L’Union européenne et la zone Euro vivent depuis plusieurs mois au rythme des annonces concernant l’Euro et son maillon faible du moment l’économie grecque. La crise que nous vivons est unique dans l’histoire de l’Union européenne de par les enjeux concernés. La zone euro est aujourd’hui une zone monétaire non optimale compte tenu des nombreux différentiels que l’on y rencontre parmi ses membres : coûts salariaux, productivité, fiscalité, droit social, pour ne citer que ceux-ci.

L’élargissement trop rapide de la CEE source potentielle d’éclatement

Le marché commun est conçu initialement en 1957 pour favoriser la libre circulation des personnes, des biens et des capitaux. La Communauté économique européenne s’est progressivement ouverte vers l’extérieur avec l’arrivée de la Grande-Bretagne, du Danemark et de l’Irlande en 1973 et l’élargissement à la Grèce en 1981, puis à l’Espagne et au Portugal en 1986. L’Acte unique de 1986 approfondit les objectifs du traité de Rome et vise à la finalisation du marché communautaire et à la mise à jour des institutions européennes. En 1992 le Traité de Maastricht élargit les compétences de la communauté économique européenne. En 1995 c’est autour de l’Autriche, de la Finlande et de la Suède de rejoindre la communauté européenne. En 2004 huit pays de l’Europe de l’Est ainsi que Chypre et Malte intègrent l’Union européenne.

L’ouverture constante à de nouveaux pays candidats, qui font partie des pays pauvres pour les 10 derniers en 2004, renforce les déséquilibres entre les pays fondateurs et anciens membres, et les nouveaux venus. Ces déséquilibres exacerbés par la crise du subprime en 2007/2008 et la crise des finances publiques en 2010/2011 trouvent leur paroxysme dans le contexte économique grec. L’UE et le FMI interviennent en 2011 pour éviter la faillite de l’Etat grec. Les banques européennes impliquées en Grèce renoncent en 2011 à une proportion significative de leurs créances dans ce pays pour un montant voisin de 100 milliards €. Malgré ces aides il n’est pas impensable que la Grèce sorte de l’Euroland d’ici la fin 2012 !

Le décalage France/Allemagne

La croissance moyenne du PIB est inférieure à 2 % en France depuis l’an 2000 avec un déficit commercial en 2011 de près de 70 milliards et une dette publique voisine de 1700 milliards et représentant 85 % du PIB. Le modèle économique existant n’est plus soutenable, sauf à poursuivre la réduction des dépenses publiques déjà engagées et à relancer la croissance en la ciblant sur des investissements porteurs à court terme, moyen et long terme. Le désengagement progressif depuis le début des années 1990 du modèle industriel se traduit en 2011 par une production industrielle ne représentant que 13 % du PIB mais 70 % de l’ensemble des exportations. Depuis les années 2000, nos voisins allemands se sont massivement orientés vers le modèle industriel en comprimant les coûts au moyen d’une réduction des charges supportées par les entreprises et d’une réorganisation de leur sous-traitance. Parallèlement, des politiques de montée en gamme sur des produits techniques recherchés sur les marchés émergents et dans l’Union européenne ont été mises en œuvre. L’amélioration de la compétitivité germanique et des stratégies industrielles astucieuses ont abouti à des excédents commerciaux de 190 milliards € en 2011.

Dans le domaine financier, Euronext a préféré rejoindre le NYSE en 2006 pour former NYSE Euronext plutôt que de faire cavalier seul avec des partenariats multiples et notamment en Asie, ou fusionner avec Deutsche Börse. La perte de contrôle de cette plate-forme de services de pointe localisée à Paris et regroupant cinq bourses européennes n’a pas renforcé la place de Paris comparativement à Londres. Par ailleurs le rapport Rameix/Gianni de novembre 2011 souligne les insuffisances de NYSE Euronext en matière de financement des PME/ETI.

Pour l’économie française, l’affaiblissement industriel n’a pas été compensé par une montée en puissance de la place financière de Paris. Par contre en Allemagne la montée en puissance de l’industrie et notamment des PME / ETI du Mittelstand a été accompagnée par le développement de Deutsche Börse qui visait jusqu’en janvier 2012 l’acquisition de NYSE Euronext, empêchée par les autorités de la concurrence européenne.

L’internationalisation d’Euronext n’était pas impossible. L’opérateur allemand Deutsche Börse montre actuellement que des partenariats étaient possibles sur les marchés de règlement-livraison et sur les instruments dérivés en Asie par le biais des alliances qu’il négocie en Chine, en Corée et à Singapour. Le résultat net de Deutsche Börse s’élève en 2011 à 850 millions €.

Relancer la croissance, mais comment ?

Les pays du Club Med dont fait partie la France sont tous en récession sauf la France et ils visent à refinancer leurs dettes au moyen d’euro-obligations dont l’Allemagne ne veut pas pour le moment. L’Etat allemand vient d’émettre pour 5 milliards € d’obligations à deux ans pour financer sa dette sans verser de coupon aux créanciers, ce qui est une première historique. Parallèlement les fonds souverains leaders comme le fonds pétrolier norvégien ou le fond chinois.CIC, qui gèrent plus de 1000 milliards de US dollars, n’achètent plus les obligations de la zone euro. Les rachats de créances douteuses par la BCE au printemps 2011, tout comme l’émission de 500 milliards € pour assurer la liquidité des banques à l’automne 2011, ont limité les soubresauts financiers sans régler les problèmes de fond de l’Euroland.

