Les éditeurs français sont confrontés à la lutte impitoyable engagée par Amazon et Google pour commercialiser des ouvrages numérisés dont certains ne respectent  pas le droit d’auteur. La vague de fond numérique qui s’est mise en mouvement dans les années 1980 se transforme en déferlante pour les éditeurs de toute nationalité dont les œuvres sont numérisées sans que leur avis soit nécessairement sollicité. Le procès intenté par l’éditeur « Le Seuil » à Google a démarré il y a peu, après trois ans d’instruction du dossier. La pression exercée par les géants du commerce électronique se renforce en France ou Amazon vient de lancer son lecteur de livre électronique, testé avec succès depuis plus de deux ans sur le marché américain.

Alors qu’un essai de lancement de livre électronique par une jeune entreprise de technologie a échoué en France il y a maintenant deux ans (initiative soutenue par Jacques Attali), on s’aperçoit de la difficulté de lancer des innovations numériques lorsque l’écosystème de l’édition y est réticent.
Dans un marché globalisé il est difficile de s’opposer à une tendance de fond surtout lorsque les acteurs qui l’animent sont des géants disposant d’une trésorerie en milliards de dollars. C’est sous la pression du marché que les éditeurs français créent des plateformes numériques et non pas en tant qu’innovateurs déroulant une approche nouvelle. La situation est suffisamment critique pour que le Ministre de la Culture invite les éditeurs à s’unir au moyen d’un portail commun pour contrer Google. Les éditeurs français n’ont d’autres choix que de s’engager dans le numérique sous peine d’être en grande difficulté.

Le livre coexistera avec sa version numérique comme les films diffusés en salle cohabitent avec les DVD et les réseaux de distribution spécialisés de ces produits, sans mentionner le téléchargement. Les plateformes des éditeurs français devront bien sur héberger les ouvrages de langue française mais à terme s’allier à des partenaires européens pour élargir leur assise commerciale et asseoir leur développement. L’Europe du livre numérique si elle n’est pas construite par les éditeurs européens le serait alors par des acteurs non européens, de par leur centre de décision. Les lois de l’économie nous rappellent que sur le long terme c’est sur le volume de transactions engagées que les opérateurs numériques gagneront la bataille des coûts et des résultats. Nous avons vu que selon cette logique les marchés d’actions et d’obligations de NyseEuronext émigrent de Paris à Londres (Ou va la place financière de Paris ?).
Les plateformes numériques contrôlées par des éditeurs français devront donc s’internationaliser rapidement pour lutter contre les deux géants déjà mondialisés. La numérisation des livres existants par les bibliothèques, dans la mesure ou les budgets adéquats sont prévus par ces dernières, sera un moyen de faciliter le développement de l’édition numérique. Ces mesures en faveur de la numérisation ne seront qu’un pis aller sans développement international et au moins européen de ces plateformes.

Au moment ou l’Etat se positionne quant à l’affectation des ressources du grand emprunt il est clair que le numérique doit y être intégré pour soutenir les plateformes numériques dans leur développement français et international. Les tentations sont grandes de voir les fournisseurs de câble et de fibre revendiquer la plus grande partie de l’emprunt pour sa partie numérique. Nous avons connu au début des années 1990 un plan câble qui a abouti à subventionner des fournisseurs de câble sans développer l’industrie des contenus. On ne peut qu’espérer que ce scénario ne se reproduira pas. C’est sur les contenus et leur contrôle que la véritable bataille, celle de la connaissance et de la culture, va porter.
Les enjeux du plan numérique, et de l’emprunt qui pourrait le rendre possible ne sont pas qu’économiques, ils concernent l’usage et le contrôle des productions passées, présentes et futures des documents numérisés.

Le livre est un des éléments de l’écosystème des contenus numériques auxquels il faut adjoindre de nombreuses autres formes dont la musique et le cinéma. Dans ce contexte de convergence des contenus il est clair que les ambitions de Vivendi au début des années 2000 étaient visionnaires pour l’époque mais relativement réalistes vues d’aujourd’hui.


Les éditeurs de contenus ne pourront se développer sans intégrer le numérique au cœur de leur stratégie. Le numérique qui était une variable d’importance secondaire pour les éditeurs français jusqu’à il y a peu, devient le facteur clé qui leur permet de consolider  et de renforcer leurs positions de marché. La demande d’application au livre électronique de la loi Lang par les éditeurs ne fera que retarder les échéances pour ces derniers. Les enjeux sont au minimum européens et dans ce contexte la protection offerte par la loi Lang sur le territoire national n’existe plus.
Le développement des éditeurs d’ouvrages passe par la greffe de gènes numériques à leur ADN original. La mutation sera-t-elle possible ? Ce n’est pas improbable mais les réactions de rejet du greffon numérique ne sont pas impensables également!
Les éditeurs français sont condamnés à des choix Shakespeariens « Etre numérique ou ne pas être », à se transformer en gardant leur originalité ou à disparaître lentement malgré les protections dont ils pourraient bénéficier aux frais du contribuable.


Daniel Bretonès                            26 octobre 2009