Les devoirs des citoyens, qui peuvent être de nature juridique ou morale, constituent la contrepartie de leurs droits. De même, le pouvoir régalien de l'Etat n'implique pas que des droits mais aussi des devoirs.

D'aucuns définissent les droits régaliens ou pouvoirs régaliens (du latin jura regalia) comme des « marques de souveraineté dont dispose la royauté ou l'État ». Ils ont été clairement décrits en particulier au XVIe siècle par les penseurs de l'absolutisme. Ces droits consistent notamment à garantir la sécurité des citoyens (police, gendarmerie, armée), à définir le droit et rendre la justice, à assurer l'éducation et la santé des citoyens et à définir la souveraineté économique et financière, notamment en émettant de la monnaie. Pour financer ces fonctions régaliennes, l'État a recours à l'impôt. En effet, conformément à l'article 13 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 qui stipule que « pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés », les impôts, taxes, prélèvements obligatoires ou autres contributions ont avant tout pour but de permettre à l'Etat d'assurer ses missions.

Concernant cette relation entre le paiement de l'impôt et les services publics que l'on peut attendre en contrepartie, d'aucuns considèrent que ces services sont mal rendus et que l'impôt ne remplit pas pleinement son rôle. Il est devenu le correcteur des inégalités sociales au détriment du financement des investissements publics.

1 - Quid de la qualité des services publics en France face à une très forte pression fiscale ?

D'après le rapport publié en décembre 2018 par l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), la France figure parmi les 36 Etats membres où la pression fiscale est la plus forte. Avec 46,2 % de son produit intérieur brut (PIB) représenté par les prélèvements obligatoires en 2017, la France est passée devant le Danemark, qui passe en deuxième place avec un pourcentage de 46 % suivi de la Belgique, qui affiche un ratio de 44,6 %.

La question qui se pose alors est de savoir si les missions régaliennes de l'État français sont à la hauteur de cette pression fiscale ?

Pour répondre à cette question, nous proposons un état des lieux de quelques missions de l'État et tout d'abord dans le domaine de la sécurité. D'après les résultats de l'enquête « Cadre de vie et sécurité » conduite par l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), en partenariat avec l’Observatoire national de la délinquance et de la réponse pénale (ONDRP) et avec le Service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMSI) publiés en décembre 2018, l'insécurité et la délinquance se sont aggravées en 2018. Ainsi, le nombre de violences physiques et sexuelles constatées par les forces de sécurité a augmenté sensiblement en 2018. Le nombre de victimes d'homicides s'est élevé à 845 contre 825 en 2017. Les plaintes pour violences sexuelles sont celles qui enregistrent la plus forte augmentation, soit 19% de plus qu’en 2017. Par ailleurs, le nombre de victimes de coups et blessures sur personne de quinze ans ou plus dépasse les 240 000 victimes en 2018, un niveau sensiblement plus élevé que celui enregistré les années précédentes. Le nombre de victimes de coups et blessures volontaires progresse pour la sixième année consécutive, en hausse de 8% par rapport à l’année précédente. Enfin, le sentiment d'insécurité éprouvé par les citoyens progresse. En France, l'insécurité a dépassé les limites du supportable avec notamment la peur des attentats qui menacent notre territoire. Agnès Verdier-Molinié dans un article intitulé « Les missions régaliennes d'abord ! » écrit : « la série d'attentats qui a frappé la France a remis les questions régaliennes au cœur des préoccupations des Français. Or notre Etat a négligé ses missions premières de sécurité, justice, défense et pénitentiaire pour arroser tous azimuts en aides sociales ». Elle rappelle qu'à l'heure actuelle, les dépenses sociales représentent environ 34 % de notre richesse nationale contre 3 % pour les dépenses régaliennes. De fait, les Français ne font plus confiance au gouvernement pour assurer leur sécurité. Ils s'interrogent de plus en plus sur la question de savoir pourquoi ils paient des impôts alors qu'ils sont victimes d'une très forte insécurité.

