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Catégorie : Nadia Antonin
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1. Introduction

Dans un article intitulé « Pourquoi un tel acharnement en France contre la méritocratie ?» publié sur le site de l’ANDESE , nous avons présenté les mesures visant à favoriser la « discrimination positive » dans le domaine de l’enseignement secondaire et supérieur au détriment de la méritocratie. D’aucuns définissent la « discrimination positive » comme « une politique, une mesure ou une loi ayant pour objectif de favoriser par un traitement préférentiel une catégorie de personnes qui est sujette habituellement à une discrimination en raison de son origine sociale, ethnique ou religieuse, de son sexe, de son âge, de ses handicaps ». Ce concept trouve son origine aux États-Unis avec « l’affirmative action » mise en place en 1961, consistant à conférer un traitement préférentiel à certaines minorités. Les opposants à une telle pratique dénoncent ses effets pervers : « condescendance extrême », stigmatisation des bénéficiaires, création d’autres inégalités, renforcement du communautarisme et assistanat.

A rebours de cette « discrimination positive », nous assistons à une « discrimination négative » croissante subie par les seniors en France.

Après avoir illustré les discriminations à l’égard des seniors, nous évoquerons les effets néfastes d’un manque de considération et de respect à l’égard de ces derniers ainsi que le rejet d’un État « nounou ».

2. La discrimination et la stigmatisation des seniors en France

A. Le concept de « senior »

Un rapport du Centre d’analyse stratégique (CAS) intitulé « Vivre ensemble plus longtemps » fait référence à trois groupes de population : les « seniors » « âgés de 50 à 75 ans et encore en bonne santé » ; les « personnes âgées » ou les « ainés » « ayant plus de 75 ans et dont la santé se dégrade durablement, avec l’apparition de vulnérabilités plus ou moins importantes » et le « grand âge » « au-delà de 85 ans, marqué par des processus souvent accélérés de perte d’autonomies et de fragilités ». De son côté, l’Administration considère qu’une personne devient senior à l’âge de 60 ou 65 ans. Dans le contexte du marché du travail, selon les sujets ou les sources on parle de « seniors », à partir de parfois 45 ans, 50 ans ou 55 ans. Ces différences conceptuelles concernant la répartition de la population par âge révèlent une fois de plus le flou, la relativité, voir la subjectivité et le manque de maîtrise des concepts par les praticiens. En définitive, bien que ce concept fasse l’objet d’observations, d’analyses, de statistiques, il ne semble pas exister de consensus scientifique qui puisse déterminer le début de l’âge qui lui correspond. La citation d’Albert Camus « Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde » s’adapte bien au thème du présent article !

D’après l’INSEE, en 2021 la France compte 17,7 millions de personnes âgées de 60 ans et plus, soit environ 27 % de la population française totale. En 2030, ces personnes devraient représenter 20 millions de personnes en 2030 et 23,6 millions en 2060 (soit un tiers de la population française).

Dans un article « Vers la fin de l'économie des seniors (« silver economy ») ? » publié sur le site de l’ANDESE, nous avons rappelé qu’en 2013, l’économie des seniors représentait 92 milliards d’euros et devait dépasser les 130 milliards d’euros en 2020. Selon le Centre de recherches pour l'étude et l'observation des conditions de vie (CREDOC), 54 % des dépenses réalisées par les particuliers étaient en 2015 le fait de seniors. Par ailleurs, eu égard au développement des marchés dédiés aux seniors et à l'évolution démographique envisagée, l'économie des seniors pouvait entrainer la création de 300 000 emplois d'ici 2020 et engendrer une augmentation de 2,4 % du PIB autour de 2040. Pour les sociologues Henri Madras et Louis Dirn, « le troisième âge, constitue la « nouvelle classe de loisirs qui animera la société française ».

Mais comme le déclarent les professeurs Jean-Yves Duyck et Serge Guérin dans un article intitulé « Rajeunir le regard sur les seniors ? », « Le tableau est sombre. En France, l’apartheid envers les seniors est une réalité souvent douloureuse et l’on ne semble s’intéresser aux seniors que lors de grandes catastrophes (canicule de l’été 2003) ou dans les firmes, pour en faciliter l’éviction ».

Certaines décisions conduisent à une discrimination des seniors et donnent l’impression que les seniors dérangent et qu’ils ne suscitent aucun intérêt.

