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Catégorie : Nadia Antonin
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1. Introduction

Dans un article intitulé « Numérique : le grand gâchis énergétique », publié le 16 mai 2018 dans le journal du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), Laure Cailloce met en évidence l’impact environnemental du numérique eu égard notamment à une consommation d’énergie excessive. Elle démontre qu’en l’absence d’une prise de conscience collective, la prédominance des outils numériques est à l’origine d’une surconsommation très inquiétante d’énergie. De même, l’Agence de la transition écologique (ADEME), dans un rapport publié en janvier 2021 « La face cachée du numérique », évoque entre autres la consommation d’électricité comme effet néfaste de l’accroissement des usages du numérique.

D’aucuns se demandent à juste titre si l’expression « sobriété numérique » constitue un oxymore.

D’un côté, nous assistons à une volonté d’accélération du numérique, allant de pair avec une très forte augmentation de la consommation énergétique, mais d’un autre côté, nous déplorons une politique de restriction de la production d’électricité d’origine nucléaire. Pourquoi cette antinomie ?

Après avoir évoqué l’essor du numérique et ses besoins énergétiques toujours à la hausse, nous nous pencherons sur les motifs structurels et politiques qui ont conduit à sacrifier l’importante source d’approvisionnement en électricité que constitue le nucléaire.

2. L’essor du numérique

Le bond du numérique est vecteur d’un paradoxe : il est régulièrement présenté comme la troisième révolution industrielle alors que les risques qu’il engendre ne cessent de croître (cybercriminalité, surconsommation électrique, problèmes psychosociaux).

A. La fuite en avant numérique

Aujourd’hui, le numérique envahit toutes les sphères de notre vie. Les technologies de l’information et de la communication (TIC) envahissent chaque jour un peu plus notre espace vital. D’aucuns parlent d’une « invasion au quotidien ».

Nous sommes devenus des consom’acteurs de la révolution numérique.

La « troisième révolution industrielle » (TRI) est un concept popularisé par l’économiste Jérémy Rifkin. Elle se caractérise par la convergence des technologies de l’information et de la communication (TIC), des énergies renouvelables et de nouveaux moyens de transport au sein d’un réseau intelligent.

D’après Jérémy Rifkin, « pour éviter la catastrophe climatique, nous pourrions compter sur l’énergie solaire et éolienne, l’internet des objets, la chaîne de blocs (« blockchain »), et les voitures autonomes ».
Pouvons-nous vraiment y croire ? Concernant l’énergie solaire et éolienne, elles ne pourront pas remplacer l’énergie nucléaire car elles présentent de nombreux inconvénients. Pour ce qui est de l’énergie solaire : 1) elle constitue une production discontinue, liée à la présence du soleil (absent la nuit) ; 2) la production est plus faible l’hiver alors que la consommation est plus forte ; 3) il s’agit d’une électricité encore chère qui nécessite des aides publiques. Quant à l’énergie éolienne, un des inconvénients majeurs réside dans la difficulté à prévoir. En effet, les vents sont difficiles à anticiper. Par ailleurs, le coût de construction d’une éolienne reste élevé. S’agissant des objets connectés qu’évoque Jérémy Rifkin, ils occupent une place essentielle dans l’économie numérique. On estime aujourd’hui à environ 18 milliards le nombre d’objets connectées. Pour Christophe Alcantra, enseignant chercheur en sciences de l’information et de la communication à Toulouse, les objets connectés représentent « une vraie colonisation numérique ». Ils sont très proches de l’intimité des personnes et constituent une mine d’or pour les pirates (« hackers ») qui peuvent utiliser les données personnelles et confidentielles à des fins malveillantes. Pour ce qui est de la chaîne de blocs (« blockchain »), nous constatons un véritable engouement pour cette technologie et les applications sont nombreuses. Mais quid de la consommation d’électricité liée à l’utilisation de cette technologie (voir plus loin) ? Enfin, Jérémy Rifkin espère que nous allons utiliser des voitures électriques et autonomes.

Les auteurs d’un document de travail publié par France Stratégie en octobre 2020, intitulé « Maîtriser la consommation énergétique du numérique : le progrès technologique n’y suffira pas », évoquent les fortes craintes en termes énergétiques des technologies émergentes. Ils soulignent la croissance à un rythme soutenu de la consommation énergétique du secteur numérique « qui vit un âge d’or ». Selon le Shift Project, « en seulement cinq ans, entre 2013 et 2017, la consommation globale du numérique a augmenté de 50 %, passant de 2 000 à 3 000 TWh par an […] D’ici 2025, la consommation énergétique du numérique devrait continuer à croître à un rythme annuel de 10 % et pourrait se situer entre 5 700 et 7 300 TWh en 2025 […] Deux technologies émergentes suscitent par ailleurs de fortes craintes en termes énergétiques : les crypto-monnaies et l’internet des objets ».

