1. Introduction

La crise sanitaire de la Covid-19 a fait flamber en flèche les ventes en ligne. D’après le rapport d’activité de la Fédération du e-commerce et de la vente à distance (FEVAD) publié en octobre 2021, le commerce électronique de produits et services a atteint 112 milliards d’euros en 2020, soit une hausse de 8,5% par rapport à l’année précédente. Plus de 1 milliard de colis sont désormais expédiés chaque année en France. Par ailleurs, une nouvelle étude publiée par la FEVAD et KPMG sur le « commerce unifié » révèle que le panier moyen des transactions repasse au-dessus de 60 euros, après huit années consécutives de baisse. Le poids du commerce électronique dans le commerce de détail a fait un bond de 9,8% à 13,4% en un an, soit + 3,6%. Il ressort également de ces études que la baisse des ventes de services de 10% a été compensé par une très forte accélération des ventes de produits (32%) et que le comportement des consommateurs a changé : 88% des cyberacheteurs déclarent qu’ils continueront à commander via internet, malgré la réouverture des magasins ; 37% dévoilent qu’ils vont désormais acheter davantage sur Internet et 75% attendent des commerces de proximité un service de livraison : 60% pour les livraisons à domicile et 40% pour les retraits en magasin.

Ce dynamisme du commerce électronique profite au secteur des entrepôts étant donné que, comme l’explique Cécile Tricault, directrice générale Europe du Sud chez Prologis (un fonds d’investissement américain spécialisé dans la gestion d’entrepôts et de bâtiments logistiques qui détient 120 entrepôts en France), « le commerce en ligne demande plus d’espace logistique car l’espace de vente est transféré dans l’entrepôt. Et la différence est très importante, de l’ordre de trois fois plus ». En résumé, le commerce électronique s’impose désormais comme le nouveau moteur de croissance du marché des entrepôts.

Ainsi, après avoir évoqué les exigences logistiques du commerce en ligne, nous aborderons les réticences relatives à l’implantation de nouveaux entrepôts logistiques.

2. L’envolée du commerce électronique révolutionne la logistique et fait exploser le marché des entrepôts

Le secteur de la logistique est en plein essor. Dans un article publié le 19 octobre 2021, le Ministère de la transition écologique dresse le constat suivant : « avec 10% de création du PIB français et 150 000 entreprises, la filière de la logistique en France est stratégique pour l‘économie française, l’emploi et le développement des territoires » […]. « Cinquième recruteur en France, la filière logistique compte 1,8 millions d’emplois en France, soit quatre fois la filière automobile ». Concernant plus particulièrement le secteur des entrepôts, ce dernier recrute 30 000 personnes par an. Malgré la robotisation, la logistique reste un gros employeur.

A. Le marché des entrepôts en France

Le besoin des entrepôts est bien présent. D’après les chiffres du groupe immobilier CBRE, environ 27 millions de m2 seront nécessaires en Europe d’ici 2025 pour satisfaire la demande. Le secteur de l’entrepôt ne connaît pas la crise. Les projets ne manquent pas. Ainsi, le 8 juillet 2021, a été inauguré un entrepôt construit en blanc (voir glossaire) de 92 000 m2 à proximité du port du Havre. Cet espace sera exploité par JJA, une PME familiale de distribution du mobilier, décoration et arts de la table. Toujours dans le domaine de la distribution, l’américain Costco (spécialiste du club-entrepôt) va ouvrir dans l’hexagone un nouvel entrepôt fin 2021. Parmi les distributeurs en ligne (« pure players »), Amazon et Cdiscount sont très présents sur le marché des entrepôts. Amazon ouvre chaque année un grand centre de distribution et six agences de livraison. Après Senlis en 2020, ce géant du numérique a inauguré le 23 septembre 2021 son plus grand entrepôt français à Metz. Ce huitième entrepôt robotisé, qui n’affiche pas moins de 182 000 m2 de surface totale sur quatre niveaux, porte à trente-trois le nombre d’implantations d’Amazon dans l’Hexagone. Cdiscount (groupe Casino), numéro 2 du commerce électronique derrière Amazon, dispose d’un de ses plus importants entrepôts logistiques à Cestas, en Gironde.

La France compte 78 millions de m2 d’entrepôts, soit la superficie de la Ville de Strasbourg. Lieux de stockage et d’échange, les entrepôts logistiques sont en train de se multiplier et placent la France à la sixième place du classement mondial et au deuxième rang du marché européen derrière l’Allemagne (voir enquête de 2019 de Régions Job). Mais ce secteur a encore de nombreux défis à relever dont celui de la pénurie de main-d’œuvre qualifiée.

