1. Introduction

En février 2008, un groupe de travail intitulé « Commission pour la Mesure des Performances Économiques et du Progrès Social (CMPEPS) avec à sa tête le Professeur Joseph. E Stiglitz comme Président, le Professeur Amartya Sen comme Conseiller et le Professeur Jean-Paul Fitoussi comme Coordinateur, avait été mis en place à la demande de Monsieur Nicolas Sarkozy, Président de la République.

Cette Commission avait reçu pour mission d’identifier les limites du produit intérieur brut (PIB) en tant qu’indicateur des performances et du progrès social, de réexaminer les problèmes liés à sa mesure, de déterminer les informations complémentaires pouvant être nécessaires pour parvenir à des indicateurs du progrès social plus pertinents, d’estimer la faisabilité d’instruments de mesure alternatifs et de discuter de la présentation appropriée des informations statistiques.

Pour organiser son travail, la Commission Stiglitz – Sen – Fitoussi avait retenu trois domaines de réflexion : 1) les questions de mesure du PIB ; 2) le développement durable et l’environnement ; 3) la qualité de vie.

Les principales recommandations du rapport remis en septembre 2009 avaient été les suivantes :

  • - Le PIB ne peut constituer l’unique indicateur de la performance économique et du progrès social. Le PIB ne reflète pas le bien-être économique. Il s’agit notamment d’améliorer la mesure des services publics (éducation santé et autres services non marchands) et de prendre en considération la richesse, la production non marchande des ménages et la sécurité. En juin 2020, Joseph E. Stiglitz déclarait : « Débarrassons-nous du PIB ! ».
  • - Le progrès social ne doit pas être considéré sous un angle purement matériel. La qualité de la vie dépend aussi de facteurs non économiques comme la santé, les liens sociaux, la sécurité, les aspects environnementaux ainsi que la subjectivité de chacun.
  • - La performance économique et le progrès social doivent être évaluées sous l’angle de la soutenabilité.

Qu’avons-nous retenu du rapport Stiglitz – Sen – Fitoussi ? Quid du concept de « bonheur – ou bien-être national brut » (BNB) qui a pour ambition de remplacer le PIB et redéfinir la notion même de progrès ? Quel est l’état des lieux de la France face à cet objectif ?

2. De « l’ère d’abondance et d’insouciance » (dixit le Président E. Macron) à l’économie de pénurie

« Monsieur Poutine a créé une crise du gaz en Europe, l’Europe s’est inventée une crise de l’électricité » a déclaré à l’Assemblée nationale un député français. Mais la guerre seule n’explique pas tout.

« En France, la fragilisation de l’État-nation consécutive à la mondialisation s’est traduite par une démission de l’État de ses fonctions régaliennes et à une dépendance vis-à-vis de l’étranger pour des secteurs économiques stratégiques. » (Nadia Antonin, avril 2020).

2.1 Dépendance de la France pour des secteurs économiques stratégiques

La crise de la Covid-19 a précipité la prise de conscience de notre inquiétante dépendance vis-à-vis de l’étranger pour des secteurs économiques stratégiques. En d’autres termes, la crise sanitaire a souligné le caractère impérieux de la nécessité de renforcer notre indépendance dans certains secteurs.

Ce réveil des consciences a été amplifié par les répercussions résultant des sanctions prises à l’encontre de la Russie dans le cadre du conflit russo-ukrainien. Nous sommes aujourd’hui confrontés à un choc majeur sur les marchés des matières premières, notamment en matière d’énergie.

Concernant la France, le Gouvernement a reconnu que les risques de pénurie énergétique, et notamment d’électricité, étaient bien réels.

2.2 Pénurie énergétique

     Des tensions sur l’approvisionnement en électricité pour la période hivernale 2022-2023
Habituellement, la France exporte plus d’électricité qu’elle n’en importe, mais l’indisponibilité d’une partie du parc nucléaire l’ont obligée à se procurer d’importantes quantités d’électricité dans d’autres pays au cours du premier semestre 2022. Pour la période hivernale à venir (2022-2023), les autorités gouvernementales prévoient des tensions sur la fourniture en électricité si les vagues de froid sont importantes.

