L’absence d’entreprises françaises parmi celles capables de mettre rapidement sur le marché un vaccin efficace contre le SARS-CoV-2 a surpris les commentateurs qui s’appuient sur leur connaissance du grand groupe mondialisé qu’est Sanofi (36 Milliards € de CA et 7,28 milliards de bénéfice net en 2020). Ils ont été déçus lorsqu’ils ont appris que le vaccin de Sanofi ne serait pas disponible avant 2022 et que l’Institut Pasteur de Lille en partenariat avec le groupe Merck annonçait la fin des essais cliniques de son vaccin expérimental sur le SARS-CoV-2.
Ce sont deux jeunes pousses, l’une allemande « BioNTech » avec Pfizer et l’autre américaine « Moderna » qui ont produit les vaccins innovants à base d’ARN messager (ARN-m) capables de juguler le virus à plus de 94 %. Outre le succès technologique et industriel que représente la mise en production rapide de ces vaccins les retombées sont économiques pour ces deux entreprises et vont se chiffrer par milliards de dollars pour les deux gagnants (15 milliards de dollars de CA supplémentaires générés par Pfizer et Moderna et prévus pour 2021).
Au pays de Pasteur dont les chercheurs François Jacob et Jacques Monod de l’Institut Pasteur démontrent l’existence de l’ARN m en 1961, c’est la stupéfaction. Leurs travaux sont à l’origine du Prix Nobel de physiologie et de médecine qu’ils obtiennent en 1965 avec André Lwoff sur le sujet.
1 - Un kaléidoscope d’institutions de recherche et d’entreprises :
Lorsque l’on regarde pourtant le potentiel de recherche Universitaire en France, les nombreux Instituts concernés dont les IHU ; les sept pôles de compétitivité Santé avec leurs 1 300 adhérents et leurs 1000 PME, sans compter le Genopôle d’Evry qui bénéficie de financements publics et du public (Téléthon) on ne peut qu’être surpris du résultat. Les laboratoires russes et chinois disposent également de vaccins efficaces qu’ils exportent comme le Sinovac ou le Spoutnik V.
1.1 Un écosystème éclaté à la recherche de plus de financement
Concernant la recherche on évoque le lent déclin budgétaire. Si l’on se fie aux indicateurs budgétaires entre 1995 et 2018 la dépense publique augmente de 55 % du PIB quand le financement de la recherche baisse de 1,8 à 1,3 % et celui de l’enseignement de 5,8 à 5,1 %. C’est de la recherche fondamentale qu’émergent les nouveaux concepts innovants comme l’ARN-m et la recherche applicative a comme mission de passer du concept aux produits. Dans le cas de l’ARN-m il a fallu 13 ans après les publications de 2005 réalisées par Katalyn Kariko pour obtenir un vaccin efficace contre le Covid chez BioNTech avant essais cliniques! Il est clair que la baisse des budgets en France ne soutient pas l’effort en recherche fondamentale et en recherche applicative. Cette baisse du financement de la recherche publique devait être compensée par le crédit d’impôt recherche qui s’élevait en 2019 à 6,9 milliards € mais cet effort fiscal pousse à des innovations d’amélioration et non pas radicales comme l’est l’ARN-m.
1.2 Organisation de la recherche : une grande complexité
Le schéma traditionnel qui comporte les organismes de recherche d’un côté, les universités et les grandes écoles de l’autre disperse la concentration des talents. Les Universités ont transféré le fruit de leurs recherches dans des SATT (Sociétés d’accélération des transferts de technologie) dont l’objet est de faire émerger et d’accompagner des jeunes pousses de haute technologie dont des entreprises de biotechnologie.
Pour la recherche médicale et pharmaceutique on trouve des CHU en pointe et des pôles de compétitivité santé qui facilitent l’émergence d’entreprises comme Valneva à Nantes, qui a reçu une commande du gouvernement britannique de 100 millions de doses de son vaccin anti-Covid contre un versement de 470 millions €, pour une mise sur le marché en 2022.
Le Genopôle est à l’origine d’Yposkesi, société spécialisée en thérapie génique et cellulaire. Cette dernière à la pointe mondiale dans son domaine souffre d’un endettement de plusieurs dizaines de millions € alors qu’elle recherche des capitaux pour mettre au point son unité de production. Des négociations seraient en cours pour sa reprise par la filiale américaine « Pharmco » du conglomérat coréen SK holdings.
La question de la souveraineté est plus que jamais d’actualité car l’insuffisance de financements fait disparaître de nombreuses sociétés prometteuses ou les amène à passer sous d’autres pavillons. Les financements publics sont donc là pour les jeunes pousses mais ils manquent pour le développement des produits ou ils se chiffrent par millions €. La mise en place d’études cliniques de la phase I à la phase III requiert des dizaines de millions € dont ne disposent pas en règle générale les jeunes entreprises. Il en va de même de la conception de l’outil production et de sa réalisation.
