Imprimer
Catégorie parente: Chronique
Catégorie : Bernard Biedermann
Affichages : 3041

Une économie à croissance zéro peut elle être en équilibre ?

Depuis quelque temps, notamment aux Etats-Unis, on fait l’hypothèse d’un ralentissement de la productivité des facteurs de production et donc du revenu. On se fonde sur le constat d’une diminution du nombre des brevets et des d’innovations. Avant d’imaginer les conditions d’une économie à croissance zéro, revenons sur la définition de la croissance et celle de l’équilibre.

 

L’hypothèse de Gordon

L’économiste Robert Gordon estimait en 2012 que « l’on a toutes les raisons de penser que la croissance moyenne à 2% c’est définitivement fini ! », nous serions donc au début d’une stagnation séculaire. La croissance élevée des 250 dernières années n’était en fait qu’une exception dans l’histoire de l’humanité. Les révolutions industrielles puissantes comme, la machine à vapeur le rail, l’électricité, l’eau courante, le moteur à explosion, la chimie et les télécommunications ont eu des effets considérables sur la productivité du capital et du travail. L’hypothèse de Gordon consiste aussi à faire le constat que la vague actuelle d’innovations ne semble pas générer la même croissance des revenus et de la productivité que les vagues précédentes. Et surtout, on constate  un phénomène d’innovations déclinantes.
Bien entendu, les prévisions en matière d’économies et d’innovation « sont un art difficile surtout lorsqu’elles concernent l’avenir ! ». Les techno-optimistes (Brynjolsson, Mcaffee)  suggèrent que nos économies sont à un point d’inflexion avec un retour du progrès technique grâce, aux robots, à l’impression en 3D, au domaine médical, aux mégadonnées (big data) et aux voitures sans chauffeurs.
L’objectif de cet article n’est pas d’entrer dans cette polémique passionnante mais d’envisager le scénario économique selon l’hypothèse de Gordon. Il s’agit bien entendu du long terme, c'est-à-dire des décennies à venir. Précisons que la reprise actuelle de la croissance au niveau mondial depuis 2014 ne s’inscrit pas dans cette perspective car elle est avant tout basée sur des ressources en capital et travail inemployées depuis quelques années.

Définition croissance économique

Par définition, la croissance économique est une augmentation continue de la production et de la vente des produits et services d’un pays. Cette croissance est mesurée en prix constants, autrement dit « en volume ». L’outil de mesure le plus utilisé est le PIB car il permet des comparaisons internationales.

Les déterminants de la croissance
Une économie équilibrée dont la démographie augmente régulièrement connaît une croissance économique uniquement liée, à l’évolution de la population. La part de la population dite active constitue le premier facteur de production. Elle est définie par le nombre d’heures travaillées par an et par la productivité des travailleurs qui varie en fonction du niveau de formation et des conditions d’organisation dans l’entreprise. La productivité du travail est également liée à l’utilisation des machines, terrains agricoles, logiciels,…, c'est-à-dire le capital. Plus précisément on tient compte du taux d’utilisation du stock de capital. Lorsque la production augmente on utilise progressivement plus de capital en faisant fonctionner d’abord les machines qui sont les plus productives. Par exemple, un agriculteur plantera des semences en priorité sur les champs dont la terre est meilleure. C’est ce que l’on appelle sur le court terme, la productivité décroissante. Mais, les inventions et améliorations régulières du capital compensent largement cette productivité décroissante et lorsque le phénomène est continu on assiste alors à une croissance continue de l’économie. Capital et travail entretiennent des relations réciproques. Ainsi, une nouvelle machine sera vraiment performante si les techniciens qui l’utilisent sont eux même bien formés.