B. Les seniors sont-ils désormais les mal-aimés ?

Pour répondre à cette question, nous allons examiner les décisions et les comportements discriminatoires liés à l’âge dans le domaine de la santé, de l’emploi et du pouvoir d’achat.

a) Santé : passe sanitaire conditionné à la dose de rappel pour les plus de 65 ans

Le 9 novembre 2021, M. Emmanuel Macron a annoncé que la troisième dose de vaccin serait désormais obligatoire à partir du 15 décembre 2021 pour les personnes de plus de 65 ans sous peine de voir leur passe sanitaire désactivé. Cette annonce nécessitant des éclaircissements, le porte-parole du gouvernement a précisé le lendemain que le passe sanitaire ne serait plus opérant pour les personnes de plus de 65 ans ayant reçu leur deuxième dose depuis plus de six mois et cinq semaines.

Que penser de cette mesure qui discrimine une population bien ciblée (les plus de 65 ans) et qui de l’avis de certains, dont des médecins, « infantilise » les seniors et crée de l’iniquité ? Emmanuel Hirsch, professeur en déontologie médicale à la faculté de médecine, président du conseil pour l’éthique de la recherche et l’intégrité scientifique à l’université Paris-Saclay, juge la mesure « discriminante » à l’égard des personnes définies par rapport à leur âge. Lors d’une série d’interviews, il rappelle une évidence : « les personnes qui ont 65 ans et plus ne sont pas une catégorie de personnes homogènes ». Il rajoute : « On ne définit pas les personnes uniquement par leur âge. Il y a des personnes qui ont beaucoup d’activités. Il y a des personnes qui sont plutôt au domicile, des personnes qui sont plutôt dans des établissements. Donc je trouve que la formulation très prudentielle, du candidat à la présidentielle (sic), est une formulation qui me gêne d’un point de vue éthique. Elle a quelque chose d’un peu « âgiste » et discriminant dans sa formulation ». Le professeur Hirsch va même jusqu’à évoquer une « stigmatisation et un mépris de la part des décideurs ».

Quid de l’égalité devant la loi d’une telle disposition ? Le juste […] est ce qui est conforme à la loi et qui respecte l’égalité, et l’injuste est ce qui est contraire à la loi et ce qui manque à l’égalité.

Concernant l’égalité devant la loi, cette mesure relative au passe sanitaire « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ». S’agissant du contrôle de constitutionalité, le Conseil constitutionnel a été saisi du projet de loi présenté par l’Assemblée nationale portant diverses dispositions de vigilance sanitaire dont celle relative au prolongement du passe sanitaire jusqu’au 31 juillet 2022. Il a donné son feu vert dans une décision rendue publique le 9 novembre 2021. A ce propos, il est important de souligner que la décision relative à la désactivation du passe sanitaire pour les plus de 65 ans n’ayant pas reçu la troisième dose ne figurait pas dans ce projet de loi. Dès lors, le Conseil constitutionnel n'ayant pas statué sur cette nouvelle disposition, une nouvelle saisine de ce dernier serait souhaitable pour débattre de la constitutionnalité de cette nouvelle mesure qui vise les personnes de plus de 65 ans.

Ce problème de discrimination et de stigmatisation lié à l’âge s’était déjà posé lorsqu’il avait été question de confiner les seniors. Ces derniers se seraient calfeutrés pour que la société puisse fonctionner … sans eux. Les seniors avaient vécu cette proposition comme « infantilisante » et discriminatoire ». Comme le rappelle la Caisse des dépôts dans un document intitulé « Quelle place pour nos aînés dans la société », « la pilule a été difficile à avaler pour une génération de « baby-boomers » souvent hyperactive dans la société. La perspective de prolonger le confinement des plus âgés avait ainsi suscité un tollé et a vite été abandonnée ». Il est effectivement fréquent de voir des seniors beaucoup plus actifs que certains jeunes qui ont perdu toute ardeur et vivacité. Ces jeunes sont souvent déjà « amortis ». Pour le philosophe Pierre-Henri Tavoillot, dont les travaux sur l’âge font autorité, « bien vieillir, c’est rester autonome et surtout en relation avec les autres ». Il rajoute à juste titre que « beaucoup de personnes âgées trouvent insupportable de se voir désigner comme une catégorie à risque par les médias et par les politiques. Ils ne sont pas irresponsables et font preuve de prudence sans qu’on leur fasse la leçon. Ce risque d’infantilisation est une dérive constante de nos systèmes bureaucratiques. L’État est parfois tenté de mieux savoir que nous-mêmes ce que sont le bonheur et la bonne vie ! »

b) La discrimination à l’égard des seniors dans le domaine de l’emploi

« On est vieux dans le regard des autres bien avant de l’être dans le sien »
Benoîte Groult.

