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Catégorie : Nadia Antonin
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1. Introduction

Après la vapeur, l’électricité, l’ordinateur personnel, la robotisation envahit le monde du travail dans tous les secteurs. Dans les années 80, l’automatisation était destinée à accomplir des tâches élémentaires et répétitives, comme par exemple visser des boulons et visait essentiellement l’industrie. Aujourd’hui, la robotisation concerne essentiellement le tertiaire, ouvrant ce que certains économistes ont baptisé le « deuxième âge de la machine ». En effet, que ce soit dans les banques, la restauration rapide, les cinémas, les transports en commun, les services postaux ou bien encore la grande distribution, nous assistons ces dernières années à un déploiement sans précédent du libre-service, se traduisant notamment par une multiplication des dispositifs automatiques.

Dans le domaine de la banque par exemple, les agents conversationnels (« chatbots ») vont faire partie du futur. Ainsi, afin d’assister ses conseillers, le Crédit Mutuel a signé un partenariat avec IBM afin d’utiliser son système d'intelligence artificielle Watson pour la lecture des mails et la recherche de réponses aux questions récurrentes des clients dans le domaine de l’assurance de biens et dans le domaine de l’épargne aux particuliers. Ce groupe bancaire a mis en place auprès de 20 000 conseillers de ses 5 000 caisses un analyseur de courrier électronique et deux assistants virtuels pour répondre en temps réel à leurs questions sur des produits techniques (assurance, épargne). De même, le 19 mars 2018, la Société Générale a lancé un test pendant 6 mois de l’agent conversationnel « Sobot » qui pourra répondre à toutes les questions relatives aux opérations qui sont passées sur le compte. A l’étranger, la Royal Bank of Scotland a décidé de conseiller ses clients via le robot conseiller Luvo et non plus par des conseillers humains. La Bank of America a ouvert des agences aux Etats-Unis entièrement automatisées. Lorsque les clients s’y rendent, ils découvrent une agence sans employés, des guichets automatiques et s’ils veulent parler à un conseiller, aucun problème : ils peuvent le faire par vidéo conférence ! Enfin, une banque a Singapour a déployé l’agent conversationnel KAI pour répondre par exemple aux clients qui demandent combien leur coûtera un retrait d'espèces à l'étranger ou si un virement a été débité de leur compte.

Dans le commerce, les caissier(e)s sont remplacés par des automates qui déplacent les tâches de passage des articles et de paiement vers le client final. Dans ce secteur, des écrans interactifs sont capables de renseigner les clients sur la disponibilité d’articles, leur emplacement dans un magasin ou encore sur la disponibilité de tel ou tel service dans un centre commercial.

Après avoir rappelé brièvement les conséquences de la robotisation sur l’emploi tertiaire, nous examinerons les aspects négatifs de la suppression du métier de caissier(e).

2. Impact de la robotisation sur l’emploi tertiaire

L’idée de l’impact de la robotisation sur l’emploi est évoquée régulièrement, tantôt comme une opportunité permettant de s’émanciper de certaines contraintes de la vie professionnelle, tantôt sous la forme du spectre du chômage technologique de masse qui va nous confronter à la « robocalypse » : un remplacement massif de personnes par des machines, parallèlement à une explosion du chômage.

En 1929, John Maynard Keynes a prédit que la diffusion rapide des technologies de l’automatisation entraînerait du chômage technologique  : Il proclamait : « Nous sommes atteints d’une nouvelle maladie dont certains lecteurs n’ont peut-être pas entendu le nom, mais dont ils entendront beaucoup parler dans les années à venir, à savoir le chômage technologique. Il faut entendre par là le chômage qui est dû au fait que nous découvrons des moyens d’économiser de la main d’œuvre à une vitesse plus grande que nous savons trouver de nouvelles utilisations du travail humain » (Keynes, 1930). « De son côté, Wassily Léontief écrivait : « Le travail deviendra de moins en moins important… De plus en plus de travailleurs seront remplacés par des machines. Je ne pense pas que les nouvelles industries puissent employer tous ceux qui veulent un emploi ».

Plus récemment, des chercheurs de l’université d’Oxford, Carl Frey et Michael Osborne, ont publié en 2013 une étude portant sur 700 types d’emplois et 70 métiers, cherchant à évaluer pour chacun d’entre eux la probabilité d’automatisation. Ils concluaient que 47% des emplois américains risquaient d’être automatisés dans les 10 ou 20 prochaines années tandis que seulement 33% des emplois présentaient un faible risque d’automatisation. Ils prévoyaient, en raison de l’automatisation, la suppression aux Etats-Unis, , de plus de 4 millions d’emplois de vendeurs, 3,3 millions d’emplois de caissiers et billettistes, 2,8 millions d’employés de bureaux, 2,2 millions d’emplois de serveurs, 2 millions d’emplois de manutentionnaires, 1,5 millions de conducteurs de poids lourds, 1 million de cadres comptables et 1,5 million d’assistants comptables.

