Afin de rebondir après la crise économique provoquée par la pandémie du coronavirus, de contribuer à réparer les dommages économiques et sociaux causés par cette pandémie et de protéger des emplois, les États membres de l’Union européenne (UE) ont décidé de réfléchir à un plan de relance européen sous l’égide de la Commission européenne.

Après avoir retracé le déroulement des négociations, nous examinerons les enjeux du plan de relance européen pour la France.

1. Le déroulement des négociations concernant le plan de relance européen

A. Les différentes propositions pour arriver à un accord commun

Le 18 mai 2020, une proposition franco-allemande a insisté sur la nécessité d’une relance qui reposerait sur quatre piliers :

  • La garantie d’une souveraineté stratégique pour le développement d’une industrie sanitaire européenne.
  • La création d’un fonds de relance de 500 milliards d’euros sur trois ans, qui serait inscrit dans le cadre financier pluriannuel du budget de l’UE et qui serait financé par un emprunt au nom de l’UE.
  • L’accélération des transitions écologique et numérique.
  • Un nouvel élan du marché unique en s’appuyant sur une diversification des chaines de valeur et une modernisation de la politique de concurrence.

Pour répondre à cette proposition, l’Autriche, les Pays-Bas, la Suède et le Danemark (que certains ont osé qualifier de « frugaux ») ont présenté leur propre proposition de plan d’aide économique face à la crise sanitaire du coronavirus basée sur deux piliers :

  • La refonte du budget de l’UE, qui permettrait une marge de manœuvre financière aux membres concernant les dépenses relatives à la pandémie sans pour autant procéder à un accroissement des contributions nationales.
  • Un fonds de relance exceptionnel et temporaire, qui reposerait non sur des subventions et sur un emprunt commun, mais sur des prêts sans mutualisation et, sous conditions de réformes.

Le 27 mai 2020, la Commission européenne a divulgué sa proposition ayant pour objectif d’ouvrir les négociations entre les vingt-sept. Celle-ci prévoit la création d’un plan de relance intitulé « Next Generation EU », un nouvel instrument de relance qui serait doté d’un budget de 750 milliards d’euros et qui s’appuierait sur une augmentation significative de la taille du budget de l’Union européenne grâce à de nouveaux financements levés sur les marchés financiers. Le budget atteindrait 1 1 00 milliards d’euros pour la période 2021-2027. Pour financer cette hausse, la Commission européenne propose de nouvelles ressources propres qui pourraient atteindre un plafond représentant 2 % du total du revenu national brut (RNB) des États membres.

La proposition de la Commission européenne sera déployée en trois piliers :

  • Aider les États membres à se remettre de la crise, à réparer les conséquences de cette dernière et à en sortir plus forts.
  • Donner un coup de fouet à l’économie et aider les investissements privés.
  • Tirer les enseignements de la crise et relever les défis stratégiques auxquels l’Europe est confrontée.

Par ailleurs, la crise ayant souligné l’importance pour l’UE de pouvoir réagir avec rapidité et souplesse pour mettre en place une réponse européenne coordonnée, la Commission a suggéré de renforcer la flexibilité du budget de l’UE et les outils d’urgence pour la période 2021-2027 : réserve de solidarité et d’aide d’urgence, fonds de solidarité, fonds européen d’ajustement à la mondialisation et instruments clés à l’appui du plan de relance pour l’Europe. Enfin, pour financer les investissements nécessaires, la Commission suggère d’émettre des obligations sur les marchés financiers internationaux au nom de l’UE.

B. Les réactions des États membres de l’UE avant d’arriver à un accord 

Comme lors de la crise des « subprimes », les divergences ont porté notamment sur l’idée d’une mutualisation des dettes nationales via l’émission d’obligations corona (« coronabonds »).