En remarque liminaire, nous proposons de revenir sur le concept « senior ». Il s’agit d’un anglicisme qui, en France, est employé soit pour désigner un individu élevé ou supérieur en rang ou en statut (économiste senior par exemple que l’on traduit par économiste en chef, principal et qui s’oppose à économiste junior) , soit une personne de plus de 50 ans ou jeune retraité. Au Québec, les canadiens réfutent le terme « senior » pour parler des personnes d’un certain âge. Ils utilisent le mot « aîné(e) », « personne âgée ». Dans le monde du travail, le terme de senior peut impliquer un jugement défavorable.

L’âge est le premier facteur de discrimination à l’embauche en France. D’après un rapport remis au gouvernement le 14 janvier 2020, corédigé par Sophie Bellon, Jean-Manuel Soussan et Olivier Mériaux, la France se situe en dessous de la moyenne européenne en matière d’employabilité des seniors. En 2019, 52,1 % des 55-64 ans travaillent en France (contre 58,7 % pour l’ensemble de l’Union européenne). De plus, seuls 31 % des 60-64 ans travaillent dans l’hexagone (contre 44,4 % en Europe). Enfin, la moitié des personnes qui partent à la retraite ne sont plus dans l’emploi. Nous sommes en-dessous de la moyenne européenne. En 2019, le Premier président de la Cour des comptes alertait sur « un risque de précarité » pour les plus de cinquante ans « exclus du marché du travail ».

Les seniors ne subissent pas seulement des discriminations à l’embauche. En effet, ils souffrent également du manque d’opportunités de progression professionnelle. Sana Guerfel-Henda (professeur à l’école supérieure d’Amiens) et Jean-Marie Peretti (professeur à l’ESSEC Business School) parlent de « plafond d’âge » qui limite les possibilités de promotion ou de mobilité choisie. On observe que lorsqu’un senior postule à une offre de poste et qu’il parvient à la dernière étape du processus, il se heurte au choix final d’une personne plus jeune à compétences parfois moindres. En matière de versement de primes ou d’augmentations individualisées, les seniors remarquent que les augmentations sont plus rares et d’un montant moindre que celles accordées aux jeunes. Enfin, il est manifeste que la plupart des managers en France préfèrent les plus jeunes. La discrimination basée sur l’âge nous concerne tous car personne ne pourra y échapper. Elle est un véritable défi de société. Anne-Marie Guillemard, dans un article titré « Pourquoi l’âge est-il en France le premier facteur de discrimination dans l’emploi ? », écrit que « l’intensité de la discrimination à l’encontre de l’âge, en France, se reflète dans les mauvaises performances en matière d’emploi, aussi bien pour les seniors que pour les jeunes. Seule la génération d’âge médian (30-45 ans) est bien insérée dans l’emploi ».

En conclusion, cette discrimination basée sur l’âge est une parfaite illustration de la faible qualité du management français.

c) L’érosion du pouvoir d’achat des retraités

Une étude publiée en mars 2019 par l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE ) révélait que sur l’année 2018, la diminution du niveau de vie des retraités avait été cinq fois plus importante que pour le reste de la population (0,4 % en moyenne pour l’ensemble de la population contre 2 % pour les retraités, soit un écart de 1,6 point. Les raisons qui expliquent cette diminution du pouvoir d’achat des retraités sont les suivantes : 1) la réévaluation du taux de la CSG en 2018 afin d’augmenter les recettes provenant de l’impôt. La hausse de 1,7 point concernant aussi bien les salaires que les pensions de retraite ou les revenus du patrimoine ; 2) la décision d’août 2018 de figer la hausse des retraites de base à 0,3 % pour 2019 et 2020 ; 3) la hausse des tarifs des complémentaires santé ; 4) la hausse des prix du carburant et du fioul domestique. Un deuxième rapport de l’INSEE du 9 septembre 2020 a confirmé ces données.

Avec une hausse importante de l’inflation en 2021, (2,6 % en octobre 2021 en glissement annuel d’après l’INSEE) et une non-revalorisation des retraites, les retraités devraient encore perdre en pouvoir d’achat.