Pour illustrer la fuite en avant numérique en France, nous proposons également de nous référer à certains chiffres communiqués par différentes instances dont Bpifrance : 1) la France occupe la 1ère place européenne pour l’administration en ligne (Bpifrance) ; 2) nous disposons de 13 millions de bornes Wifi contre 9,58 millions pour les USA (Cabinet Maravedis Rethink) ; 3) trois entreprises françaises sur cinq sont passées aux mégadonnées (« Big Data »), un chiffre supérieur à celui du Royaume-Uni (Teradata) ; 4) 400 000 étudiants et salariés formés via MOOC (Bpifrance) ; 5) en 2021, 92 % de la population française est connectée (BDM) ; 6) 40 millions d’utilisateurs actifs mensuels de Facebook ; 7) le numérique représente 5,5 % du PIB français et sa part pourrait doubler dans les prochaines années, selon une récente étude du cabinet McKinsey. Selon ce cabinet, le secteur a créé 700 000 emplois en 15 ans (Bpifrance).

Enfin, la pandémie de la Covid-19 a été un accélérateur de la numérisation aussi bien pour les particuliers que pour les entreprises (voir N. Antonin, « Covid-19 : Fuite en avant technologique et cybercriminalité », avril 2021 - ANDESE).

B. L’impact du progrès technologique sur les consommations énergétiques

Notre siècle connait d’importantes innovations technologiques. Cela étant, ces inventions technologiques ont un impact conséquent sur les consommations d’énergie : Frédéric Bordage, représentant du collectif d’experts en numérique « Green IT », alerte sur le risque lié à l’explosion des consommations énergétiques. Ainsi, pour une charge du système à 100 %, une antenne 5G consomme 3,5 fois plus d’électricité qu’une 4G. « Le numérique représenterait déjà en matière de dépenses énergétiques l’équivalent d’un 7ème continent ». Pour cet expert, le gros de la consommation énergétique n’est pas dans les centres de données (« data centers »). Il est dans la fabrication et l’activation de nos terminaux (smartphone, ordinateur, objet connecté, …) puis dans le réseau. L’utilisation de la 4G a un impact énergétique très lourd, 20 fois plus élevé que l’ADSL ».

Voici quelques exemples d’innovations numériques récentes qui consomment énormément d’énergie et qui n’ont pas que des adeptes :

3. Une course vers le tout numérique et en même temps une dégradation de la politique électronucléaire

Alors que l’Europe va souffrir d’une crise énergétique sans précédent, la France, avec le deuxième parc nucléaire au monde exportait plus d’électricité qu’elle n’en importait. L’indisponibilité d’une partie du parc nucléaire l’a obligée à se procurer d’importantes quantités d’électricité auprès de pays voisins au cours du premier semestre 2022. Pour la période hivernale à venir (2022-2023), les autorités gouvernementales prévoient des tensions sur la fourniture en électricité si les vagues de froid sont importantes. Nous allons être confrontés au spectre d’une raréfaction de la fourniture d’électricité.

Comment expliquer ce risque de pénurie dont nous ne sommes pas coupables mais victimes ? Certains invoquent des prises de positions politiques, des erreurs de gestion et d’anticipation. A cause de ces facteurs auxquels nous pouvons rajouter la perte de compétences et le manque de rénovation, sur 56 réacteurs, 27 sont à l’arrêt le 20 septembre 2022, soit près de la moitié du parc nucléaire national.

A. Les causes structurelles et politiques des problèmes d’approvisionnement en électricité

Dans un contexte de grave crise énergétique, renforcée par la guerre en Ukraine, la commission des affaires économiques du Sénat en France a estimé indispensable d’effectuer un point d’étape sur la sécurité d’approvisionnement électrique. Son constat est sans appel : « l’activité de production nucléaire du groupe EDF est tombée à un niveau jamais vu depuis le début des années 1990 ». EDF a annoncé 12 arrêts de réacteurs nucléaires fin février 2022 et une production historiquement faible cette année. Les membres de cette commission soulignent également que notre « sécurité d’approvisionnement en électricité présente des risques ». Ils rajoutent : « le bilan de la politique nucléaire du gouvernement enregistre une dégradation sans précédent ». Cette situation de tension va entraîner de lourdes conséquences pour tous les consommateurs d’énergie : ménages, entreprises et collectivités territoriales.