Quel que soit le nom qu’on lui donne, « euro bond », « corona bond » ou « recovery bond », un « bond » est un titre de dette émis lors d’un emprunt que les États émettent sur les marchés pour financer leurs déficits et qui sera souscrit par des investisseurs publics ou privés, banques et autres fonds. A l’heure actuelle, chaque État de la zone euro émet ses propres titres sur sa garantie nationale : plus le pays est solide, plus les taux sont bas. A titre de comparaison, l’Allemagne continue à emprunter à taux négatifs à 10 ans (- 0,40 %) alors qu’en Italie, les taux ont grimpé à 2,4 % début avril 2020. Pour les défenseurs des obligations corona, ces derniers émis collectivement réduiraient les coûts d’emprunt des pays les plus touchés d’Europe.

L’idée d’émettre des obligations corona a été suggérée par l’Italie soutenue par la France et sept autres pays membres. L’idée n’est pas nouvelle et soulève la question de la mutualisation des dettes comme le rappelle Céline Antonin, économiste à l’OFCE et spécialiste de la zone euro : « Les obligations corona ou « coronabonds » sont les équivalents des « eurobonds » qui avaient été évoqués en 2011 lors de la crise de la dette grecque et qui n’ont jamais vu le jour.

Les pays du Nord de l’Europe, l’Allemagne en tête, ont accueilli très froidement cette proposition. Plus vertueux en matière budgétaire, ces pays ont toujours observé avec méfiance les Etats du Sud, qu’ils jugent plus laxistes. Les pays « fourmis » contre les pays « cigales » ou encore les pays « Club Med ».

Alors que l’Allemagne était opposée à la mutualisation des dettes, on assiste à un revirement en mai 2020. Seuls, l’Autriche, les Pays-Bas, la Suède et le Danemark ont rejeté l’idée de mutualiser la dette européenne jusqu’à l’obtention d’un accord pour le plan de relance. Selon eux, une mutualisation des dettes permettrait aux économies européennes les moins disciplinées et les plus faibles de bénéficier d’un financement moins cher grâce aux économies plus fortes du Nord. Ces quatre pays refusent également toute « augmentation significative » du budget de l’UE, comme le souhaite le couple franco-allemand. Au total, ils défendent le seul recours au Mécanisme européen de stabilité (MES).

C. L’accord sur le plan de relance européen

Les dirigeants européens se sont finalement mis d’accord sur le plan de relance destiné à faire face à la crise sanitaire du coronavirus. La Commission européenne va émettre 750 milliards d’euros de dette, dont 390 milliards de subventions et 360 milliards de prêts qui seront à rembourser par chacun des pays demandeurs. L’Autriche, les Pays Bas, la Suède et le Danemark ont obtenu un droit de regard sur l’utilisation des subventions par leurs bénéficiaires ainsi qu’un renforcement des « rabais » sur les contributions nettes. Les rabais se montent à 1,92 milliard d’euros pour les Pays-Bas, à 377 millions pour le Danemark, à 565 millions d’euros pour l’Autriche et à 1,07 milliard pour la Suède. Le rabais accordé à l’Allemagne, de 3,67 milliards ne change pas. Le budget de l’Union européenne pour les années 2021-2027 a, quant à lui, été fixé à 1 074 milliards d’euros contre 1 100 milliards proposés par la Commission européenne et 1 300 demandés par le Parlement européen.

S’agissant du financement de ce plan de relance, la Commission européenne propose de créer de nouvelles taxes levées dans l’Union européenne telles qu’une taxe sur le plastique non-recyclé début 2021, une taxe carbone aux frontières de l’UE pour pénaliser les importations de produits fabriquées par des usines polluantes et une taxe sur les géants du numérique. Cela étant, les tentatives pour instaurer des taxes européennes ont jusqu’ici échoué comme ce fut par exemple le cas de la taxe GAFA. Rappelons qu’elles nécessitent l’unanimité des vingt-sept pays de l’UE.

2. Plan de relance européen : quels enjeux pour la France ?

Dans le cadre du plan de relance européen destiné à lutter contre les conséquences économiques néfastes de la crise du coronavirus, la France, que d’aucuns qualifient « d’homme malade de l’Europe », devrait obtenir 40 milliards de subventions. Notre pays est le troisième bénéficiaire après l’Italie (80 milliards) et l’Espagne (60 milliards). En plus de cette subvention, la France pourra emprunter parmi les 360 milliards d’euros disponibles pour des prêts.