Face à l’érosion du pouvoir d’achat des retraités, une des plus hauts représentants de l’État avait émis l’idée d’inciter ces derniers à déménager dans des endroits reculés de la France où la vie et les loyers seraient moins chers !

3. Les effets néfastes d’un manque de considération et de respect à l’égard des seniors

a) La rupture du contrat social

Une revue de littérature sur les textes fondateurs du concept « contrat social » nous ramène à trois familles de pensée : 1) une première famille libérale avec John Locke et Benjamin Constant. John Locke construit une théorie de la légitimité de l’autorité politique, des fondements et des limites de l’obéissance que nous lui devons. Il formule sa théorie du contrat social dans le « Second Traité du gouvernement civil ». Pour Locke, le contrat social intervient pour garantir les droits naturels que sont la « liberté individuelle » (être maître absolu de soi, n’être sujet de personne) et la « propriété privée » (fondée sur le travail et le droit de jouir de ses fruits. Il prévoit un droit de résistance aux abus de l’État, lorsqu’il met en péril la liberté et la propriété qu’il a normalement à charge de sauvegarder. Pour Benjamin Constant, la liberté est le triomphe sur le despotisme et sur les masses qui réclament le droit d’asservir la minorité ; 2) une autre famille, incarnée par Hobbes et Rousseau, propose au citoyen d’abandonner sa responsabilité au profit d’un Etat qui le protègera. Pour Hobbes, l’ordre et la sécurité, dont le garant sera le souverain, sont la contrepartie du renoncement à son droit naturel. Par un pacte mutuel, les hommes renoncent à leurs droits et en confient l’exercice à un tiers. C’est donc d’un contrat que naît le pouvoir. Quant au contrat social de Rousseau, il s’agit d’une analyse de la relation contractuelle entre l’État et le peuple. Nous renonçons à nos droits naturels au profit de l’Etat, qui, par sa protection, conciliera l’égalité et la liberté ; 3) enfin, il y a la version conservatrice du contrat social, celle d’Edmund Burke qui estime que "la société n'est qu'un contrat entre les morts, les vivants et ceux qui vont naître." Nous devons donc construire la civilisation en donnant du poids à nos ancêtres, à nous-mêmes et à ceux qui sont encore à naître. En outre, il estime que nous recherchons la sécurité plutôt que les notions abstraites d'égalité et de liberté. « Les humains sont largement sceptiques quant à ce que la politique et les politiciens peuvent espérer leur apporter ».

La crise sanitaire de la Covid-19 a mis à mal le contrat social français.

Pour Edouard Husson, professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes européennes, « le gouvernement actuel n’a pas fait confiance aux forces de la société civile ; quitte à déposséder les citoyens de leurs prérogatives, l’Etat a failli dans sa mission de protection ».

Quant à la sécurité sur laquelle repose également le contrat social (voir Hobbes), Christophe Boutin, politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen, reproche au gouvernement d’Emmanuel Macron d’avoir été « incapable d’assurer la sécurité des Français ». Les agressions, les violences gratuites, les féminicides, les attaques des forces de l’ordre, les rixes, … se multiplient. L’insécurité explose en France : la violence est présente au quotidien.
Le contrat social est rompu. D’une société de confiance, la France est devenue une «société de défiance» : expression empruntée à l'ouvrage de Yann Algan et Pierre Cahuc intitulé : « La société de défiance: comment le modèle social français s'autodétruit ».

b) Un conflit de générations

Depuis quelques années, les médias et le gouvernement français se focalisent sur le vieillissement de la population. Ils ne cessent de rappeler que la société française est vieillissante, de relater le « problème économique » capital que constitue le paiement des retraites des aînés, de parler de dépendance, d’évoquer le poids des personnes âgées pour la nation et d’arguer un risque de submersion des systèmes de santé. Henri Mendras et Louis Dirn dénoncent cette idée selon laquelle les « vieux » sont des « assistés, un problème social, un poids pour la nation parce qu’ils ne sont plus actifs ». Cette stigmatisation des aînés, qui s’est accrue durant la crise sanitaire, ne peut que déboucher sur un conflit de générations dans une société qui a une image plutôt négative de l’avancée en âge. Nous observons hélas que lorsque certains emploient le mot « vieux », c’est souvent dans un sens péjoratif ou méprisant. A l’inverse, jusqu’au XIX ème siècle, le vieillard est respecté, il est rare et il représente la sagesse, le patriarche à l’expérience précieuse !

