Le comportement d’une entreprise peut être sanctionné pour abus de position dominante sur le fondement des articles 101 et 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne s’il fausse les échanges entre les Etats membres de l’Union. Ce droit de l’Union européenne en matière de concurrence est complété par les dispositions nationales prises par les Etats membres qui prohibent les abus de position dominante et les ententes ayant pour objet ou pour effet d’altérer le jeu de la concurrence. Ainsi, en France, la sanction de l’abus de position dominante est régie par l’article L 420-2 du code de commerce. Ces règles s’appliquent de plein droit aux entreprises de l’économie numérique et en particulier aux géants du numérique.

La question se pose alors de savoir si les géants du numérique que sont les "GAFA", les "NATU" et les FinTech respectent cette règle d’or.

1. Un rappel sur les structures de marché

Les classiques analysent les économies contemporaines comme des économies d’échange où les décisions des agents s’expriment sur le marché. Ce dernier est le lieu de rencontre d’une offre et d’une demande. Il se caractérise par le nombre d’acheteurs et de vendeurs, la nature des biens, le degré d’information, les prix, etc. La combinaison de ces différentes caractéristiques créée des formes alternatives au marché appelées structures de marché. Ces dernières regroupent :

  • La concurrence parfaite : Marché qui réunit les conditions de transparence et de mobilité des facteurs de production.
  • Le monopole : Marché sur lequel une entreprise est seule à vendre un certain produit ; forme de concurrence imparfaite dans laquelle un vendeur (offre) fait face à une multitude d’acheteurs (demande).
  • L’oligopole : Marché de concurrence imparfaite dans laquelle un petit nombre de vendeurs font face à une multitude d’acheteurs.
  • La concurrence monopolistique : Marché de concurrence dans laquelle les entreprises différencient tellement leurs produits qu’elles se trouvent disposer d’un certain monopole pour leurs propres produits.

2. Le concept d’abus de position dominante

L’abus de position dominante est une pratique illicite consistant dans l’utilisation, par une entreprise de sa position dominante pour se procurer un avantage que le jeu normal de la concurrence ne lui aurait pas permis d’obtenir.

Pour qu’il y ait abus de position dominante au sens de l’article L. 420-2 du code de commerce, trois conditions doivent être réunies :

  • L’existence d’une position dominante définie par la jurisprudence comme « la position de puissance économique détenue par une entreprise qui lui donne le pouvoir de faire obstacle au maintien d'une concurrence effective sur le marché en cause lui fournissant la possibilité de comportements indépendants dans une mesure appréciable vis-à-vis de ses concurrents, de ses clients et finalement des consommateurs ».
  • Une exploitation abusive de cette position c'est-à-dire la réalisation de certaines pratiques considérées comme inadmissibles du point de vue de la concurrence.
  • Un objet ou un effet restrictif de concurrence sur un marché : pour être qualifiée de position dominante, la pratique anticoncurrentielle doit être tangible, que ses effets soient actuels ou potentiels.

3. Comment lutter contre les abus de position dominante des géants du numérique ?

Les géants du numérique ont acquis un poids énorme, au point d’être en position de structurer le marché.

En attendant de combler le retard technologique de l’Europe sur les géants du numérique qui, à l’heure actuelle, dominent sans partage les secteurs des moteurs de recherche, des réseaux sociaux, des messageries en ligne ou encore des sites de e-commerce, l’Europe tâche de juguler leur emprise colossale et croissante sur l’économie. Dans cette perspective, la Commission européenne a présenté en mai 2015 un ensemble de réformes pour lutter entre autres contre les abus de position dominante.

Outre les contentieux de concurrence entamés contre Google, l’Europe est également en croisade contre Facebook sur le terrain de la protection des données personnelles. Le réseau social fondé par Marc Zuckerberg est suspecté de récolter indûment des données personnelles.

Les procédures mettant en cause les abus de position dominante de Google ont débuté en novembre 2010 devant la Commission européenne. L’une est relative à la recherche en ligne et l’autre à son système d’exploitation Android. Mais alors que la Commission européenne mène actuellement une enquête sur les pratiques anti-trust du géant Google, ce dernier récidive en proposant un nouveau service « Google Destination » qui est un nouveau comparateur de prix dans le domaine du voyage et qui exerce une concurrence avec les comparateurs de prix Kayak, Liligo, Trivago… Plus précisément, ce que l’Union européenne reproche à Google n’est pas que son moteur de recherche soit utilisé à plus de 90% par les internautes mais qu’il mette en avant via celui-ci tous les autres services qu’il possède, au détriment de la concurrence.

Au niveau national, Airbnb court-circuite les locations de chambre d’hôtel et de gîtes. Booking.com, qui impose aux professionnels ses propres tarifs, vient d’être sanctionné par l’Autorité de la concurrence. L’entreprise a été contrainte de supprimer sa clause de parité tarifaire, qui empêchait les professionnels de pratiquer les prix qu’ils souhaitaient.

Des réponses doivent être apportées pour faire face aux dangers que représentent ces géants du numérique sur des pans entiers de l’économie. Pour Mathieu Weill, directeur général de l’Association française pour le nommage Internet en coopération, les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft) accusées d’évasion fiscale, d’abus de position dominante, de non-respect de la vie privée, devront changer de stratégie.

4. Conclusion

Outre l’abus de position dominante, les géants du numérique sont accusés d’évasion fiscale. A cet égard, le rapport de France Stratégie publié le 9 mars 2015 qui est le fruit des réflexions "des chercheurs des Ecoles d’économie de Paris (PSE), de Toulouse (TSE) et de l’Institut Mines-Telecom" revient sur les spécificités de l’économie numérique et des nouvelles difficultés de la fiscalité. Il préconise les pistes suivantes :

  • L’instauration d’une taxe sur les revenus publicitaires des entreprises.
  • La mise en place d’une taxe unitaire, fondée sur l’activité de la plate-forme, mesurée par le nombre d’utilisateurs sur le territoire national (annonceurs ou internautes) ou par le flux de données échangées.
  • La différenciation du taux d’imposition en fonction de l’origine des revenus. Il s’agirait d’appliquer « un taux plus faible pour les revenus produits par le simple accès au site (vente, recettes publicitaires liées à un mot-clé de recherche] que pour ceux générés grâce à des données stockées (revente de données sur les recherches à des tiers, stockage de données de vente pour une tarification ou une publicité ciblée).

Au total, on observe que le numérique est devenu un incontournable enjeu de puissance comme l’illustre l’ouvrage de Pierre Bellanger intitulé « la souveraineté numérique ».

5. Glossaire

Entreprise numérique : "Entreprise qui tire une part de sa valeur de la numérisation de ses activités, ses produits ou ses clients" (CIGREF).
Les GAFA : Google, Apple, Facebook et Amazon.
Les NATU : Netflix, AirBnb, Tesla Motors et Uber.
FinTech : « Entreprises utilisant des modèles opérationnels, technologiques ou économiques innovants et visant à traiter des problématiques existantes ou émergentes de l’industrie des services financiers » (Alain Clot, Président de France Fin Tech).

Copyright ANDESE
Le présent document est protégé par les dispositions du code de la propriété intellectuelle. Les droits d'auteur sont la propriété exclusive d'ANDESE (Association Nationale des Docteurs ès Sciences Économiques et en Sciences de Gestion). La copie ou la reproduction (y compris la publication et la diffusion), intégrale ou partielle, par quelque moyen que ce soit (notamment électronique) sans le consentement de l’éditeur constituent un délit de contrefaçon sanctionné par les articles L. 335-2 et suivants du code de la propriété intellectuelle.