Introduction

Dans son ouvrage intitulé « Seuls ensemble – De plus en plus de technologies, de moins en moins de relations humaines », la psychologue et anthropologue américaine Sherry Turkle, étudie « les rapports qu’entretiennent les gens avec leurs ordinateurs ». Elle présente, dans sa recherche, l’apparition de nouvelles formes de solitude chez les utilisateurs de robots de compagnie ou sociaux. Pour illustrer les nouveaux comportements, l’auteure prend l’exemple d’un colloque auquel elle a assisté. Les participants étaient tous connectés (à leur ordinateur, tablette, smartphone, etc.) sans un profond intérêt pour les discours des intervenants. Sherry Turkle montre que les relations instaurées sur les réseaux sociaux peuvent procurer une certaine satisfaction, de la même manière que le tamagotchi par exemple qui donne l’illusion de combler la solitude des personnes seules et isolées.

Notamment depuis les années 1990 , les enfants ont un comportement addictif à l’égard du tamagotchi, célèbre jeu électronique. Ce dernier, gadget au départ sous la forme d’une petite console, puis dans la version connexion, demande à être nourri, lavé et soigné comme un petit « animal virtuel ». Il ne doit pas s’éteindre au risque de mourir. D’après Daniel Ichbiah, écrivain et journaliste spécialisé dans les jeux vidéo, les nouvelles technologies, etc., ce type de jeu, « réalise une véritable prise d’otage affective avec la réalisation d’un fort sentiment de culpabilité. La relation qui s’installe entre l’enfant et son jouet est très forte et constitue un asservissement technologique au détriment de la vie sociale et familiale ».

Après avoir évoqué la dépendance au smartphone, nous en évoquerons les risques.

1. L’addiction au smartphone

A. Le smartphone, « meilleur ami obligé de l’homme »

Selon le psychiatre Dan Véléa, « le potentiel addictif de la réalité virtuelle apparaît en articulation avec la cyberdépendance, dans une intrication avec les « toxicomanes sans drogues » […] Les nouveaux mondes virtuels, représentent des refuges possibles et attractifs pour les personnes ayant du mal à communiquer dans un « face à face », ayant une dimension altérée temporo-spatiale […] Le développement d’une dépendance au monde virtuel, concomitant au « boom » des nouvelles technologies est l’expression de la « société de désinhibition » et des « maladies de la modernité » qu’évoque le sociologue Alain Ehrenberg. Catherine Price, dans son ouvrage intitulé « Lâche ton téléphone ! », écrit : « Votre téléphone est la première chose que vous regardez en ouvrant les yeux le matin. Vous le consultez instinctivement pour trouver la réponse à toutes les questions, ou simplement passer le temps. Et ce, même lorsque vous êtes en excellente compagnie. Rien d’étonnant ! Les smartphones sont conçus pour nous rendre dépendants ». Cette dépendance touche tout le monde, quelles que soient ses origines sociales, ethniques ou religieuses.

Nous observons que depuis quelques années, le smartphone est devenu un accessoire indispensable, un objet du quotidien. D’aucuns parlent « du meilleur ami obligé de l’homme ». D’après l’ARCEP, 77% des Français ont un smartphone et 94% d’entre eux l’utilisent quotidiennement. De son côté, la société britannique SecurEnvoy révèle que nous consultons en moyenne notre téléphone portable 221 fois par jour et nous y passons environ trois heures et 16 minutes. Un sondage de Pew internet Project révèle que 44% des personnes interrogées avouent dormir avec leur téléphone portable à côté du lit ou sous l’oreiller pour ne rien rater.

En novembre 2020, la London School of Economics a publié une étude intitulée : « D’où vient notre dépendance aux smartphones ? ». D’après cette étude, les notifications ne seraient pas les principales sources de dépendance. Les auteurs citent les conversations WhatsApp, la vérification de son écran de verrouillage, la navigation sur Instagram, l’utilisation de Facebook, la vérification de ses courriels et les appels téléphoniques. Pour Saadi Lahlou, professeur de psychologie sociale au Département des sciences psychologiques et comportementales de la London School of Economics, « l’acte de vérifier son téléphone est devenu un réel besoin pour beaucoup d’utilisateurs, dépassant ainsi la fonction de moyen de communication ». Il déclare : « Nous ne nous rendons pas compte à quel point ces appareils changent notre mode de vie. Nous devons apprendre à éviter cette tentation lorsque l’on a besoin de se concentrer ou lorsque nous sommes avec des amis ».