Pour faire face à la pénurie d’électricité, le gouvernement a signé un arrêté publié au Journal officiel le 27 septembre 2022 relatif aux dispositifs de comptage sur les réseaux publics de distribution d’électricité. Aux termes de cet arrêté, Enedis pourra suspendre via le compteur Linky « le signal d’enclenchement automatique lié aux heures creuses de 12 heures à 14 heures pour les usages électriques pilotés ». Ainsi, pour les ménages équipés de ballons d’eau chaude et bénéficiant des tarifs heures pleines/heures creuses, leur cumulus ne fonctionnera que la nuit. D’aucuns parlent de « contrôle social écologiste ».

En tout état de cause, nous allons être confrontés au spectre d’une raréfaction de l’électricité.

Comment expliquer ce risque de pénurie dont nous ne sommes pas coupables mais victimes ? Certains invoquent des prises de position , des erreurs de gestion et d’anticipation. Après « l’éducation » aux gestes barrières lors de la crise de la Covid-19 via des vidéos publicitaires (lavage des mains, manière de tousser, etc. ), l’Etat « nounou » nous recommande, dans le cadre de la « sobriété énergétique » de porter des cols roulés, des doudounes, d’éviter l’usage des sèche-linges et d’utiliser un étendoir, … ! A cela s’ajoute une campagne de sensibilisation, présentée par Madame Elisabeth Borne, premier Ministre, avec le slogan : « Je baisse, j’éteins, je décale ». De nombreux citoyens en ont assez de la politique d’infantilisation du gouvernement et sont agacés par ses recommandations qui ressemblent à des « gestes punitifs » (expression empruntée au philosophe et écrivain Pascal Bruckner). « Il nous parle comme si on avait 4 ans et qu’on était en maternelle, peut-être en CP mais pas plus haut » a déclaré Luc Ferry.

William Bouchardon et Jean-Baptiste Grenier rappellent que « pour chaque énergie, les causes de potentielles pénuries ne sont pas exactement les mêmes ». Ils rajoutent : « Tandis qu’en matière de pétrole et de gaz, les causes sont d’origine géopolitique, en particulier en lien avec la crise en Ukraine, la situation préoccupante en matière d’électricité possède des explications directement liées aux politiques publiques françaises et à l’impréparation gouvernementale en matière de mix électrique. Celles-ci sont de trois ordres : conséquence de la crise en Ukraine et des tensions sur le marché du gaz, dysfonctionnements importants du parc nucléaire de l’Hexagone et retard de développement des énergies renouvelables ».

Sous la pression des écologistes qui voulaient sortir du nucléaire, deux Présidents de la République (François Hollande et Emmanuel Macron) ont décidé la fermeture de la centrale de Fessenheim. Pour Loïk Le Floch-Prigent, ancien PDG de GDF et d’Elf Aquitaine, « la fermeture électorale de la centrale de Fessenheim est un drame national ». En revanche, Madame Elisabeth Borne, alors Ministre de la transition écologique et solidaire, qui a mené à terme la mise à l’arrêt définitive de la centrale a qualifié l’arrêt de « moment historique » se félicitant d’avoir acté cette décision.

Par ailleurs, quid des retards sur l’EPR de Flamanville ?

« Aujourd’hui, on ne fermerait pas Fessenheim » a déclaré le 6 octobre 2022 le député du Parti Renaissance, Karl Olive !

Face aux conséquences néfastes d’une raréfaction de l’électricité qui se reflètent aujourd’hui dans notre quotidien, qu’en est-il du gaspillage énergétique lié au minage de crypto-actifs qui ne semblent pas préoccuper les promoteurs de la transition écologique ? (voir article de Nadia Antonin, « La chaîne de blocs (« blockchain » ) ; une technologie énergivore » d’avril 2022).