La situation de tension à laquelle nous sommes confrontés a placé la France en « vigilance particulière », cet hiver et jusqu’en 2024.

Parmi les causes structurelles, il faut mentionner le désintérêt pour le nucléaire et le manque d’anticipation. Comme le souligne le rapport de la commission des affaires économiques du Sénat en France, « le Gouvernement a trop longtemps délaissé la filière nucléaire ». Décidée par François Hollande et exécutée par Emmanuel Macron sous la pression des écologistes qui voulaient sortir du nucléaire « la fermeture de la centrale de Fessenheim, pourtant pleinement fonctionnelle sur le plan de la sûreté, va priver la France d’une pleine capacité de 1,8 GW, soit 1 800 éoliennes ou 15 centrales thermiques. Jusqu’à tout récemment, aucune décision sur les arrêts de réacteurs ou les perspectives d’investissement dans de nouveaux n’avait été prise […] Ces causes étaient prévisibles. La Commission a alerté sur l’absence d’étude d’impact des arrêts de réacteurs et de centrales à charbon, dès la loi « Energie-Climat » de 2019. Elle a proposé de mettre fin aux arrêts de réacteurs, dès la loi « Climat-Résilience ».

Aux conséquences néfastes de la fermeture de Fessenheim, il faut rajouter les retards à répétition empêchant le lancement du nouveau réacteur EPR de Flamanville prévu pour être mis en service en 2022 et dont la connexion au réseau a été encore repoussée en 2024.

Lors d’une interview du 11 décembre 2022, Fabien Bouglé « Les vérités cachées du nucléaire », nous éclaire sur l’évolution de la politique nucléaire. Il déclare : « Nous sommes en guerre énergétique avec l’Allemagne ». Il rajoute : « Il y a 20 ans, l’Allemagne a demandé le réduction de centrales nucléaires au profit d’éoliennes ». Puis, il rappelle que Dominique Voynet, du Parti les Verts, ministre de l’aménagement du territoire et de l’environnement de 1997 à 2001, et Lionel Jospin, alors chef du gouvernement, ont fermé Superphénix en 1997. Ce réacteur surgénérateur à neutrons rapides (RNR) a été mis en service en 1986. Puis il a été décidé en 1996 de renoncer à la production d’électricité mais d’utiliser les neutrons rapides du réacteur pour y brûler des déchets radioactifs. Un rapport du Sénat déclarait que la fermeture de Superphénix était une décision grave pour la France. Les sénateurs déplorent a) une décision prise sans concertation ; b) une décision sans fondement autre qu’électoraliste ; c) une décision coûteuse pour EDF. Fabien Bouglé a conclu son interview en évoquant les groupes de pression allemands dans nos institutions. Pour illustrer ses propos, il cite l’Officine franco-allemande pour la transition énergétique créée en 2006 par les gouvernements français et allemand (OFATE).

Pour conclure sur les causes structurelles et politiques des problèmes d’approvisionnement en énergie, nous suggérons de nous référer aux critiques de certains élus : 1) la libéralisation du marché européen de l’électricité avec la vente à perte de plus d’un quart du volume de production d’EDF à ses concurrents, dans le cadre de l’ARENH (Accès Régulé à l’Electricité Nucléaire Historique) a conduit à l’affaiblissement de l’entreprise nationale ; 2) sous la pression des Allemands et de l’inconscience des écologistes extrémistes, notamment dénoncé par Jean-Marc Jancovici qui a démontré combien ces choix étaient absurdes d’un point de vue scientifique pour l’écologie, nous avons laissé s’effondrer notre parc nucléaire au bénéfice notamment du développement des éoliennes. Fabien Bouglé les décrit comme « la face noire de la transition écologique » dans son ouvrage « Les éoliennes ». Il dénonce le désastre écologique et financier des éoliennes. De même, Patrice Cahart, ancien haut-fonctionnaire et auteur de « La peste éolienne » déplore le développement des éoliennes « qui ne peuvent rien pour le climat ». Il précise que « dans notre pays, une éolienne ne fonctionne, en moyenne, qu’à 25 % de sa puissance , et un capteur photovoltaïque, qu’à 15 % de sa puissance ». Il écrit : « Le rouleau compresseur éolien continue d’avancer dans nos campagnes ». Elisabeth Borne, alors ministre de la transition écologique et solidaire, a dénoncé un développement « anarchique » de l’éolien terrestre devant la Commission des affaires économiques du Sénat le mardi 18 février 2020 : « Il y a des emplacements de parcs éoliens en « covisibilité » avec des monuments historiques. Je ne comprends même pas comment on a pu arriver à ces situations. On a des territoires dans lesquels on a une dispersion de petits parcs de taille et de forme variable qui donnent une saturation visuelle, voire une situation d’encerclement autour de certains bourgs qui est absolument insupportable ». Malheureusement, cette déclaration n’a pas été suivie d’effet. Madame Elisabeth Borne prévoit de doubler la puissance de production des éoliennes d’ici 2028. Enfin, d’après une enquête effectuée par l’Association SOS Danger éolien dans le département de l’Aisne, les citoyens souffriraient d’insomnies, de migraines, d’acouphènes, de vertiges, de bruits insupportables, de saignements d’oreille, d’hypertension, de tachycardie, etc.
; 3) aucune décision n’a été prise pour la maintenance du parc nucléaire ; 4) nous disposons aujourd’hui d’un système énergétique qui s’est nettement dégradé.
La « crise ukrainienne n’est pas la cause de nos malheurs, elle n’en est que le révélateur ».