B. Un nouveau modèle d’entrepôt, le « magasin fantôme » (« dark store »)

Le nouveau modèle d’entrepôt, le « magasin fantôme » (« dark store »), s’inscrit dans une véritable stratégie logistique destinée à répondre à l’essor du commerce électronique. Ayant vu le jour au Royaume-Uni, il s’est répandu dans le monde entier. Il s’agit d’un grand établissement de vente au détail qui ressemble à un supermarché conventionnel ou à un autre magasin avec des allées et des étagères contenant des articles, mais non ouvert au public. Il fonctionne 24h/24 et 7j/7.

Ce type de magasin offre au client la possibilité de ne pas avoir à se rendre au supermarché pour retirer les articles qu’il a commandés. Il lui suffit de passer une commande en ligne et de se faire livrer à domicile.

Les magasins fantômes opèrent dans des bâtiments peu visibles, bien desservis par les routes et situés à l’écart des principaux centres d’affaires d’une ville ou d’un village. Cela étant, il existe des centres de traitement des commandes localisés dans des régions densément peuplées afin de réduire les délais de livraison et répondre ainsi aux exigences des clients. Ainsi, après la livraison en un jour, le géant Amazon ambitionne la livraison en 30 minutes. A cet égard, il a obtenu une licence de l’Agence fédérale de l’aviation (FAA) américaine pour mettre en place une flotte de drones autonomes de livraison.

C. La robotisation des entrepôts : l’entrepôt du futur !

Depuis la révolution industrielle, nous avons vu apparaître sur la chaîne d’approvisionnement différentes machines qui n’ont cessé de se perfectionner pour remplacer la main de l’homme dans des tâches répétitives, pénibles, dangereuses voire impossibles pour les humains. Il est question de mécanisation, d’automatisation et de robotisation.

La mécanisation, qui a débuté au cours de la révolution industrielle, est l’utilisation intensive de machines pour remplacer les opérations manuelles dans la réalisation des travaux. Nous pouvons citer comme exemple la mise en place de convoyeurs ou de transpalettes.

Puis est arrivée l’automatisation consistant à réduire ou rendre inutile l’intervention d’opérateurs humains dans un processus où cette intervention était coutumière. Un transstockeur ou une filmeuse sont des exemples d’automatisation dans l’entrepôt.

Enfin, la robotisation, qui fut longtemps l’apanage des industriels, a fait son apparition dans le monde de la logistique depuis quelques années. Elle consiste à substituer des robots à des opérateurs humains pour l’accomplissement de tâches précises.

Sur le plan opérationnel, la robotisation constitue la réponse aux objectifs de diminution des coûts logistiques et à la nécessité pour les acteurs de la logistique de s’inscrire dans un cadre réglementaire de plus en plus strict. Elle peut aussi bien être mise en place dans une logique de refonte complète des entrepôts que dans une logique d’optimisation de certains postes. Des exemples de robotisation sont entre autres les bras robotisés, les palettiseurs robotiques, les robots de surveillance et les drones.

Le 22 octobre 2019, Amazon inaugurait son premier entrepôt robotisé à Bretigny-sur-Orge. A l’échelle du groupe, ce dernier est l’un des plus grands entrepôts robotisés dans le monde. L’objectif d’Amazon de parvenir à 100% de robotisation fait peur. En 1952, l’économiste Leontief écrivait : « Le travail deviendra de moins en moins important. De plus en plus de travailleurs seront remplacés par des machines ». Avec l’avènement de la robotique « intelligente », ces craintes sont exacerbées. Dans une note d’analyse intitulée « Amazon, vers l’infini et Pôle emploi » publiée en novembre 2019, Mounir Mahjoubi, ancien secrétaire d’État au numérique, explique « qu’à chiffre d’affaires équivalent, les entrepôts Amazon emploient 2,2 fois moins de salariés que les commerçants traditionnels ». « Amazon détruirait deux emplois à chaque fois qu’elle en crée un ». Face aux inquiétudes en matière d’emplois, l’entreprise Amazon est très prudente lorsqu’elle évoque la présence grandissante de la robotique dans ses entrepôts.