     Interruption des livraisons de gaz russe et signature d’un nouvel accord avec l’Azerbaïdjan
Avant le conflit russo-ukrainien, les principaux fournisseurs de gaz à la France étaient les suivants : la Norvège (36 % du total des entrées brutes), devant la Russie (17 %), l’Algérie (8 %), les Pays-Bas (8 %), le Nigeria (7 %) et le Qatar (2 %).

Depuis le 1er septembre 2022, le géant gazier russe Gazprom a suspendu ses livraisons de gaz vers la France pour le motif que le groupe énergétique Engie n’a pas payé l’intégralité des livraisons effectuées en juillet.

Le 18 juillet 2022, Madame Ursula von der Leyen a signé un nouvel accord sur le gaz avec le président Azerbaïdjanais Iman Aliev afin de doubler en quelques années les importations de gaz de l’UE depuis cette ancienne république du Caucase en déclarant que « l’Azerbaïdjan était un pays fiable ».

Cette déclaration de Madame von der Leyen, pour qui l’Azerbaïdjan est « un partenaire fiable », peine à convaincre et des voix s’élèvent pour dénoncer cet accord.

A la question « Quid de l’Azerbaïdjan comme fournisseur fiable de gaz à long terme », Pierre Terzian, PDG de la S.A. Petrostratégies répond : « Lorsqu’on s’apprête à acheter du gaz à long terme à un pays, la moindre des choses est de s’interroger sur sa stabilité. Or, l’Azerbaïdjan est tout sauf un pays à l’avenir assuré ». Pour l’eurodéputée tchèque Markéta Gregorová « l’UE devrait tirer des leçons de son expérience passée avec la Russie et ne pas accroître sa dépendance à l’égard des dictatures ». Elle a déclaré : « Je ne pense pas qu’il soit sage à présent de progresser sur l’accord visant à doubler les importations de gaz en provenance d’Azerbaïdjan, car sur le long terme, cela se retournera toujours contre nous ». De même, pour Fidanka McGrath, responsable du domaine stratégique chez Bankwatch « il faut s’interroger sur la sagesse de la Commission européenne et des gouvernements de l’UE lorsqu’ils substituent leur dépendance au régime oppressif et belliqueux de Vladimir Poutine par une dépendance croissante à l’Azerbaïdjan autoritaire et belliqueux ».

Cette alliance de l’UE avec l’Azerbaïdjan est également très mal perçue par une partie de la classe politique française. Ainsi, une tribune collective, intitulée « En choisissant l’Azerbaïdjan comme fournisseur de gaz, Ursula von der Leyen affaiblit l‘Union européenne », a été publiée dans le journal Le Monde le 29 juillet 2022. Pour les signataires de cette tribune (une soixante d’élus) « outre que cette initiative poursuit la course effrénée vers l’exploitation des ressources de notre planète, cet acte place l’Union européenne en situation d’une nouvelle dépendance envers un État aux aspirations belliqueuses ». « Le régime de Bakou est à tout le moins aussi autoritaire et antidémocratique que celui en place à Moscou », dénoncent trois députés du Rhône. Ils rajoutent : « Nul n’ignore l’utilisation faite par l’Azerbaïdjan de sa rente pétrolière et gazière, le pays consacrant plus de 5 % de son pays aux dépenses militaires ».