B. Comment maîtriser la surconsommation énergétique du numérique ?

Les outils et services que propose à tous la révolution numérique (Centres de données, ordinateurs, tablettes, capteurs et autres objets connectés, smartphones, réseaux sociaux, crypto-actifs, chaîne de blocs, intelligence artificielle, …) sont en très forte augmentation et réclament de plus en plus d’électricité. Dans la mesure où nous nous heurtons à des problèmes d’approvisionnement en électricité pour les raisons évoquées précédemment (recul de la production nucléaire, manque d’anticipation, choix politiques faits par l’Europe et par notre propre Gouvernement, pression des écologistes, …), des mesures doivent être prises pour freiner la frénésie du numérique. Voici quelques pistes de réflexion :

4. Glossaire

Blanchiment : " Délit qui consiste à faciliter, par tout moyen, la justification mensongère de l’origine des biens ou des revenus de l’auteur d’un crime ou d’un délit ayant procuré à celui-ci un profit direct ou indirect" (article 324-1 du Code pénal).

Chaîne de blocs (« Blockchain ») : « Technologie de stockage et de transmission d’informations, permettant la constitution de registres répliqués et distribués, sans organe central de contrôle, sécurisées grâce à la cryptographie et structurées par des blocs liés les uns aux autres, à intervalles de temps réguliers » (source : Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST).

Crypto-actif : « Représentation numérique d'une valeur qui n'est pas émise ou garantie par une banque centrale ou par une autorité publique, qui n'est pas nécessairement attachée à une monnaie ayant cours légal et qui ne possède pas le statut juridique d'une monnaie, mais qui est acceptée par des personnes physiques ou morales comme un moyen d'échange et qui peut être transférée, stockée ou échangée électroniquement » (Source : Article L54-10-1 du Code monétaire et financier).

Financement du terrorisme : Dans le cadre de la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme, fait de fournir ou de réunir des fonds dans l’intention de les voir utilisés ou en sachant qu’ils seront utilisés pour commettre un acte terroriste.

Mégadonnées ("Big Data") : « Phénomène qui fait référence à des technologies, outils, processus et procédures accessibles, permettant à une organisation de créer, manipuler et gérer de très larges quantités de données, afin de faciliter la prise de décision rapide ». (Source : IDC)

Minage : Procédé consistant à créer et à assurer la circulation d'une monnaie virtuelle à l'aide d'algorithmes de chiffrement.

Mineur : Personne physique ou morale qui valide les transactions et alimente la puissance de calcul de la chaîne de blocs.

Monnaie numérique de banque centrale (MNBC) : « Instrument de paiement numérique, libellé dans l’unité de compte nationale et représentant directement un passif dû par la banque centrale » (Voir rapport « Central bank digital currencies : foundational principles and core features »).

Objet connecté : Objet électronique capable de communiquer avec un autre objet (souvent un ordinateur, une tablette ou un smartphone).

Preuve de travail (« Proof of Work/PoW) : Preuve du traitement cryptographique qui a permis la validation des blocs de transactions.

Preuve d’enjeu (“Proof of Stake”/PoS) : Méthode de validation des blocs qui vise à créer un consensus décentralisé dans une chaîne de blocs.

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