S'agissant de la santé, la situation des services d'urgence s'est nettement dégradée. Ces derniers sont à bout de souffle. De plus, d'après un rapport d'information du Sénat sur la pénurie de médicaments et de vaccins publié en septembre 2018, « depuis quelques années, les situations de ruptures de stock et de tensions d'approvisionnement connaissent une progression très inquiétante », au point que les problèmes d'indisponibilité de médicaments peuvent aujourd'hui être considérés comme chroniques en France comme dans certains pays de l'OCDE. Ces difficultés concernent l’ensemble des médicaments et des vaccins, qu’il s’agisse de médicaments d’intérêt vital (dits « médicaments d’intérêt thérapeutique majeur » - MITM) principalement dispensés à l’hôpital, ou de médicaments d’usage quotidien vendus en officine. Ce même rapport souligne entre autres à juste titre que « les pénuries sont à l’origine d’un préjudice sanitaire très important pour les patients comme pour la collectivité ». Pour justifier des prélèvements obligatoires aussi élevés, on pourrait invoquer la qualité du système de santé français. Malheureusement, notre système de santé s'est détérioré. Nous en voulons pour preuve, outre les graves dysfonctionnements évoqués précédemment, les classements internationaux qui révèlent que la France ne se situe pas parmi les premiers. Ainsi, selon la Convention Health Analysis and Management (octobre 2018), le système de santé français se classe bien après la Suède, l'Allemagne, le Danemark et les Pays Bas. De son côté, l'Institut de Recherches Économiques et Fiscales (IREF) avait montré aussi, dans une étude comparative de 2017, que malgré ses substantielles dépenses dans ce domaine, la France est loin d'avoir le meilleur système de santé en Europe.

Dans le domaine de l'éducation où règnent la sinistrose et des problèmes sociétaux, beaucoup d'enseignants du primaire et du secondaire démissionnent de leur poste. Nous observons en effet qu'à côté des difficultés quotidiennes auxquelles sont confrontées les enseignants (manque de considération, absence de discipline, ...) ces derniers reçoivent des salaires qui se situent en -dessous de la moyenne des pays de l'OCDE. A titre d'exemple, le salaire annuel moyen d'un professeur des écoles s'établit à 32 258 $ en début de carrière et 41 884 $ au bout de 15 années de service contre 29 516 et 35 963 en France. 19 pays sur 37 ont un salaire des enseignants plus élevé que celui versé en France. Ce constat concernant les salaires dans le primaire et le secondaire se retrouve également dans l'enseignement supérieur. Est-il digne pour une nation à haute prétention de civilisation d'accepter que les enseignants soient les parents pauvres de la fonction publique ? Les conséquences de cet état de fait sont notamment l'expatriation des enseignants ainsi qu'un enseignement qui se dégrade. Comme le fait ressortir un rapport de la Cour des Comptes de décembre 2017 les remises en cause des résultats de notre système éducatif ne manquent pas : mauvais classement dans les comparaisons internationales, débats récurrents sur l'efficience médiocre de la dépense publique, etc.

Il ressort de ces quelques exemples qu'il existe d'importants problèmes dans la garantie de certains droits naturels. Sans prétendre à une contrepartie directe de l'impôt dont parle Gaston Jèze dans sa définition de l'impôt1, les contribuables attendent de l'Etat la sécurité, la défense de la France contre le terrorisme, la santé publique, ... Dans les pays nordiques où la pression fiscale est également très élevée, on observe que le ressenti en termes de retour sur imposition dans le service public est très important, contrairement à la France où nous avons perdu de vue qu'une imposition élevée a pour vocation première de financer un service public de qualité. En résumé, les scandinaves acceptent de payer beaucoup d'impôts, car l'argent est réinvesti dans un service public de qualité.
1 Gaston Jèze : "L'impôt est une prestation pécuniaire requise des particuliers par voie d'autorité, à titre définitif et sans contrepartie, en vue de la couverture des charges publiques".