Nerses Kopalyan, professeur associé en résidence de sciences politiques à l’Université du Nevada fait une très bonne analyse des raisons pour lesquelles l’Europe ne doit pas se rapprocher d’un acteur aussi contestable sur la scène mondiale qu’est l’Azerbaïdjan, dans un article intitulé « Gaz : pourquoi l’UE ne devrait pas se tourner vers l’Azerbaïdjan pour diversifier ses approvisionnements ». Pour ce professeur, 1) « Remplacer la dépendance à l’égard de la Russie de Vladimir Poutine par une dépendance à l’égard de l’Azerbaïdjan d’Ilham Aliyev ne signifie rien d’autre que de passer un accord avec un autre diable (d’ailleurs, les deux régimes ont signé une alliance de grande envergure quelques jours seulement avant l’invasion) » . 2) Cela compromet les sanctions imposées à la Russie, car la société russe Lukoil possède désormais quelque 20 % de l’oléoduc Shah Deniz, crucial pour l’Azerbaïdjan, après une vente au début de l’année ». Mais, pour Nerses Kopalyan, « la principale raison pour laquelle l’Europe devrait passer son chemin est d’ordre pratique : « il est très peu probable que l’Azerbaïdjan soit en mesure de fournir de telles quantités de gaz, malgré les fanfaronnades qui accompagnent ses prétendues capacités ». Il illustre ses propos en se référant aux sources suivantes : 1) un rapport de l’Institut d’Oxford pour les Études Énergétiques qui confirme que l’Azerbaïdjan a une « capacité très limitée à produire d’avantage de gaz pour l’Europe et ne peut certainement pas le fournir de manière rentable » ; 2) un document de Freedom House, organisme qui publie depuis 1972 un indice de démocratie américain et qui révèle que l’Azerbaïdjan est jugé comme l’un des pays les plus répressifs de la planète (141ème sur 167) ; 3) un indice de transformation, celui de Bertelsmann, qui analyse et évalue si et comment les pays en développement et les pays en transition orientent le changement social vers la démocratie et une économie de marché et qui classe également l’Azerbaïdjan tout au bas de l’échelle mondiale, notant dans son rapport qu’au cours de l’année écoulée « la consolidation du régime autoritaire s’est poursuivie ».

Face à la levée de bouclier d’élus de tous bords qui, au nom des Droits de l’Homme et des Minorités sont opposés par principe au contrat avec les Azéris, le ministère de la Transition écologique affirme « qu’à sa connaissance, la France n’importe pas de gaz d’Azerbaïdjan ». Cela étant, lors de la mise au point des achats de gaz par la France en 2020, ce ministère évoquait des « difficultés de traçage du lieu de production du gaz pour 23 % des entrées brutes ». Interrogé sur le sujet, un haut responsable européen confirme « qu’il est en fait difficile de tracer au sein du marché intérieur le gaz importé via des contrats de court terme, comme c’est le cas avec l’Azerbaïdjan ».

2.3 La désindustrialisation, « un mal français »

Philippe de Villiers, dans son ouvrage « Le jour d’après » critique la globalisation « qui n’a tenu aucune de ses promesses et qui nous a entraîné dans une dégringolade générale » avec entre autres la désindustrialisation.

Un exemple récent des problèmes posés par la désindustrialisation nous a été fourni par la crise de la Covid-19. Dans le domaine de la santé, par exemple, nous avons cruellement manqué de masques, de tests, de gels hydroalcooliques, de médicaments.

Concernant la pénurie de médicaments, celle-ci s’est aggravée et l’industrie du médicament est en crise eu égard à la baisse des prix. Les ruptures d’approvisionnement des pharmacies durant au moins une semaine ont quasiment doublé depuis le début de l’année, passant de 6,5 % à 12,5 % du nombre de références. Tout récemment, l’Agence nationale de sécurité du médicament a alerté sur la pénurie d’une classe de traitements du diabète de type 2. Quid de la santé de certains Français ?

D’après l’INSEE, « en presque trois décennies, la France a perdu près de deux millions d’emplois industriels ». Les délocalisations et la désindustrialisation restent un problème préoccupant en France et inquiètent l’opinion publique. La France est « malade » de sa désindustrialisation dont les premiers effets ont commencé à être plus clairement perceptibles à partir du milieu des années 1980, à la faveur de la concurrence exercée par les pays à bas salaires.