2 - Le rôle des pouvoirs publics :
Les décideurs publics jusque à une date récente pré-Covid étaient soumis à une approche budgétaire très stricte destinée à contenir les dérapages au-delà de la limite des 3 % mais les désillusions liées au Covid et la prise de conscience d’une souveraineté industrielle minimale sur des secteurs stratégiques ont modifié les règles du jeu. Il est clair que la formation de nos décideurs publics principalement juridique et / ou financière ne les porte pas à se pencher sur des problématiques scientifiques en matière de santé. En général ils ne connaissent pas le monde de la recherche avec ses aléas et sa culture du risque. La plupart des hauts décideurs sont rarement passés dans des Universités et n’appréhendent pas nécessairement leur mode de fonctionnement. Ils n’ont en général pas suivi la voie doctorale qui sensibilise que ce soit en sciences humaines ou dans les sciences dures, au monde et à la culture de la recherche.
En Allemagne la première chancelière est Docteure en chimie quantique et elle n’est pas la seule à avoir obtenu le titre de « Docteur » au sein de son gouvernement. Cette sensibilité aux enjeux de la recherche explique peut-être que des BioNTech et Curevac ont reçu des aides directes de 400 millions € chacune de la part du gouvernement fédéral.
Par ailleurs l’assurance-maladie en France ne voit pas forcément d’un bon œil le remboursement de nouveaux produits au coût élevé pour le patient . Dans cet approche budgétaire, l’impact sur la recherche, l’industrie et l’emploi en France n’est pas pris en compte. Finalement les nouvelles thérapies, répondant à des besoins insatisfaits, sont fournies par des laboratoires étrangers et l’assurance maladie les prend en charge par milliards parce qu’elle n’a pas d’autres choix sauf à pénaliser les patients français.
La France n’a pas perdu la course à l’innovation car elle dispose de nombreuses jeunes pousses en TechSanté (Biotech et MedTech) qui n’ont pas à rougir de leurs résultats. Il est plus que souhaitable de réorganiser les missions des organisations intervenant dans l’écosystème public de la recherche en santé et de la recherche en général. Les juxtapositions et les empilements ne facilitent pas la prise de décision et c’est peut-être aussi pour cela que les décideurs hésitent à augmenter le budget de la recherche qui est à 2 % du PIB français alors qu’il est de 3 % dans la République fédérale voisine.
Il est clair qu’il faut augmenter la disponibilité de financements pour la recherche fondamentale et appliquée, et les stades aval de développement des entreprises si l’on souhaite dynamiser l’économie de la santé. Les enjeux se situent en milliards d’euros rien que pour la Santé mais il en va de même dans de nombreux autres secteurs ou notre pays est devenu extrêmement dépendant comme les semi-conducteurs. La création d’une Agence de Recherche et d’Investissement pour les Biotech en Europe, calquée sur la Barda américaine, va prendre des années avant d’entrer en fonctionnement au niveau européen. Il serait plus judicieux de faire comme pour la RGPD. Il s’agit de démarrer en France cette nouvelle agence qui se coordonnerait avec les centres de recherche et d’applications avant d’étendre le concept en Europe. Cette agence de coordination de la recherche et du développement biomédical disposerait des moyens et de l’autorité pour financer les Yposkesi et autres Biotech prometteuses.
La souveraineté industrielle sur des actifs créateurs de valeur serait alors assurée. Parallèlement à la création de cette agence la réorganisation de l’écosystème français de la Santé devrait être mise en œuvre en réduisant les doublons et les juxtapositions inutiles. Cette mission de grande ampleur s’inscrirait dans la durée mais ne peut réussir que par un travail de communication et de concertation avec des organismes dont les personnels ont souvent des statuts différents.
Les propositions du Haut-Commissariat au Plan
La solution pérenne au-delà du plan de relance de 100 milliards destiné à maintenir l’économie hors de l’eau serait d’investir massivement dans un plan Marshall national de reconquête que le Haut-Commissariat au Plan (HCP) a chiffré à 250 milliards sur 10 ans. Ce plan Marshall ne prend donc pas en compte le plan de relance à 100 milliards € et le plan des dépenses liées au Covid déjà engagées de près de 120 milliards. Le plan global qui inclurait les 250 milliards d’investissements de reconquête porterait sur près de 450 milliards.
La 4éme et la 5éme république se sont appuyées sur les dotations et crédits du plan Marshall pour reconstruire l’industrie et redéployer l’économie française dans les années 1950 / 1960. Il serait dommage de ne pas utiliser et mobiliser les talents des différents secteurs d’activité pour reconstruire une économie en perte de compétitivité depuis de nombreuses années et malmenée par le Covid.
L’endettement nécessaire à ce plan s’appuierait sur un différé de remboursement de 10 ans avec un étalement de maturité sur trente années. L’annuité d’intérêt serait alors de 15 à 20 milliards € par an soit 0,5 à 0,7 % du PIB. Les États-Unis ont mis en œuvre dès 2020 ce type de politique de reconquête et le nouveau Président américain la renforce en 2021 avec un plan à 1900 milliards $.
Selon le Haut-Commissariat cette maturité donnerait le temps à notre économie de se redresser avant les premières échéances de remboursement. Il s’agit que « l’État prenne la tête d’une croisade de reconquête collective pour notre économie et notre industrie » selon les propos du Haut-Commissaire ».
L’objet est de reprendre collectivement en main la destinée du pays à travers un plan de reconquête pour ne pas sombrer dans le suivisme et un déclin progressif. Cette reconquête s’appuierait sur l’investissement public judicieusement utilisé et la capacité des entreprises privées à mettre en place des solutions répondant aux attentes des patients dans le domaine de la santé et des utilisateurs en général.
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