Au terme de cet état des lieux, il ressort que nous nous sommes éloignés du rôle originel de l'impôt qui consiste à financer les services publics et dont la justification première est d'assurer les fonctions régaliennes de police, justice, armée, ... pour garantir à tous les citoyens leurs droits naturels : sécurité, santé, libertés fondamentales, etc.

 2 - De l'impôt-échange vers l'impôt redistributif

 Face aux tenants de la neutralité de l'impôt, pour lesquels la finalité de l'impôt était le financement des dépenses publiques, l'interventionnisme fiscal s'est imposé comme une évidence. D'une part, la fiscalité est devenue le correcteur des inégalités sociales au détriment du financement des investissements publics, le vecteur de la redistribution que l'on peut définir comme une modification de la répartition des revenus principaux, dont une partie est prélevée pour être reversée (prestations sociales). L'équité l'a emporté sur l'efficacité économique.

 L'idée d'un impôt redistributif n'a pas toujours prévalu. En réalité, deux grandes conceptions idéologiques de l'impôt se sont imposées : l'impôt-échange et l'impôt redistributif.

 La première conception de l'impôt, « l'impôt-échange », « l'impôt-assurance » ou "l'impôt-contrepartie" a prédominé pendant la seconde moitié du XVIIIème et au cours du XIXème. Elle pose l'impôt comme le prix payé par le contribuable pour la sécurité et les services que lui apporte l'Etat. Présente dès le XVIIème siècle sous la plume de Thomas Hobbes qui a posé les jalons de la théorie libérale de « l'impôt-échange », puis au siècle suivant sous celle de Locke, Adam Smith, Frédéric Bastiat, le physiocrate Turgot, etc., cette théorie assimile la prise de décision dans le cadre du secteur public à celle propre aux marchés et prône le principe d'équivalence, selon lequel "la répartition de l'impôt se fait en fonction de l'utilité que chacun retire de la consommation des services collectifs ainsi financés". Les impôts deviennent des contributions individualisées et volontaires : individualisées puisque les dispositions à payer varient d'un individu à l'autre en fonction de leurs préférences et de leur capacité à payer, volontaires puisqu'il s'agit d'une relation d'échange entre les contribuables et l'État, conçu comme simple intermédiaire au service des citoyens. L'égalisation entre la somme des dispositions marginales à payer pour obtenir le bien public et le coût marginal de production de ce bien détermine sa quantité optimale, selon la formule de Bowen-Lindahl-Samuelson (condition BLS2).
2 La condition BLS ((Bowen-Lindahl-Samuelson) définit la condition d’allocation optimale en présence de biens collectifs. On applique toujours le critère d’optimalité de Pareto (tel qu’appliqué pour les biens privés) en ajoutant les contraintes liées aux caractéristiques du bien collectif.

En résumé, cette approche classique simple de neutralité fiscale et justice fiscale se préoccupe essentiellement des conditions de réalisation de l'équilibre des marchés. A cet égard, les prélèvements obligatoires ont pour seule finalité de couvrir les dépenses publiques sans perturber les comportements des marchés et des opérateurs.

En réaction à la théorie de l'impôt-échange, s'est développée à la fin du XIXème siècle celle de « l'impôt redistributif » ou de « l'impôt-solidarité » avec l'apparition de l'Etat providence. Elle est marquée par l'idée de communauté et d'appartenance à cette dernière. Elle est née essentiellement chez les penseurs socialistes mais aussi et surtout solidaristes. Ainsi, à la conception traditionnelle de la fiscalité destinée à financer des "biens indivisibles" (justice, armée, police, diplomatie, ...), s'est ajoutée celle d'un outil privilégié pour favoriser la redistribution des richesses et réduire les inégalités.