B. La nomophobie, le nouveau mal du siècle

Cette place croissante du smartphone dans la vie des individus peut conduire à la nomophobie ou mobidépendance. La nomophobie, contraction de l’expression « no mobile phone » et « phobia » est un phénomène récent lié au développement des nouvelles technologies de l’information et de la communication (TIC) qui traduit une anxiété démesurée de se retrouver sans son téléphone mobile. Les personnes les plus touchées sont les adolescents et jeunes adultes, mais également les cadres supérieurs. En effet, environ deux tiers de ces derniers seraient addicts de leur smartphone, non seulement au bureau mais aussi à leur domicile. Les smartphones rencontrent un immense succès et nous remarquons que les consommateurs s’en servent davantage pour des services annexes que pour la communication (David G Taylor, Irina Pentina et Troy A. Voelker, 2011). Pour ces auteurs, le consommateur télécharge des applications notamment pour gérer des comptes bancaires, jouer, naviguer sur internet, aller sur les réseaux sociaux. Nous pouvons rajouter entre autres, l’achat en ligne et le paiement.

Notre addiction au smartphone nous « transformerait en animal asocial ». Nous en sommes devenus les esclaves. Mais avons-nous conscience des risques associés à cette dépendance ?

2. Les risques engendrés par l’addiction au smartphone

A. Les risques pour la santé

Instrument essentiel de la vie moderne pour certains, son usage excessif présente des risques importants pour la santé tout d’abord.

Une étude australienne publiée en août 2020 dans la revue « International Journal of Environmental Research and Public Health » intitulée « Nomophobia : Is the fear of being without a smartphone associated with problematic use ?” de Fareed Kaviani, Brady Robards, Kristie L. Young et Sjaan Koppel, montre que plus les participants au sondage sont atteints de nomophobie, plus ils sont susceptibles d’avoir des comportements dangereux, voire illégaux. Les recherches menées dans le cadre de cette étude ont révélé « qu’au-delà des conséquences physiques : risques de myopie, migraines, troubles musculo-squelettiques, diminution des capacités cognitives, etc. l’addiction au smartphone a tendance à provoquer des frictions entre les mondes numériques et physiques ». La conclusion des auteurs est la suivante : « Nos résultats prouvent que la peur d’être sans son téléphone portable peut conduire à une utilisation problématique dépendante, interdite ou dangereuse, dont chaque facteur peut présenter des risques importants pour la santé, tels que la surutilisation, un comportement antisocial, ou une utilisation imprudente et physiquement compromettante ».

Certains utilisateurs sont devenus tellement dépendants qu’ils privilégient les relations virtuelles aux relations réelles. Nombreux sont les observateurs qui constatent que les relations humaines se sont dégradées depuis l’émergence du smartphone. En effet, il est désormais courant de voir des couples attablés dans un restaurant ou un bar, les yeux fixés sur leur smartphone, ne partageant aucun moment convivial. Ces situations se retrouvent dans les réunions familiales et amicales. Le smartphone a hélas altéré les rapports humains et sociaux. D’aucuns parlent du smartphone comme « synonyme de destruction sociale ». Jean M. Twenge, professeur de psychologie à l’Université d’État de San Diego, dans un article intitulé « Have smartphones destroyed a generation », étudie les conséquences de l’addiction au smartphone chez les adolescents. Pour ce professeur, « l’impact du smartphone et de sa cousine la tablette n’a pas été pleinement apprécié et va au-delà des préoccupations habituelles concernant la réduction de la durée d’attention ». Elle écrit : « Il n'est pas exagéré de décrire les iGen comme étant au bord de la pire crise de santé mentale depuis des décennies. Une grande partie de cette détérioration peut être attribuée à leurs téléphones » […]. « Mais le double essor du smartphone et des médias sociaux a provoqué un séisme d'une ampleur que nous n'avions pas vue depuis très longtemps, voire jamais. Il existe des preuves irréfutables que les appareils que nous avons mis entre les mains des jeunes ont des effets profonds sur leur vie - et les rendent sérieusement malheureux ». Elle rajoute que « des enquêtes ont montré des corrélations entre une forte utilisation des smartphones et des médias sociaux et une probabilité accrue de suicide ou de dépression ».