JLL, conseil en immobilier d’entreprise, a publié une étude sur l’entrepôt du futur qui « permettra d’améliorer les processus et la rapidité des flux, tout en s’adaptant aux nouveaux besoins des consommateurs ». Selon cette étude, la redéfinition de l’entrepôt logistique s’effectue principalement via neuf éléments :

  • Les technologies sans fil et la localisation en temps réel.
  • Des équipes hyperconnectées.
  • Un prélèvement toujours plus intelligent avec la technologie « Goods to man » d’après laquelle les produits viennent à l’opérateur, accélère les processus de stockage et de préparation de commandes.
  • Des hauteurs libres toujours plus importantes afin de minimiser l’emprise foncière et d’optimiser l’usage des entrepôts.
  • Une maintenance prédictive des entrepôts grâce à l’analyse des mégadonnées (« Big data ») et de l’Internet des objets (IoT).
  • Une évolution vers le développement durable : voir les lois Grenelle 1 et 2, adoptées respectivement en 2009 et 2010, qui touchent particulièrement les entrepôts et plateformes logistiques. Entrepôts à énergie positive, entrepôts verts, les entrepôts se transforment eu égard à un cadre règlementaire plus contraignant.
  • Un modèle centré sur l’humain consistant à accorder une importance croissante à la qualité de vie des travailleurs au moyen d’éclairage adéquat, de capteurs de qualité de l’air, de régulateurs de température, etc.
  • Plus de flexibilité à la chaîne logistique.
  • Des sols super-plats aux pentes pour assurer le bon fonctionnement des technologies robotisées et faciliter les flux entrants et sortants.

3. L’installation de nouveaux entrepôts est complexe car elle se heurte à des réticences

La course effrénée d’Amazon qui veut dominer le marché des entrepôts logistiques suscite des résistances.

A. Les oppositions à l’installation de nouveaux bâtiments logistiques en France

L’extension d’Amazon dans l’Hexagone s’accélère. Ce géant du numérique, qui possède déjà 11 entrepôts logistiques et centres de distribution, prévoit d’en créer autant d’ici la fin 2021. Toutefois, la grogne s’installe dans les territoires et les recours devant les tribunaux pleuvent afin de faire échouer ces projets polluants et trop menaçants pour les commerces de proximité qui se heurtent à une concurrence déloyale de la part des géants du commerce électronique. Lors de la séance du 28 juin 2021 au sénat, le sénateur Daniel Salmon a dénoncé « l’amazonisation » de la France, « la destruction inévitable du tissu du commerce de proximité et de tous les liens sociaux qui font la vie quotidienne des bourgs et des centres-villes ».

Pour répondre aux opposants à l’ouverture de nombreux entrepôts notamment de ceux d’Amazon, Barbara Pompili, ministre de la transition écologique, a évoqué en juillet 2021 un moratoire de six mois sur l’installation des entrepôts. Elle propose le lancement d’une mission parlementaire pour dresser un état des lieux de l’impact économique et environnemental de l’essor des entrepôts logistiques.

Cette proposition fait écho à celle de la loi Climat qui voulait soumettre l’installation des nouveaux entrepôts à une autorisation d’exploitation, afin de limiter l’artificialisation des sols. Quid de l’aboutissement de ces propositions pour un développement des filières de commerce en ligne et de logistique plus responsables ?

B. Qu’en est-il de la réponse du gouvernement concernant la régulation de l’implantation des entrepôts ?

Le gouvernement n’a pas retenu les propositions évoquées précédemment. En définitive, la loi Climat et Résilience, qui cherche à limiter l’artificialisation des sols, s’est contentée d’interdire la construction de nouvelles zones commerciales de plus de 10 000m2 . Elle ne vise pas les entrepôts logistiques encadrés par la législation des installations classées (ICPE).

Dans le cadre du plan post-Lubrizol, destiné à « renforcer les prescriptions relatives à la prévention des risques d’incendie dans les stockages de liquides inflammables et combustibles et les entrepôts », le gouvernement a au contraire adopté des textes facilitant leur implantation. Le 7 décembre 2020, à l’issue d’un Comité interministériel dédié à la logistique, un ensemble de mesures ont été mises en avant « pour conforter la filière logistique dans son rôle de levier de la reprise économique ». Ces mesures consistent notamment à faciliter l’implantation de nouveaux entrepôts sur des sols déjà artificialisés et à simplifier les démarches administratives pour des sites « clés en main ».