Le système fiscal français est l'un des plus redistributifs d'Europe. Les prestations sociales compensent fortement les écarts de revenus et rendent le système de prélèvements obligatoires redistributif pour les ménages à faible revenu. A cet égard, le rapport Ducamin souligne que pour les revenus les plus élevés, le revenu disponible ne représente que 40 % du revenu initial alors que pour certains des revenus les plus bas, il peut dépasser le revenu initial. Pour Alexandre Mirlicourtois, directeur de la conjoncture et de la prévision chez Xerfi, si l'effort contributif est plus important en France qu'ailleurs, c'est en partie parce que le modèle social français redistribue des revenus de façon plus massive. Il a calculé « qu'avant redistribution, le revenu mensuel moyen des 20% les plus modestes est de 553 euros pour une personne seule et de 4 566 euros pour les 20% les plus aisés soit un rapport de 1 à 8 environ. Après redistribution, le revenu des plus modestes s'élève à 933 euros (en hausse de 69%) alors que le revenu des plus aisés diminue de 19% pour se situer à 3 705 euros. Le rapport est désormais de 1 à 4 ».

La politique de redistribution qui continue d'être menée se caractérise par une pression fiscale de plus en plus lourde pesant notamment sur les classes moyennes. Ce type de fiscalité est lourd de conséquences en termes d'équilibre économique. Il conduit non seulement à une paupérisation des classes moyennes (maillon le plus solide de la société française pendant des décennies), à un accroissement de l'assistanat, mais il pèse également très fortement sur la compétitivité ainsi que sur l'investissement et l'innovation. La théorie économique montre les risques que le niveau élevé des prélèvements obligatoires en France, assis principalement sur les facteurs de production (travail et capital productif), fait peser sur l'économie, et en particulier le rôle préjudiciable à l'emploi que joue une concentration excessive de la fiscalité sur le facteur travail. La légitimité de l'impôt est remise en question et l'État est accusé de gaspilleur de ressources.

3 - Conclusion

Les Français déplorent une pression fiscale qui ne cesse de croître alors que la quantité et la qualité des services publics se détériorent. Ils ont la sensation que l'État ne remplit pas ses missions premières.

Au total, la structure de la politique fiscale doit évoluer pour prendre en compte l'exigence de clarté dans l'attribution du produit de l'impôt. Un des principes de base demeurant la responsabilité de la puissance publique qui lève l'impôt, cela suppose que le contribuable puisse identifier la destination des impôts qu'il acquitte.

4 - Glossaire

Principe du consentement à l'impôt : Principe selon lequel un impôt prélevé par l'Etat doit avoir été accepté par les représentants de la nation.

Coût marginal de production : Coût induit par la fabrication d'une unité supplémentaire d'un bien.

Impôt échange : Prix à payer par le contribuable pour la sécurité et les services que lui apporte l'État.

Impôt redistributif : Impôt qui vise à réduire les écarts de revenus entre les ménages d'une même société.

Principe de neutralité fiscale (théorie classique) : Principe selon lequel la fiscalité ne doit être qu'un outil de couverture des dépenses étatiques par des recettes sous la forme de contributions obligatoires demandées aux agents économiques.

Observatoire national de la délinquance et de la réponse pénale (ONDRP) : Département de l’Institut national des hautes études de la sécurité et de la Justice ayant pour activité principale la production et la diffusion de statistiques sur la criminalité et la délinquance.

Politique fiscale : Ensemble des mesures et des décisions prises par un gouvernement et les pouvoirs publics en termes de fiscalité afin de financer les dépenses publiques tout en soutenant l'activité économique.

Prélèvement obligatoire : Ensemble des versements effectifs opérés par tous les agents économiques au secteur des administrations publiques (élargi en Europe aux institutions de l’Union européenne).

Service public : Désigne habituellement aussi bien une activité destinée à satisfaire un besoin d'intérêt général que l'organisme administratif chargé de la gestion d'une telle activité.

Service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMSI) : Service du Ministère de l'Intérieur qui assure la centralisation, le contrôle, le traitement et la diffusion des données relatives à la criminalité et à la délinquance enregistrées par la police et la gendarmerie.

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