Cette première approche basée sur la méthode de substitution d’emplois de Frey et Osborne a été vivement critiquée. Il leur a été reproché entre autres de surestimer le nombre d’emplois automatisables. Par ailleurs, au sein d’une même profession, les travailleurs peuvent avoir des tâches très différentes à accomplir (Autor et Handel, 2013). Enfin, des obstacles juridiques et éthiques sont à surmonter pour qu’il y ait substitution. C’est pourquoi les chercheurs Mélanie Arntz, Terry Gregory et Ulrich Zierahn du Centre pour la recherche économique européenne (ZEW), proposent de ne pas mesurer le risque d’automatisation par profession mais par tâches. Dans leur étude conduite pour l’OCDE en juin 2016 et intitulée « The Risk of Automation for Jobs on OECD Countries : A Comparative Analysis », ils ne retiennent comme « emplois à haut risque d’automatisation » que ceux dont au moins 70% des tâches sont susceptibles d’être automatisées et revoient à la baisse le chiffre des emplois risquant de disparaître avec l’automatisation. Ainsi, avec cette méthode basée sur la substitution des tâches, seulement 9% de l’ensemble des travailleurs aux Etats-Unis font face à un risque élevé d’automatisation de leur emploi . Cette proportion serait de 10% au Royaume-Uni , 9% en France et 7% au Japon. Une autre étude de France Stratégie publiée en juillet 2016 estime pour la France que le nombre d’emplois facilement automatisables à l’horizon 2025 serait d’environ 3,5 millions, soit 15% de l’emploi total, alors que ceux qui ne sont pas du tout automatisables s’élèvent à plus de 9 millions.

Les différentes recherches évoquées précédemment révèlent des estimations très variables des pertes d’emploi liées à l’automatisation et une impossibilité de calculer un solde net d’emplois gagnés et perdus.

Qu’en est-il dans le secteur de la grande distribution et quelles sont les conséquences pour le métier de caissier ?

3. Incidences de l’automatisation sur le métier de caissier

Les caisses automatiques qui permettent de diminuer drastiquement la masse salariale fleurissent depuis plusieurs années dans les supermarchés.

Le métier de caissier(e) fait partie des cinq métiers en voie de disparition à cause de la robotisation. Quels en sont les effets négatifs ?

A. Au niveau de l’emploi

B. Rupture du lien social (autant pour les caissières que pour les clients)

C. Risque de vol et de triche avec les caisses automatiques

Selon un article publié dans « The Atlantic », les supermarchés qui cherchent sans relâche à réduire les coûts de main-d’œuvre pourraient être tenus pour responsables, d’avoir créé un « environnement générateur de criminalité », privilégiant le profit avant la responsabilité sociale en « permettant aux voleurs de se servir eux-mêmes sans mettre de contrôles suffisants en place ». De son côté, Emeline Taylor, maître de conférences en criminologie à l’Université de Londres, dans une étude intitulée « How shoplifters justify theft at supermarket self-service checkouts », révèle que pour certains clients des supermarchés , la suppression des hôtes de caisse a donné le feu vert à un comportement malhonnête. Une enquête menée en 2014 par le Ministère de l’intérieur anglais dévoile que les supermarchés qui disposent de caisses en libre-service sont nettement plus susceptibles d’être victimes de vols à l’étalage (86%) que ceux qui n’en disposent pas (52%). L’auteur illustre son propos en faisant référence au « carrot trick ». Elle raconte qu’il y a quelques années, lorsqu’elle travaillait avec des détaillants en Australie pour réduire les vols à l’étalage, un des grands supermarchés avait découvert avoir vendu plus de carottes qu’il n’en avait jamais eu en stock. Perplexes face à cette situation, ils ont examiné leurs stocks et ont constaté que les clients achetaient des articles plus chers mais les faisaient passer en « carottes ». Ce comportement étant devenu une épidémie nationale, la police avait lancé une opération de répression visant spécifiquement à éviter les vols aux caisses en libre-service.

4. Conclusion : une clientèle qui résiste

Tout le monde ne raffole pas des caisses automatiques : «Il y a ceux qui les aiment et ceux qui détestent ça.» Certaines personnes passent volontairement par les caisses automatiques, quand d'autres continuent de privilégier les caisses traditionnelles et le contact humain. En Angleterre par exemple, une grande majorité des usagers interrogés se disent peu satisfaits du service et regrettent plus que les Français le manque de contact humain.

5. Glossaire

Agent conversationnel («chatbot ») : « Programme informatique capable de simuler une conversation avec un ou plusieurs humains par échange vocal ou textuel ».

Automatisation : Technique ou ensemble de techniques ayant pour but de réduire ou de rendre inutile l’intervention d’opérateurs humains dans un processus où cette intervention était coutumière.

Chômage technologique : Chômage résultant de la substitution du capital au travail das les combinaisons productives.

Direction de l'Animation de la recherche, des Études et des Statistiques (Dares) : Direction de l'administration publique centrale française, dont la principale mission est d'établir et d'analyser des statistiques relatives au marché du travail français.

France Stratégie : Organisme placée auprès du Premier Ministre qui formule des recommandations au pouvoir exécutif, organise des débats, pilote des exercices de concertation et contribue à l’évaluation ex post des politiques publiques.
Note : Créée par un décret du 22 avril 2013, France Stratégie a pris la suite du Commissariat Général au Plan (1946-2006) et du Centre d’analyse stratégique (2006-2013).

Intelligence artificielle : Ensemble d'algorithmes conférant à une machine des capacités d'analyse d'un grand nombre de données ainsi que des capacités d'apprentissage lui permettant d'accomplir des tâches jusqu'alors effectuées par des humains.

Mobilité professionnelle : Pratique consistant à changer d’organisation, donc d’employeur. Note : Ce changement peut être volontaire (recherche d’un emploi mieux rémunéré par exemple) ou involontaire (un licenciement pour faute grave par exemple).

Robotisation : Pratique consistant à équiper un lieu, en particulier un espace industriel, commercial de machines automatiques effectuant une tâche précise.

 

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