C. La mission « entrepôts » confiée à France Stratégie

Dans le cadre de la lutte menée par la Convention citoyenne pour le climat contre l’artificialisation des sols, l’explosion des produits importés et de l’empreinte carbone, la destruction d’emplois dans la grande distribution et les commerces de proximité, le gouvernement a confié en septembre 2020 à France Stratégie, au Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD) et à l’Inspection générale des Finances (IGF) le soin d’analyser l’apport du commerce en ligne et du secteur logistique, ainsi que leurs impacts sur l’emploi, sur les territoires et sur l’environnement. Ces travaux devaient intégrer également une comparaison avec nos voisins européens (Allemagne, Belgique, Espagne, Italie, Pays-Bas et Royaume-Uni). Au terme de la mission, ces organismes devaient rendre un rapport proposant des mesures afin de garantir un développement durable du commerce en ligne et des entrepôts logistiques.

Ce rapport intitulé « Pour un développement durable du commerce en ligne » a été publié en février 2021. Après avoir présenté un diagnostic approfondi de l’impact économique, social et environnemental, tant positif que négatif, les auteurs formulent des propositions afin que le développement du commerce en ligne soit plus durable. Ils préconisent notamment :

  • D’améliorer l’équité en matière de fiscalité, de protection du consommateur et de concurrence entre les différentes formes de commerce.
  • De mieux prendre en compte la logistique dans l’aménagement territorial.
  • D’améliorer le bilan environnemental du commerce en ligne.
  • D’encourager la numérisation des acteurs économiques français (commerçants, industriels, artisans, agriculteurs) afin de promouvoir un commerce en ligne durable.
  • Créer un label « commerce en ligne durable ».

4. Conclusion

L'hyper-domination des géants du numérique comme Amazon a rendu de nombreux secteurs vulnérables. La crise de la Covid-19 ayant confirmé cette tendance, les commerces de proximité ont été particulièrement touchés, voire menacés. Des voix s’élèvent pour dénoncer la fermeture des commerces, le dépeuplement et l’appauvrissement des centres-villes qui connaissent depuis plusieurs années une désertification commerciale. Une enquête réalisée tous les ans depuis 2016 par l'institut CSA révèle que, face aux offensives constantes des géants de la distribution, la vitalité des centres-villes constitue un sujet d'inquiétude partagé. Dans son ouvrage « L’éloge du magasin – Contre l’amazonisation », le sociologue Vincent Chabault dénonce « l’apocalypse » du commerce de détail (« retail apocalypse ») importé des États-Unis et met en évidence les fonctions symboliques et l’utilité sociale du magasin à partir de résultats d’une série d’enquêtes. De même, pour Catherine Delga, ex-Secrétaire d'état chargée du Commerce, de l'Artisanat, de la Consommation et de l'Économie sociale et solidaire, « la richesse de nos rues vient précisément des commerçants qui les animent et qui en font un cœur battant ».

5. Glossaire

Chaîne logistique (« supply chain ») : Ensemble des processus nécessaires pour fournir des produits ou des services (source : FranceTerme).

Commerce électronique ou commerce en ligne (« e-commerce ») : Ensemble de transactions portant sur des biens ou des services et exécutées par tout moyen de télécommunication, pouvant donner lieu à un télépaiement.

Distributeur en ligne ou tout en ligne (« pure player ») : Établissement qui est 100 % numérique et dont la relation client s'effectue principalement par téléphone ou courriel.

Empreinte carbone : Quantité de gaz à effet de serre (GES) induite par la demande finale intérieure d’un pays – consommation des ménages, des administrations publiques et des organismes à but non lucratif et les investissements – que les biens ou services consommés soient produits sur le territoire national ou importés (source : INSEE).

Entrepôt : Bâtiment dans lequel les marchandises sont stockées plus de 24 heures.
Note : Un entrepôt est souvent muni d’étagères pour le rangement des palettes ou des colis.

Entrepôt construit en « blanc » : Entrepôt destiné à la location ou à la vente, dont la construction est lancée sans qu’il ait été loué à l’avance à un ou plusieurs utilisateurs.

Installation classée pour la protection de l’environnement (ICPE) : Exploitation industrielle ou agricole susceptible de créer des risques ou de provoquer des pollutions ou nuisances, notamment pour la santé et la sécurité des riverains.

Fédération du e-commerce et de la vente à distance (FEVAD) : Organisation professionnelle représentative des acteurs du commerce électronique.

Plateforme : Bâtiment dans lequel les marchandises sont stockées sur une durée de temps très limitée (moins de 24 h), dans le cadre d’une opération de dégroupage/groupage.
Note : Une plateforme n’est pas équipée d’étagères, les marchandises restant sur le quai dans l’attente de leur prise en charge.

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