Cette vision négative véhiculée dans la société se retrouve dans la plupart des enquêtes qui révèlent que l’âge constitue le facteur de discrimination le plus important, loin devant le sexe, l’origine ethnique ou la religion.

Au lieu de chercher à créer des conflits intergénérationnels, il faut, comme le souligne Henri Madras, "développer de nouvelles solidarités entre les générations afin d'éviter une "fracture générationnelle" et ne pas créer de nouvelles inégalités". La solidarité entre générations, facteur de cohésion sociale, doit irriguer tout projet de société. Mais, comment peut-on parler de cohésion sociale lorsque les mesures qui sont prises viennent d'une part étayer l'argument selon lequel les retraités sont responsables des difficultés que rencontre la jeunesse et d'autre part renforcer les stéréotypes anti-vieux, ce que l'on appelle l'âgisme ?

c) Des effets délétères sur la santé physique et mentale

La discrimination ou la stigmatisation associée au vieillissement a des effets délétères sur la santé physique et mentale. Stéphane Adam (professeur de psychologie du vieillissement à l’Université de Liège en Belgique), Sven Joubert (professeur au département de psychologie de l’Université de Montréal) et Pierre Missoten (professeur de psychologie du vieillissement) traitent de ces effets dans un article intitulé « L’âgisme et le jeunisme : conséquences trop méconnues par les cliniciens et chercheurs ! ». Ils concluent leur étude en soulignant que « la dimension psychosociale associée au vieillissement constitue un élément incontournable à considérer et qui devrait être l’élément de base de toute formation pour des professionnels amenés à travailler avec des personnes âgées ».

4. Le rejet de « l’État nounou » (nanny State »)

La crise sanitaire de la Covid-19 a mis en exergue le rejet de « l’État nounou » par les Français. Ainsi, l’essayiste et entrepreneur Mathieu Laine explique dans son essai « Infantilisation, cet État qui nous veut du bien », que « la pandémie n’aura été que le baromètre en fusion d’un phénomène plus profond : la prise de pouvoir totale de l’État nounou, cette bureaucratie qui nous veut du bien ». Il dénonce la propension de l’État bureaucratique, technocratique et centralisateur à infantiliser les français. Pour l’auteur, « l’État provoque une fièvre maternante, hygiéniste et centralisatrice qui révèle un mal préexistant : une infantilisation croissante, de plus en plus consentie » […] « l’infantilisation est un poison lent. A trop abandonner nos libertés, nous désapprenons la liberté ». Lors d’une interview il rajoute : « Ce n’est pas 66 millions de procureurs mais 66 millions d’enfants !».

S’agissant du pouvoir de l’État, « ce dernier n’a d’autres fins que d’assurer la sauvegarde des droits naturels (liberté individuelle, propriété privée, etc. » (John Locke). Son rôle légitime est la protection des libertés individuelles. Nous attendons de l’État qu’il assure les fonctions régaliennes de police, de justice et de défense. Nous n’avons pas besoin d’un État qui nous « materne, nous asservit et nous déresponsabilise » comme le dénonce Mathieu Laine en 2016 dans son dictionnaire intitulé « Dictionnaire amoureux de la Liberté ». Il écrit : « L’État décide en effet à notre place ce qui est bon ou non pour nous, « du vin au sport », des UV à l’aspartame, de la canicule au grand froid, de la fessée à Internet et aux ondes des lignes à haute tension ». De même, Alain Laurent, philosophe, essayiste et éditeur aux Belles Lettres, stigmatise dans son livre « Responsabilité » publié en 2020 « l’entreprise de déresponsabilisation institutionnelle » qui sévit dans nos sociétés. Il écrit : « En prodiguant la quasi-certitude d’être automatiquement assisté quoiqu’on ait commis, l’État providence hypertrophié atrophie la responsabilité de soi et le sens de la responsabilité ». Nous retrouvons ces préoccupations chez des philosophes du XVIII ème siècle et XIX ème siècle.

Ainsi, Kant dans son livre « Théorie et pratique » (1793) sur les thèmes « État et bonheur », écrit « Un gouvernement qui serait fondé sur le principe de la bienveillance envers le peuple, tel celui d’un père envers ses enfants, c’est-à-dire un gouvernement paternaliste, où par conséquent les sujets, tels des enfants mineurs incapables de décider de ce qui leur est vraiment utile ou nuisible, sont obligés de se comporter de manière purement passive, afin d’attendre uniquement du jugement du chef de l’Etat la façon dont ils doivent être heureux, et uniquement de sa bonté qu’il le veuille également – un tel gouvernement, dis-je, est le plus grand despotisme que l’on puisse concevoir (constitution qui supprime toute liberté des sujets qui, dès lors, ne possèdent plus aucun droit)».