Dans son ouvrage intitulé « Désindustrialisation de la France », Nicolas Dufourcq, patron de Bpifrance, retrace l’histoire de la désindustrialisation massive et sans précédent de la France de 1995 à 2015. A juste titre, il fait remarquer que « les chiffres sont éloquents : il y a aujourd’hui 7,5 millions d’emplois dans l’industrie allemande, contre 2,7 millions dans l’industrie française ». Dans une interview donnée sur Europe1 le 13 septembre 2022, l’auteur de l’ouvrage déclare : « Aujourd’hui, l’industrie française compte six millions de salariés à l’étranger […] L’élite industrielle française a pris sa décision : L’industrie , ce n’est plus jamais en France ».

« Au lieu de faire le choix d’une économie de l’offre, complémentaire d’une économie de la demande, on a privilégié cette dernière, financée par la dette et génératrice d’un effondrement de notre balance commerciale » déplore Christian Prat Dit Hauret, professeur à l’IAE – Université de Bordeaux.

Selon les chiffres de l’INSEE, la dette publique en France s’établit à 2 901,8 Md€, soit 114,5 % du PIB, à la fin du 1er trimestre 2022 contre 112,9 % à la fin décembre 2021.

La forte augmentation de la dette résulte notamment de la hausse de la dette de l’État (+ 64,8 milliards d’euros) et de la progression des dépenses des administrations de sécurité sociale (+ 25,6 milliards d’euros).

Quant à notre balance commerciale, elle a enregistré son pire déficit en 2021, soit 84,7 milliards d’euros. « La faiblesse de notre balance commerciale est la faiblesse de notre économie », déclarait le Ministre de l’Économie Bruno Le Maire début janvier 2022. Celui-ci considère que « la puissance d’une nation se mesure par le commerce extérieur ».

La hausse de la facture énergétique n’explique qu’une partie du creusement du déficit. Dans un rapport de la Cour des comptes publié en 2022, intitulé « Les dispositifs de soutien à l’exportation », souligne que depuis 15 ans notre commerce extérieur connaît des difficultés croissantes et que la balance commerciale ne cesse de se dégrader. Parmi les facteurs qui expliquent la dégradation de la performance française en matière d’exportations de biens, le rapport évoque les faiblesses structurelles de notre économie et une compétitivité insuffisante auxquelles s’est ajoutée la montée en puissance commerciale des pays émergents, surtout de la Chine. A la différence d’autres pays du G7 tels que l’Allemagne et l’Italie, la France n’a pas été capable de résister. Comme le souligne la Cour des Comptes, « le faible dynamisme des exportations, en comparaison de celui des importations, place la France en situation récurrente de déficit extérieur ». Nous sommes devenues une économie essentiellement basée sur les services.

3. Dégradation de la qualité de vie

Certains dénoncent la dégradation de la qualité de vie qui résulte entre autres de la démission de l’État de ses fonctions régaliennes. D’aucuns parlent de « faillite du régalien ».

Le pouvoir régalien de l’État n’inclut pas que des droits mais aussi des devoirs. Les 43 % de la population française qui paient des impôts attendent de l’État la sécurité, la santé publique, un système éducatif performant qui n’incite pas les enseignants du supérieur à s’expatrier faute d’un salaire décent et d’une reconnaissance des diplômes et des compétences. A cet égard, d’aucuns affirment que la réalisation des missions régaliennes de l’État n’est pas à la hauteur du matraquage fiscal des classes moyennes, notamment supérieures.

3.1 « La faillite du régalien »

Les missions régaliennes de l’État couvrent entre autres l’ordre public et la sécurité, l’éducation et la santé.

     Concernant la sécurité, il a fallu attendre la loi du 21 janvier 1995 pour disposer d’une définition légale de ce concept : « La sécurité est un droit fondamental et l’une des conditions de l’exercice des libertés individuelles et collectives. L’État a le devoir d’assurer la sécurité en veillant, sur l’ensemble du territoire de la République, à la défense des institutions et des intérêts nationaux, au respect des lois, au maintien de la paix et de l’ordre public, à la protection des personnes et des biens ».

En France, la situation est particulièrement préoccupante car l’insécurité et la délinquance sont devenues omniprésentes.