A. La France, l’homme malade de l’Europe

L'économie française va mal : un taux de chômage élevé, un blocage du marché du travail, un fort taux d'endettement, un profond déséquilibre de la balance commerciale, une croissance "molle", une menace du régime des retraites, un déficit des comptes sociaux, ... Tous ces maux conduisent à un profond malaise sociétal, à une société française en état de stress.

Dans un ouvrage collectif intitulé « Le malaise français, comprendre les blocages d'un pays » sous la direction d'Eric Fottorino, des écrivains, sociologues, historiens et économistes explorent les causes et les manifestations du malaise français. Pour ces auteurs, la France a mal à sa justice, à son administration, à ses emplois, à son école et à sa jeunesse, à son agriculture, à son industrie, à son histoire, à sa langue, à sa culture.

Les maux qui affaiblissent la France sont hélas nombreux ; tout d'abord sur le marché du travail où l'on observe un chômage élevé (8,7 % en juin 2019 contre 3,1 % pour l'Allemagne et 3,9 % pour la Grande Bretagne), ainsi qu'un fort taux d'absentéisme lié à un problème de mal-être au travail ainsi qu'aux contraintes physiques et psychologiques pesant sur les salariés. En outre, la France vit au-dessus de ses moyens. Elle consomme plus qu'elle ne produit et vit aux dépens des autres. Ainsi, depuis le début des années 2000, notre balance commerciale est déficitaire et le déficit ne cesse d'augmenter. La France souffre également d’un important endettement non seulement public (100,4 % du PIB contre 60,21 % du PIB en Allemagne) mais également privé. A ces mauvais indicateurs se greffe la « faillite du système de santé publique » (cf. Gwenaël Frassa, chef des urgences dans un hôpital toulousain). Enfin, la France mène une politique d’assistanat trop développée pesant très fortement sur la compétitivité ainsi que sur l'investissement et l'innovation.

Les politiques menées par la France ne lui ont pas permis d’être prête pour affronter la crise du coronavirus. Selon un sondage Elabe effectué le 25 mars 2020, 73 % des Français pensent que la France n’était pas prête pour faire face au coronavirus. En outre, une majorité d’entre eux estiment que nos dirigeants ont trop tardé à prendre les mesures nécessaires et que la crise est mal gérée. Pour le professeur Alain Bauer, « Les occidentaux ont regardé la Chine les bras croisés » et pour Frédéric Bizard, économiste des questions de santé, professeur à l’ESCP et président de l’Institut Santé, « il y a eu un retard à l’allumage ».

La crise du coronavirus a alimenté la fracture Nord-Sud de l’Europe et les aides économiques les plus élevées ont concerné les pays du Sud de l’Europe (dont la France) qui étaient déjà en difficulté économique avant le début de la pandémie.

B. 40 milliards d’euros de subventions pour la France : qui va en bénéficier ?

Les subventions accordées dans le cadre du plan de relance ne seront pas immédiatement disponibles car il faut tout d’abord que l’accord européen voté le 21 juillet 2020 soit entériné. Par ailleurs, le budget à long terme de l’Union européenne relatif au plan de relance sera débattu en décembre.

Les fonds seront débloqués sur trois ans (70 % en 2021-2022 et 30 % en 2023). Les programmes nationaux de relance donnant lieu au déblocage seront évalués par la Commission européenne, puis validés par les Etats membres à la majorité qualifiée. Chaque État aura une forme de droit de regard sur l’utilisation des fonds envisagée par les autres membres. Chaque État ne pourra pas bloquer individuellement l’octroi des fonds mais pourra en revanche demander qu’un dossier soit examiné lors d’un sommet européen.