B. Les risques de sécurité au travail

Dans de nombreuses TPE et PME, le smartphone est à la fois à usage personnel et professionnel. Cela pose de véritables problèmes de sécurité. Des gigas de données sont exposées à des risques de sécurité numérique (piratage, vol, logiciel rançon (« ransomware »), etc.

L’apparition des mobiles, notamment le smartphone, participe à la tendance à la hausse du « Bring Your Own Device » (BYOD), que l’on peut traduire littéralement par « apportez votre propre matériel » consistant à emmener ses terminaux mobiles personnels sur son lieu de travail. Maître Éric Caprioli écrit à cet égard : « Les jeunes actifs de la fameuse génération Y préfèrent utiliser leur propre matériel, car il est souvent plus performant que celui fourni par leur employeur ». Les nombreux avantages de la BYOD pour les entreprises, ne doivent pas nous empêcher de prévenir les risques encourus : « hyper connectivité » comme facteur de stress pour le salarié, discrimination à l’embauche, problème de délimitation de la frontière entre sphères professionnelle et personnelle qui reste soumise à un flou juridique, questions juridiques liés à la responsabilité du salarié et de l’entreprise en cas de perte et de vols d’informations confidentielles, d’intrusion et de propagation virale.

C. Les risques de cybercriminalité

La démocratisation de smartphones s’est accompagnée d’une hausse de la cybercriminalité. La dernière étude publiée par l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP) faisait état de 775 000 plaintes pour vols de smartphones. En France, il y a un vol de smartphone toutes les quatre minutes.

Les smartphones n’offrent pas un niveau de sécurité suffisant et les arnaques sont nombreuses : usurpation d’identité, utilisation des données bancaires, etc. Ils constituent des cibles privilégiés pour les pickpockets.

3. Conclusion

Le smartphone est omniprésent dans notre quotidien à tel point que « regarder et interagir avec les écrans est devenu, pour la plupart d’entre nous, notre première occupation en dehors du sommeil » (Didier Courbet, Marie-Pierre Fourquet-Courbet, « Connectés et heureux ! du stress digital au bien-être numérique - février 2020). Cela étant, pour ces auteurs, la manière dont on utilise le smartphone peut avoir des effets différents : soit ils peuvent rendre addicts, intensifier le stress, l’anxiété, la déprime, augmenter le poids, les risques d’insomnie et d’accidents cardio-vasculaires, soit ils peuvent avoir l’effet inverse et améliorer notre bien-être et nos relations avec les autres. Pour « retrouver le chemin du bonheur tout en étant connecté », ils nous invitent à développer notre « intelligence numérique en modifiant notre manière d’utiliser les écrans, en développant nos forces de caractères, en donnant davantage de sens à notre vie et en entretenant des relations plus enrichissantes ».

Cet optimisme ne doit pas nous faire perdre de vue les graves dangers d’une fuite en avant technologique. Nous devons résister à la colonisation numérique !

4. Glossaire

Cybercriminalité : Ensemble des infractions pénales qui sont commises via les réseaux informatiques, notamment sur le réseau Internet.

Intelligence numérique : « Capacité à comprendre et à apprendre afin de mieux s’adapter à l’environnement numérique en mutation permanente » ( Didier Courbet et Marie-Pierre Fourquet-Courbet).

Logiciel rançon (« ransomware ») : Pratique frauduleuse consistant à verrouiller l'accès à un ordinateur ou à des données personnelles en les chiffrant.
Note : Pour déchiffrer les données avec une clé cryptographique ou disposer de l'équipement ou de la clé permettant de déverrouiller la machine, la victime doit verser une rançon, qui le plus souvent s'effectue à l'aide de bitcoins.

© Copyright ANDESE
Le présent document est protégé par les dispositions du code de la propriété intellectuelle. Les droits d'auteur sont la propriété exclusive d'ANDESE (Association Nationale des Docteurs ès Sciences Économiques et en Sciences de Gestion). La copie ou la reproduction (y compris la publication et la diffusion), intégrale ou partielle, par quelque moyen que ce soit (notamment électronique) sans le consentement de l’éditeur constituent un délit de contrefaçon sanctionné par les articles L. 335-2 et suivants du code de la propriété intellectuelle.