Il est clair que sans un accord politique pour la mise en place de mécanismes de solidarité financière et de création d’euro-obligations européennes entre les membres de la zone euro, cette dernière est vouée à l’explosion. Un pays comme l’Espagne, qui est en récession, emprunte à 6 % alors que l’Etat allemand se finance maintenant à 0 %. Dans ce contexte, le projet européen doit évoluer radicalement pour perdurer et se redéfinir dans le cadre d’une stratégie à moyen-long terme tout en contrôlant rapidement le court terme pour rassurer les marchés.

Les négociations en cours à Bruxelles sont cruciales et en fonction des orientations prises il est possible d’imaginer au moins deux scénarios :

- La coupure entre une Europe du Nord rattachée à l’Allemagne et une Europe du Sud composée des pays du Club Med.
- La création d’une véritable Fédération d’Etats qui mutualiseraient leurs dettes et leurs créances et mettraient en œuvre un budget commun et une discipline partagée au service de l’Union.

Le talent des négociateurs français et ceux des autres représentants de l’Europe du Sud seront plus que nécessaires pour faire comprendre à leurs « alter ego » allemands que leur premier marché pourrait s’effondrer plus vite que prévu sauf à renégocier en profondeur l’accord européen actuel.

Remonter la pente

Le nouveau gouvernement français se retrouve aux commandes d’un pays dont l’industrie est en mauvaise posture avec une place de Paris très fortement concurrencée par Francfort, Genève, Londres et Zurich pour ne citer que les plus proches. Cette situation est le résultat d’orientations et/ou de non-choix effectués depuis les années 1990.

Un des moyens pour relancer l’emploi et les exportations consiste à soutenir et à renforcer le développement industriel à fort contenu technologique, serviciel et de marque. La création d’un Ministère du Redressement Productif s’inscrit sur une trajectoire dynamisante et devrait avoir un effet d’entraînement sur l’écosystème industriel et technologique.

La nomination à la tête du Ministère de l’Enseignement Supérieur et la Recherche d’une personnalité ayant une grande connaissance de l’environnement entrepreneurial, des jeunes pousses, des PME et l’innovation est un atout majeur pour faciliter le rapprochement entre la recherche universitaire et les entreprises.

La France de l’industrie et des services dispose d’atouts non négligeables avec ses pôles de compétitivité et toute la palette d’instituts, de centres de recherche et de sociétés d’accélération des transferts de technologie dont elle dispose. La difficulté va consister à rendre l’écosystème, formé par ces acteurs, plus performant et plus collaboratif pour réduire le travail en silo et les redondances couteuses.

Le secteur financier en France qui totalise plus d’un million d’emplois doit également être soutenu pour plusieurs raisons stratégiques, car il contribue à :

- Orienter le financement de l’investissement vers le long terme et relancer le financement des PME,
- Développer la finance durable et faire de Paris un pôle européen leader,
- Attirer la finance islamique en s’appuyant sur les liens étroits existants entre la France, le Proche et le Moyen-Orient,
- Renforcer la coopération avec les fonds souverains à même de participer au financement de projets à long terme.

L’ensemble de ces orientations permettrait de limiter l’étau financier qui entoure l’économie française et de déployer des filières industrielles sur des secteurs porteurs à moyen et à long terme. Avec le retour à un niveau de liquidité supérieure, les projets et les entreprises pourraient alors être financés adéquatement. Cependant, la mise en œuvre de ces orientations dépend du résultat des négociations en cours au niveau européen. Les successions de tempêtes monétaire et financière qui déferlent sur l’Europe depuis maintenant cinq ans ne cesseront que lorsqu’une nouvelle logique s’imposera. En effet, sans la conception puis la mise en œuvre d’un nouveau paradigme européen, l’implosion de l’Euroland est hautement probable à court terme avec le cataclysme qui en résulterait pour les pays membres.

Le couplage entre la volonté politique et la vision à long terme est indispensable

Dans l’hypothèse où ces négociations ne devraient produire que des mesurettes sans impact à moyen et long terme, cela accentuerait à court terme la récession de l’Europe du Sud et on se dirigerait très probablement vers l’éclatement de la Zone Euro. Le nœud gordien enserrant l’Euro serait tranché par une non-décision quant à une reconfiguration stratégique de l’Euroland et à une redéfinition de l’Union européenne.

Dans l’hypothèse d’un changement de majorité en Allemagne à l’issue des élections législatives de 2013, la nouvelle équipe constituée par le SPD et les Verts pourrait alors reconsidérer l’organisation actuelle du modèle eurolandais et les prérogatives de la Banque Centrale Européenne pour l’aligner sur le modèle de la Federal Reserve Board américaine. La mission de la BCE serait alors non seulement de veiller à la stabilité des prix, mais également de soutenir la croissance.

Cette dernière orientation ne peut être que le fruit d’une volonté politique projetant la vision d’une Europe Fédérale à moyen et à long terme. Ceci signifie que les institutions et le mode de fonctionnement de l’Euroland et de l’Union européenne que nous connaissons seraient transformés en profondeur. Sous ces conditions, la confiance des marchés reviendrait et l’étau financier pourrait alors se desserrer progressivement en favorisant le retour de la croissance et de l’emploi.