À l’ère du numérique, les systèmes d’information constituent un enjeu stratégique majeur pour les organisations. Pour leur seule partie numérisée, ils représentent déjà selon les secteurs d’activité le premier poste de dépense de l’entreprise – soit entre 10% à 30% du budget annuel de fonctionnement pour le secteur industriel et 30 à 50% voire plus pour le tertiaire (Legrenzi et Rosé, 2011 ; Legrenzi et Nau, 2012) mais aussi parce qu’ils sont devenus les principaux leviers de croissance et de performance. En comparaison au budget informatique traditionnel, la partie numérisée des systèmes d’information pèse près de 10 fois plus (Legrenzi, 2012). La totalité du système d’information intégrant les pratiques non informatisées représente des montants en moyenne double, totalisant un montant 20 fois supérieur au budget informatique.

Pour autant, l’immense majorité des décideurs ignore ces enjeux du fait d’une comptabilité « verticalisée » construite historiquement pour mieux maîtriser les dépenses par grande fonction de l’entreprise (Lorino, 1991). La conséquence de la gestion en « silo » est que les coûts des traitements de l’information sous toutes leurs formes – « horizontaux ou transversaux » par nature - sont quasiment impossibles à appréhender quantitativement dans nos systèmes comptables et de gestion actuels alors qu’ils constituent bien souvent les premiers postes de dépense.

Pour rajouter à la difficulté, il existe une réelle confusion entre les notions « d’information », « d’informatique », de « numérique » et de « système d’information » qui nuit largement à toute volonté de maîtrise des activités dites « informationnelles ».

Il est important de définir ce dont on parle

C’est pourquoi, il nous parait fondamental dans une économie en pleine mutation, de présenter à la fois l’historique mais aussi les différentes définitions, périmètres d’application et enjeux économiques tout en repositionnant ces concepts les uns par rapport aux autres. L’objectif poursuivi est de mieux en comprendre les interactions afin de fournir des éléments tangibles à nos décideurs en vue d’optimiser l’usage et le pilotage de l’outil informatique au profit de la compétitivité de leur entreprise.

Définir le terme « information »

L'information est un concept polysémique. Mc Kinney affirme à ce sujet que : « l’information est un ‘caméléon sémantique’ » (Mc Kinney et al, 2012). Au sens étymologique, le terme information trouve son origine dans le verbe latin informare, qui signifie « donner forme à » ou « se former une idée de ». Ainsi, l’information est ce qui donne une forme à un concept ou une idée. En fait, l'information désigne à la fois le message à communiquer et les symboles utilisés pour l'écrire comme les lettres de l’alphabet, les chiffres, des dessins, idéogrammes ou pictogrammes.

Le concept « information » a eu bien des définitions différentes au cours de ces 40 dernières années de recherche en management des Systèmes d’Information. Certains vont même jusqu’à affirmer que l’information ne peut pas être décrite par une définition (Nunberg, 1996 ; Frohman, 2004). Pour Cleveland, l’information est humaine : elle n’existe qu’au travers de l’observation de l’homme (Cleveland, 1982). Pourtant, l’information est souvent présentée par rapport à la « donnée ». Ainsi, l’information est une « donnée traitée » douée de sens (Mc Leod & Schell, 2007). La question sous-jacente est quel type de traitement permet de passer de la donnée à l’information (Brier, 2004, 2008 ; Buckland, 1991). Qui plus est, selon le contexte, l’information n’a pas forcément le même sens d’un individu à l’autre (Faÿ et al., 2010) voire d’un contexte à un autre (Checkland et Holwell, 1998).

La connaissance est un état résultant d’une transmission d’information (cf. « connaître ») (Machlup, 1962). Pour synthétiser ces différentes acceptions, la conceptualisation la plus souvent citée dans la littérature est celle d’Ackoff qui propose la hiérarchie « données-information-connaissance » qui va parfois jusqu’à la « sagesse ». Cette hiérarchie - souvent abrégée «DIKW» (pour Data-Information-Knowledge-Wisdom) part des données, qui, en les structurant et les classant, produisent de l'information, qui, à leur tour, conduit à la connaissance et enfin à la sagesse (Ackoff, 1989). Cette progression entre les différents niveaux de la hiérarchie DIKW est associée à une augmentation des niveaux de compréhension (Bellinger et al. 2004 ; Rowley 2007).

Dans une acception plus générique et dans le contexte d’entreprise, nous proposons la définition suivante : « L’information constitue l’ensemble des données et des connaissances créées, acquises, modifiées, gérées et détenues par l’entreprise. Elle représente son histoire, son patrimoine, ses savoir-faire, ses compétences… » (Legrenzi et Nau, 2012).

Définir le terme « informatique »

Le terme « informatique » apparait pour la première fois en 1957 dans un article du scientifique allemand Karl Steinbuch intitulé « Informatik : Automatische Informationsverarbeitung » (Steinbuch, 1957), soit « Informatique : traitement automatique de l’information ».