A la fin du tome II de « La démocratie en Amérique » Tocqueville écrivait « Au-dessus (des individus) s’élève un pouvoir immense et tutélaire, qui se charge seul d’assurer leur jouissance et de veiller sur leur sort. Il est absolu, détaillé, régulier , prévoyant et doux. Il ressemblerait à la puissance paternelle si, comme elle, il avait pour objet de préparer les hommes à l’âge viril ; mais il ne cherche, au contraire, qu’à les fixer irrévocablement dans l’enfance ; […]. C’est ainsi que tous les jours il rend moins utile et plus rare l’emploi du libre arbitre ; qu’il renferme l’action de la volonté dans un plus petit espace, et dérobe peu à peu à chaque citoyen jusqu’à l’usage de lui-même […]. Après avoir pris ainsi tour à tour dans ses puissantes mains chaque individu, et l’avoir pétri à sa guise, le souverain étend ses bras sur la société toute entière ; il en couvre la surface d’un réseau de petites règles compliquées, minutieuses et uniformes, à travers lesquelles les esprits les plus originaux et les âmes les plus vigoureuses ne sauraient se faire jour pour dépasser la foule ; il ne brise pas les volontés, mais il les amollit, les plie et les dirige ; il force rarement d’agir, mais il s’oppose sans cesse à ce qu’on agisse ; il ne détruit point, il empêche de naître ; il ne tyrannise point, il gêne, il comprime, il énerve, il éteint, il hébète, et il réduit enfin chaque nation à n’être plus qu’un troupeau d’animaux timides et industrieux, dont le gouvernement est le berger ».

5. Conclusion

Défavoriser une personne en raison de son âge, […] est interdit par la loi et les conventions internationales auxquelles adhère la France. Cela étant, le droit français a du mal à s’approprier la notion de « discrimination », notamment lorsque celle-ci est liée à l’âge. A cet égard, Gérard Lyon-Caen, un des plus prestigieux spécialistes français du droit du travail, écrivait : « Alors que la discrimination fondée sur le sexe est, depuis un demi-siècle, pourchassée par une norme juridique prohibitive, vigoureusement appliquée par les juges, et généralement acceptée – au point que cette discrimination est sous nos yeux en voie de disparition – celle s’inspirant de l’âge, quoique légalement proscrite par le code du travail, reste monnaie courante parce que sans doute acceptée, voire désirée par l’opinion commune ».

En outre, comme le préconisent Henri Madras et Louis Dirn, « pour la gestion de notre société, il faut arrêter de considérer le troisième âge comme un poids qui en freine l’essor ». Contrairement à ce que pensent certains gouvernants, ce n’est pas en créant un conflit de générations que la France va sortir de son climat délétère. D’ailleurs, pour le sociologue Serge Guérin et le philosophe Pierre-Henri Tavoillot, « la guerre des générations n’aura pas lieu ». Dans l’ouvrage qu’ils ont coécrit, ils montrent qu’au contraire le lien intergénérationnel se renforce. Ils plaident pour des politiques intergénérationnelles : « Dans un univers désenchanté, le salut de l’individu hyper-moderne réside dans la qualité du lien aux autres ».

6. Glossaire

Agisme : Comportement discriminatoire lié à l’âge et non justifié.

Contrôle de constitutionnalité : Contrôle du respect de la Constitution, ainsi que de l’ensemble des principes du « bloc de constitutionalité ».

Discrimination positive : Principe visant à instituer des inégalités pour promouvoir l’égalité, en accordant à certains un traitement préférentiel (Source : Baptiste Villenave : « La discrimination positive : une présentation »).

Économie des seniors : Ensemble d'activités économiques et industrielles destinées aux seniors.
Note L’économie des seniors a été créée en France en 2013 par la signature d'un contrat de filière "Économie des seniors" par le ministère de l'économie et celui chargé des personnes âgées "afin de créer un écosystème national et régional destiné à soutenir le développement du secteur, de faire émerger un grand marché en France et aussi d'exporter ce savoir-faire".

Question prioritaire de constitutionalité (QPC) : Possibilité pour un justifiable de contester la constitutionnalité d’une loi déjà entrée en vigueur à l’occasion d’un procès.

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