l'évolution de carrière, etc. Il s'agit de facteurs intrinsèques. Selon Herzberg, seuls les facteurs intrinsèques seraient source de motivation.

C. Le management par la confiance
Pour l'économiste Kenneth Arrow, la confiance est un maillon essentiel du système économique. Cette thèse a été reprise par Fukuyama qui postule que la confiance est liée aux "attentes des membres d'une communauté" dans laquelle les individus partagent habituellement certaines normes et adoptent un comportement prévisible reposant sur des valeurs partagées.

Le management par la confiance apparaît à la fois comme un facteur de bien-être et un facteur de performance dans un environnement qui exige plus de prises d'initiative, d'innovation, de collaboration et d'agilité. D'après Laurent Karsenty, «la spécificité du management par la confiance est que la réalisation des activités dites managériales ne repose plus sur l’action d’un pouvoir décisionnel centralisé mais sur l’action d’un collectif formé d’acteurs responsables, capables de s’auto-diriger, de s’organiser et de se coordonner et attachés au maintien de relations de confiance entre eux. Au sein de ce collectif, un manager reste nécessaire mais avec un positionnement par rapport au reste du collectif et un (ou des) rôles qui changent par rapport au management traditionnel.».

En résumé, diriger une équipe, ne consiste pas à se représenter soi-même, mais à représenter les autres. Un leader charismatique saura motiver ses collaborateurs afin qu’ils participent pleinement à la vie de l’entreprise. Toujours à leur écoute, il saura cerner les véritables compétences, et les mettre en avant. Grâce à l’esprit d’équipe qu’il aura su mettre en place et à ses qualités humaines (intégrité, ouverture, charisme, etc.), il ne négligera aucun membre de son équipe et saura lui accorder la place qui lui revient car les hommes constituent la première richesse de l'entreprise. Une entreprise est avant tout une équipe et son succès naît du collectif.

2. Le management à la française

La sixième enquête européenne sur les conditions de travail (European Working Conditions Survey/EWCS) menée par Eurofound pour l'Europe (voir glossaire) en 2015, pointe la faible qualité du management français. Par ailleurs, selon une étude internationale réalisée par le cabinet en gestion des ressources humaines BPI en partenariat avec l'institut BVA intitulée "Les salariés évaluent leur manager", publiée le 6 décembre 2007 et portant sur un échantillon de 5.500 salariés dans dix pays, les français trouvent leurs supérieurs hiérarchiques "mous et incompétents". Seul un sondé français sur deux trouve un quelconque talent à son supérieur, et un sur trois l'estime très compétent, soit les taux les plus bas des dix pays considérés. Il ressort entre autres de cette étude que la France est le pays où le pessimisme est le plus fort. Enfin, dans l'ouvrage «La prouesse française : le management du CAC40 vu d'ailleurs» trois économistes abordent le management «à la française» jugé par les étrangers. Ces économistes rappellent que plus des trois quarts des entreprises du CAC 40 sont dirigées par des personnes au parcours similaire (ENA notamment) et insistent sur le syndrome du "petit chef"».

Le recrutement des managers en France est régulièrement dénoncé par les salariés ou candidats à l'embauche. Prenons par exemple, le cas d'un jeune cadre qui après quelques années d'expérience professionnelle souhaite évoluer dans une autre entreprise et avoir des responsabilités de management. Un des principaux arguments qui lui sera opposé consistera à lui dire qu'il n'a pas d'expérience en matière de management ! Nous retrouvons la situation dans laquelle il est demandé une expérience professionnelle à des étudiants qui viennent de terminer leurs études. La méfiance, la frilosité et surtout le manque de discernement de certains recruteurs est à l'origine de l'embauche ou de la promotion de personnes qui ne sont pas à la hauteur de la fonction et de la mission.

Il existe en France une large palette de «mauvais managers» qui ont été mal choisis pour diriger des équipes et des supérieurs hiérarchiques toxiques prenant du plaisir à déstabiliser les autres. On observe hélas que dans tous les secteurs (privés et publics) de nombreux managers ne sont pas sélectionnés sur leurs compétences et leurs qualités humaines. Xavier Camby, auteur de «48 clés pour un management durable- Bien-être et performance», écrit dans son ouvrage que «la France est hélas, malgré une productivité importante, un des champions du monde du mismanagement en entreprise comme dans les administrations». Il rajoute : «Ainsi, malgré une belle productivité, la France s'enfonce chaque jour davantage dans un marasme économique et social, faute de managers sachant manager». Frank Bournois, directeur général de ESCP Europe, dans son ouvrage intitulé «Les cadres étrangers trouvent le management français déroutant» décrit les différentes perceptions que peuvent avoir les managers étrangers vis-à-vis des pratiques managériales en France.