En 1962, le terme est utilisé conjointement en France et aux États-Unis pour la dénomination de deux entreprises : la Société d'Informatique Appliquée (SIA) créée par Philippe Dreyfus, ancien directeur du Centre National de Calcul Électronique de Bull, et Informatics Inc fondée par Walter F. Bauer. Contrairement à la France ou à l’Allemagne, le terme « informatics » n’est pas devenu la référence et n’a pas été déployé massivement aux Etats-Unis. La raison est peu connue mais réside dans un dépôt de marque. En effet, lorsque l’Association for Computing Machinery (ACM), la plus grande association d'informaticiens au monde, sollicite la société Informatics Inc. afin de pouvoir utiliser le mot « informatics » en remplacement de l'expression « computer machinery », l'entreprise éponyme décline la proposition. Cela ne lui a pas porté chance par la suite. La société Informatics Inc., achetée par Sterling Software, cesse ses activités en 1986.

Formé de l’association des termes « information » et « automatique », le néologisme est officialisé en France par le Général de Gaulle en conseil des Ministres qui l’aurait préféré à « ordinatique ». On notera que ce choix marque clairement la prédominance de l’information sur la machine, dont on pressent l’enjeu majeur qu’elle représente pour les années à venir.

En 1968, le mot « informatica » fait alors son apparition en Italie et en Espagne, de même qu’ « informatics » au Royaume-Uni.

Pour nous, et toujours dans un contexte professionnel, « l’informatique représente la fonction ou le métier qui a pour but de concevoir, développer, intégrer, exploiter et maintenir les solutions matérielles et logicielles, ainsi que fournir l’ensemble des services connexes ».

En cela, l’informatique se positionne clairement du côté du « producteur » (versus le « consommateur »). Elle caractérise bien le métier qui « tourne » autour des outils matériels et logiciels et services associés du « traitement automatique » de l’information.

Définir le terme « numérique »

Le terme « numérique » est de plus en plus usité dans notre vocabulaire. Il a même tendance à se substituer à informatique induisant à la fois ambiguïté et confusion. Pour preuve, en 2013, le syndicat professionnel du secteur informatique et télécom, le « Syntec » Numérique, a décidé de rebaptiser les « SSII » - Société de Services et d’Ingénierie en Informatique » en « ESN » - Entreprises de Services du Numérique.

En fait, le terme « numérique » vient du latin « numerus » (« nombre », « multitude ») et signifie « représentation par nombres ». On oppose ainsi le calcul numérique (l'arithmétique) au calcul algébrique ou littéral (par lettres, ou algèbre).

Le terme anglais « digital » vient lui aussi du latin « digitus » qui signifie « doigt » ; en anglais « digit » désigne un chiffre (0 à 9). Les autres langues romanes gardent le terme « digital », cf. italien, espagnol. Vraisemblablement, la notion de « digital » en anglais se rapportait à l’idée de compter avec ses doigts… En langue anglaise le rapport avec les chiffres : les « digits » exprime clairement la conversion du réel analogique vers le numérique. Exprimé autrement, « numérique », qualifie une représentation de l'information par un nombre fini de valeurs discrètes, s’opposant à « analogique ».

Dans le contexte économique, « le numérique représente à la fois les informations ainsi que l’ensemble des usages et traitements de ces informations s’appuyant sur un outil informatique en vue d’une finalité métier ». Aussi, le numérique est clairement objectivé. Il correspond à une intention. Il se positionne donc clairement du côté des usages et des consommateurs (versus le « producteur »).

Définir le terme « système d’information »

Le système d’information est une notion complexe, dont la définition et les contours ne sont pas toujours clairement établis, et qui est souvent confondu avec informatique.

Karl Ludwig von Bertalanffy (1901-1972) est le fondateur de la Théorie générale des systèmes (General System Theory) (Von Bertalanffy, 1968). Il introduisit la notion de système qu’il définit comme un « ensemble d’éléments en interaction ».

Pour Claude Salzman, Président du Club européen de la gouvernance des systèmes d’information : « Trop souvent on confond les termes système d’information et système informatique. Il est vrai qu’ils sont voisins. Mais ce n’est pas la même chose. Le système d’information n’est pas le système informatique. C’est la source de confusions graves car les mécanismes en œuvre ne sont pas les mêmes et les conséquences non plus. »

Robert Reix dans son ouvrage « Systèmes d’information et management des organisations » paru en 2004 propose : « Un système d’information est un ensemble organisé de ressources : matériel, logiciel, personnel, données, procédures... permettant d’acquérir, de traiter, de stocker des informations (sous forme de données, textes, images, sons, etc.) dans et entre des organisations. » » (Reix, R., 2004)

Ainsi, pour le système d’information, et toujours dans un contexte d’entreprise, nous proposons la définition suivante : « Le système d’information représente l’ensemble des ressources internes ou externes – utilisateurs, outils, données – qui contribuent au traitement (numérique ou non) de l’information ». Conformément à Ludwig van Bertalanffy, père de la théorie générale des systèmes, le système d’information est bien un système, composé dans notre cas de trois types de ressources ou « d’éléments qui sont bien en interaction ».