Les 40 milliards de subventions vont contribuer à financer le plan de relance français de 100 milliards d’euros sur deux ans. Ce plan de 100 milliards sera présenté dans le détail le 24 août en Conseil des ministres. Toutefois, le Premier Ministre, Jean Castex, en a esquissé les grandes lignes : 40 milliards seront consacrés au développement de l’industrie française, 20 milliards iront à la transition écologique, deux enveloppes de 20 milliards seront destinées à l’emploi, notamment des jeunes et à des aides aux ménages modestes avec notamment une augmentation de l’allocation de rentrée scolaire.

La répartition, qui consacre 20 % du plan de relance aux foyers modestes s’inscrit dans une politique d’assistanat qui est déjà trop développée en France. Avec un tiers de la richesse nationale consacrée à la protection sociale, soit 727,9 milliards d'euros en 2017, la France reste le pays le plus généreux d'Europe, indique une étude de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES), le service statistique du ministère de la santé et de la solidarité. D'aucuns parlent de la France comme « la patrie des mille et une allocs ! ». Plutôt que travailler, certains ne comptent que sur les aides sociales. Éric Brunet, auteur de l'Obsession gaulliste publié en 2017, conclut dans son ouvrage que « la générosité publique française, la plus importante du monde, donne mais n'apprend pas ». Au lieu de développer sans cesse l’assistanat, il faut redonner au travail ses titres de noblesse en mettant en place des stratégies qui fournissent les incitations nécessaires pour travailler et qui permettent d’en finir avec l’assistanat qui coûte très cher à la nation. « La France n’a plus les moyens d’accueillir toute la misère du monde ».

En résumé, si nous voulons sortir de cette crise sanitaire et empêcher notre économie de rester totalement à l’arrêt, les valeurs comme le civisme, la dignité, le goût de l’effort, la volonté de réussir doivent renaître. L’accroissement des aides de l’Etat providence n’est absolument pas la panacée.

3. Conclusion

La crise sanitaire a mis en lumière les difficultés économiques auxquelles nous sommes confrontées : désindustrialisation, dépendance à la Chine pour les importations de produits informatiques, l’électronique, le textile et les chaussures, croissance "molle" … Face à cette situation, un changement profond de notre modèle économique et social avec la mise en œuvre de profondes réformes structurelles s’impose avec notamment un redémarrage de notre industrie comme le souligne Daniel Bretonès, Président de l’Association Nationale des Docteurs ès Sciences Économiques et en Sciences de Gestion (ANDESE) dans un article intitulé « Va-t-on vers un redémarrage de l’industrie française ? ».

Mais pour que ces réformes soient un succès, il faut un changement profond des mentalités. Dans son ouvrage intitulé « What’s wrong with France », l'avocat Laurent Cohen-Tanugi déclare que la France doit changer d'état d'esprit. Il est urgent de relever les défis car avec la crise de la Covid 19 la question de la fracture entre les pays du Nord et les pays du Sud est réapparue, d’aucuns nous classant dans les pays du Sud accusés de laxisme budgétaire. Il semble que nous ayons basculé dans le bloc des pays qualifiés de « cigales » qui connaissent de nombreux problèmes comme le surendettement, le manque de confiance et un fort taux de chômage. Il faut donc impérativement sortir du système de médiocratie dans lequel nous sommes tombés, qui encourage la médiocrité et fait la promotion de l’incompétence. Nous devons faire preuve de plus d’exigence et mettre en avant les véritables compétences si nous voulons éviter que la France s’enfonce chaque jour davantage dans un marasme économique et social.

4. Glossaire

Désindustrialisation : Action de réduire ou de faire disparaître une ou des activités industrielles.

Géant du numérique : Entreprise numérique ayant entre autres un pouvoir de marché gigantesque et une forte capitalisation boursière.

Mécanisme européen de stabilité (MES) : Organisation financière internationale distincte de l’Union européenne qui dispose d’une capacité conditionnelle de prêts au bénéfice d’un État membre rencontrant ou risquant de connaître des difficultés financières.

Médiocratie : Pouvoir détenu, influence exercée par des médiocres.

Taxe GAFA : Taxe visant les entreprises numériques qui exercent trois types d’activité en France : publicité en ligne, vente de données personnelles à des fins publicitaires et des activités de plateforme d’intermédiation.

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