Les récentes enquêtes nationales et internationales font un portrait peu flatteur du manager français. Toute la hiérarchie est visée. Les cadres dirigeants comme les managers de niveau intermédiaire ou de proximité. Les principaux reproches à l'encontre des managers français sont les suivants :

A. Un management basé sur l'autorité
Max Weber distingue trois types d'autorité : l'autorité traditionnelle qui se transmet par usage, l'autorité rationnelle rattachée à la fonction et qui repose sur la compétence et l'autorité charismatique qui permet à un individu de disposer d'une ascendance sur les autres. Pour ce sociologue, père de la sociologie moderne, l'autorité rationnelle est la meilleure forme d'autorité car elle est connue de tous donc juste et de plus, elle réduit les incertitudes.

Le manager français est encore largement autoritaire contrairement au management suédois qui est démocratique et décentralisé, avec des employés étroitement associés ou au management norvégien où le patron est au centre du dispositif mais très accessible aux cadres responsables. Le manager autoritaire ou directif fixe des objectifs sans consulter ses collaborateurs. Ces derniers ne sont pas impliqués dans les décisions. La communication est verticale. Ce style de management suscite la frustration des subordonnés, enterre toute forme d'esprit d'initiative, entraîne un manque d'engagement et de motivation ainsi que la sensation d'une absence de reconnaissance. Les universitaires américains observent qu'un groupe sans chef est plus performant qu'une équipe menée par un leader autocrate.

B. Une absence de reconnaissance au travail
Pour Jean de La Bruyère, «il n'y a guère au monde un plus bel excès que celui de la reconnaissance». Or, l'on constate qu'en France, les entreprises et les institutions manquent cruellement de reconnaissance à tous les niveaux. Selon une étude récente sur la qualité de vie au travail publiée par Deloitte et Cadremploi, 7 salariés sur 10 estiment ne pas être reconnus à leur juste valeur.

La reconnaissance au travail est depuis toujours une question cruciale pour l'entreprise et les salariés. Comment reconnaître c'est-à-dire identifier, évaluer et récompenser les mérites de chacun pour éviter la démobilisation, le mal-être, le sentiment d'injustice ainsi que le départ des cerveaux à l'étranger ? Comme le rappelle l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (ANACT), le défaut de reconnaissance des contributions de chacun ou le déni des difficultés rencontrés sont autant de causes de démobilisation, de mal-être au travail et de contreperformance productive. Pour Laure Becker, formatrice en management et en efficacité professionnelle, auteure de l'ouvrage «L'art de la reconnaissance au travail», «Reconnaître une personne pour son travail, ses efforts ou ses compétences, c'est l'aider à entretenir une image positive d'elle-même et à poursuivre ses actions dans ce sens(...). Un salarié qui se sent reconnu sera plus motivé et plus engagé au sein de son entreprise».

C. Un manque d'autorité rationnelle
Nous observons que ce ne sont pas toujours les individus les plus compétents qui sont promus. Cet état de fait est d'autant plus regrettable qu'une étude menée par Amanda Goodal en 2015 auprès de 35 000 employés au Royaume-Uni aux Etats-Unis, intitulée «Boss Competence and Worker Well-being» révèle que les compétences du patron constituent l'indicateur le plus révélateur de la satisfaction au travail. La promotion et l'accès aux responsabilités doivent être liés aux compétences et au mérite.

D. Un manager parfois inabordable
L'une des clés du management efficace est de savoir imposer son ascendant tout en restant accessible. L'équilibre est difficile à trouver. Si certains managers français sont trop proches ou trop familiers et ne sont donc pas respectés, d'autres à l'inverse instaurent une distance exagérée avec leur équipe, ce qui les fait passer pour une personne froide et hautaine.

3. Conclusion

Le rôle central du management est systématiquement souligné dans toute démarche d'amélioration de la qualité de vie au travail et de diminution de l'absentéisme. Ainsi, pour Eric Alonso du cabinet Ineum Consulting, «l'absentéisme de très courte durée, lorsqu'il est répétitif, est souvent lié à un problème de management».

Comme nous l'enseigne Goethe, «traiter les gens comme s'ils étaient ce qu'ils devraient être, vous les aiderez à devenir ce qu'ils peuvent être». Au sein des entreprises, cela passe par la responsabilisation des salariés, la restauration de la confiance et la motivation. L'entreprise doit «passer d'une gestion des ressources humaines à une gestion humaine des ressources».

4. Glossaire

Absentéisme : «Absence qui aurait pu être évitée par une prévention suffisamment précoce des facteurs de dégradation des conditions de travail entendus au sens large : les ambiances physiques mais aussi l'organisation du travail, la qualité de la relation d'emploi, la conciliation des temps professionnel et privé, etc.» (Source : ANACT).

Bonheur au travail : Situation dans laquelle un salarié ou un collaborateur prend plaisir à se rendre à son lieu de travail et apprécie les tâches qui lui sont confiées.

Pyramide des besoins : Représentation pyramidale de la hiérarchie des besoins, une théorie de la motivation élaborée à partir des observations réalisées dans les années 1940 par le psychologue Abraham Maslow.

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