Apprécier les enjeux économiques qui sont derrière ces termes

Si l’on reprend la définition de système d’information par rapport à l’informatique, on constate une évolution sémantique qui marque la genèse d’une véritable prise de conscience des nouveaux enjeux managériaux de nos entreprises à l’ère du numérique. Elle symbolise le passage du contenant au contenu. C’est un véritable changement de paradigme, lourd de conséquences. La technologie deviendrait moins importante que son utilisation, au service de la gestion de l’information et de la connaissance. Maintenant que la technologie est maîtrisée, la gestion de l’information doit être replacée au centre des débats. C’est elle qu’il faut maîtriser à présent : l’information et tous ses traitements associés, qu’ils soient manuels ou automatisés.

Ramené à l’échelle de l’entreprise, le budget informatique traditionnel s’élève en moyenne, pour la grande majorité des organisations, de 1 à 5 % du budget de fonctionnement de l’entreprise si l’on en croît les principaux instituts de «Etalonnage / benchmarking » tels que le Gartner Group ou Compass.

Conformément à la définition vue précédemment, si l’on associe à numérique l’utilisation des outils informatiques par les employés, le budget du numérique représente pas moins de 10 à 30% du budget total de fonctionnement de l’organisation pour le secteur industriel et 30 à 50 % pour le secteur tertiaire. Aussi, il représente un enjeu dix fois supérieur au budget informatique !

Qu’en est-il à présent pour le système d’information qui représente le temps passé par les utilisateurs à travailler avec l’outil informatique du travail de l’information non informatisé. Les enjeux sont encore plus éloquents :

 schema christophe legrenzi

Cette fois-ci le budget du système d’information représente 20 fois plus que le budget informatique et le double du budget numérique.

La véritable question que doivent se poser les décideurs est de savoir s’il faut piloter l’informatique uniquement, le numérique, le système d’information ou l’information ? C’est une question fondamentale, lourde de conséquences à même de remettre totalement en question les modes managériaux traditionnels en « silos » issus du secteur industriel.

Pour l’informatique, il ne s’agit plus de voir cette fonction par rapport à elle-même comme l’indique Claude Salzman : « En ce qui concerne l’informatique, l’objectif consiste à essayer de la rapprocher du reste de l’entreprise et même, si c’est possible, de la fondre dans les diverses fonctions de l’entreprise…/… Il faut pour cela apprendre à penser l’informatique comme un outil de développement de l’entreprise et non plus seulement comme une machine capable de gérer des procédures administratives » (Salzman, 1989).

Sur le plan du numérique, un enjeu majeur est la productivité des usages et la gestion du patrimoine informationnel. Jean-Louis Peaucelle affirme : « Les gains les plus forts sont souvent méconnus car ils apparaissent chez les utilisateurs » (Peaucelle, 1997). Peter Drucker (Drucker, 1993) confirme : « Le plus grand challenge auquel font face les managers des pays développés est d’augmenter la productivité des travailleurs de l’information et de la connaissance ». Le système d’information constituant, ni plus ni moins, la colonne vertébrale de l’activité immatérielle de l’entreprise moderne, c’est sans aucun doute le premier levier de performance des organisations futures.

En guise de conclusion

Lors de nos premières recherches entreprises sur le pilotage de la performance des organisations informatisées, il y a maintenant un quart de siècle, un postulat particulièrement important issu de l’étude épistémologique s’imposait. Il concerne la dualité science-mesure (Legrenzi, 1994). Les nombreuses études sur l’évolution des sciences montrent que les progrès scientifiques sont souvent conditionnés par l’évolution des instruments de mesure ou de pilotage. Ainsi, la mesure devance le progrès.

C’est sur la base de ce postulat que les avancées technologiques n’ont pas apporté dans la pratique de bénéfices mesurables aux entreprises utilisatrices. C’est le fameux « Paradoxe de Solow » du Prix Nobel d’économie 1987 (Legrenzi, 1993). Pourquoi ? Tout simplement, parce que la mesure n’a jamais devancé le progrès technologique en informatique. Ainsi, les entreprises en subissent les conséquences plus qu’elles n’en profitent. Seule exception : l’industrie informatique, celle qui produit les technologies et services associés.

Le traitement de l’information ayant pris une telle ampleur dans nos économies modernes, nous sommes très vraisemblablement à l’aube d’un véritable « aggiornamento » de nos pratiques de gestion. C’est bien là le rôle des nouveaux managers selon Joseph Schumpeter : « Entreprendre consiste à changer un ordre existant » (Schumpeter, 1911). C’est d’autant plus le cas que le monde connaît la 2ème plus grande révolution économique de son histoire : la Révolution Numérique.

NB : Le texte complet de cet article est paru dans le N° 200 de la Revue Vie et Science de l’Entreprise publié par l’ANDESE (Association Nationale des Docteurs En Sciences Economiques). Pour mieux connaître l’ANDESE cliquez ici   Pour obtenir le texte complet de l'article et le détail des références bibliographiques cliquez ici.