Modèles  de croissance  
Les modèles de croissance sont des outils fondés sur des hypothèses théoriques. Leur objectif est triple : établir des prévisions sur la base de statistiques nationales, calculer les valeurs potentiels du PIB, formuler des recommandations au profit des politiques économiques de long terme. Dans ces modèles, les hypothèses de niveau du progrès technique génèrent des gains de productivité du capital et du travail. Ils constituent les variables essentielles agissant sur le revenu global. Plusieurs autres variables y contribuent de manière plus ou moins directe : institutions politiques et culturelles, conditions géographiques et climatiques, environnement diplomatique international (guerres  politiques d’échanges),….

Qu’est ce qu’une économie en équilibre ?
L’équilibre économique, est LE sujet qui depuis toujours passionne les économistes sur les plans théorique et politique. Le définir en quelques phrases est donc quasiment impossible. Pour faire simple, une économie en équilibre ne connaît ni chômage ni inflation. Une bonne circulation de l’information garantie l’efficacité du fonctionnement des marchés. Offres et demandes sur tous les marchés ne subissent pas de tensions; il n’y a pas de surprises par rapports aux anticipations.
Dans la réalité, une situation d’équilibre est plutôt rare pour plusieurs raisons : chocs extérieurs, météorologie exceptionnelle, erreurs de politiques économiques, chocs technologiques, importantes variations des préférences des consommateurs; ces deux dernières variables participent au processus de destruction créatrice générateur de chômage et d’inflation.

Une économie à productivité constante et en croissance zéro peut elle être en équilibre ?  
Rien ne s’oppose à l’existence d’une économie en croissance zéro et en équilibre c'est-à-dire ne connaissant ni chômage, ni inflation, ni déflation. Une telle économie évolue évidemment avec une démographie stable et sans gain de productivité des facteurs.

Quelles seraient les caractéristiques d’une économie en croissance zéro et en équilibre ?
Il y a d’abord une certaine régularité de reconduction dans les décisions des agents économiques en matière de production et de politique de produit et services. Ceci n’exclut pas  des évolutions au niveau des parts de marché car les entreprises sont bien entendu toujours en situation de concurrence. La stabilité du progrès technique a pour effet de réduire le niveau de l’incertitude et la recherche d’information sur les marchés coûte moins cher que lorsque l’innovation s’impose. Les anticipations sur la demande  effectuées par les entreprises se réalisent avec moins d’erreurs que dans une économie ou la croissance se traduit régulièrement par effets de surprise. Il n’y a plus de destruction créatrice. D’une manière générale les choses sont  donc plus simples.
La durée de vie des produits est plus longue en raison d’une innovation raréfiée. La  reconduction des mêmes types de  produits et services se traduit aussi par une stabilité des profils professionnels. On peut également penser que la fonction des banques est moins impliquée que dans une économie où l’investissement d’innovation est entaché de risques. Il en serait de même pour les domaines habituellement dévolus à l’état. En matière d’environnement on peut penser qu’une croissance zéro serait moins grave; certainement sur le moyen terme dans la mesure où les consommations d’énergie polluantes elles aussi seraient stable mais pas  sur le long terme car l’arrêt du progrès technique n’est pas une option favorable. Plus généralement la question des avantages et des inconvénients d’une économie en croissance zéro ne peut être résolu de manière simple. Mais, dans la mesure où cette croissance zéro est en quelque sorte imposée et non maîtrisée la question importante est de savoir ce qui va se passer si effectivement nos économies s’orientent vers ce scénario.

Passer d’une économie en croissance à une économie en croissance zéro :
La question fondamentale est celle du changement, c'est-à-dire du passage vers un autre état d’équilibre. Dans une économie en croissance due aux gains continus des productivités, les entreprises doivent innover en permanence pour survivre. La gouvernance des entreprises est conforme à ce comportement depuis des décennies. On pourrait ainsi suggérer que le comportent d’innovation est devenu un ADN. Le passage à une économie à croissance zéro devrait donc se traduire par une profonde modification génétique des comportements. Ce qui à priori n’est pas simple, nécessiterait du temps et ferait l’objet de beaucoup de réflexions.

Bernard Biedermann
Conjoncture et décisions
http://theoreco.com