D’après le service ministériel statistique de la sécurité intérieure (SMSSI), les indicateurs de la délinquance enregistrée, qui étaient en légère hausse en 2020 malgré le contexte de la pandémie, accélèrent en 2021 leur forte tendance haussière avant la crise. A titre d’exemple, le nombre de victimes de coups et blessures volontaires enregistrées augmente très fortement en 2021 (+ 12 % contre + 1 % en 2020 et + 8% en 2019 ; + 14 % pour les victimes de violences intrafamiliales et + 9 % pour les victimes d’autres coups et blessures volontaires. La hausse est également très nette pour les escroqueries (+ 15 % après 1 % en 2020 et + 11 % en 2019 et encore plus forte pour les violences sexuelles enregistrées (+ 33 % après + 3 % en 2020 et + 12 % en 2019). Par ailleurs, la délinquance observée revêt parfois un aspect barbare. Pourquoi tant de haine et de barbarie ? La barbarie est entrée dans notre culture. Pour l’essayiste Natacha Polony, « la France est traversée par des haines, elle est défigurée par des comportements qui relèvent d’une guerre de territoires, elle est fracturée par le fait que, à tous les échelons de la société, certains s’affranchissent de règles communes ».

Eric Delbecque dans son ouvrage « l’insécurité permanente – les causes de l’impuissance française », annonce un verdict brutal concernant l’insécurité en France. Il écrit entre autres : « Parce que nous payons au prix fort la lâcheté de nos élites, nous devons vivre avec la peur, supporter les incivilités quotidiennes, les agressions de la petite délinquance, les règlements de comptes entre dealers et la menace des attentats islamistes ». Pour le sociologue Hugues Lagrange, « l’État qui ne garantit plus la sécurité des citoyens contracte une dette à leur égard ».

Le 14 juin 2018, le Sénat adoptait, en première lecture, la proposition de loi portant Pacte national de revitalisation des centres-villes et centres-bourgs. La volonté du Sénat de sauver le commerce traditionnel et partant de réinventer les cœurs de ville se heurte à l’attitude de certains élus qui laissent s’installer l’insécurité. Dans plusieurs régions, les centres-villes sont devenus des « enfers » pour les commerçants et la population.

     Affaiblissement du système éducatif : une majorité de Français jugent la France en déclin d’après une enquête d’Harris interactive. Parmi les acteurs et institutions perçus comme participant au déclin, le système éducatif apparaît en deuxième position, après les responsables politiques. Plus des 2/3 des Français jugent que l’école fonctionne mal en France. Comme le souligne Natacha Polony, « la France est un pays dans lequel l’école produit à la pelle des jeunes gens non seulement incapables de raisonnement mathématique, mais parfaitement ignorants de tout ce qui constitue la civilisation à laquelle ils appartiennent … ».

     Effondrement de notre système de santé : le 13 septembre 2021, nous apprenons qu’un patient âgé de 80 ans est mort sur son brancard après 20 heures d’attente aux urgences des hôpitaux universitaires de Strasbourg ? Hélas, il ne s’agit pas d’un cas isolé. De nombreuses urgences ferment la nuit faute de personnel. L’épidémie de coronavirus a mis au grand jour les failles de notre système de santé. Selon Frédéric Bizard, professeur associé à l’ESCP Europe et président de l’Institut Santé, « la gravité de la crise que traverse notre système de santé illustre l’échec de la politique de santé menée depuis vingt ans ». Dans un livre blanc intitulé « Nous nous sommes tant trompés », Jean-Charles Grelier, avocat au barreau du Mans, blâme la politique de santé menée en France. Une logique comptable qui, selon lui, a conduit notre système de santé au bord du gouffre. La France est « malade de son système de santé ».

3.2 Détérioration de la qualité de vie au travail

Le rôle central du management est systématiquement souligné dans toute démarche d’amélioration de la qualité de vie au travail et de diminution de l’absentéisme. En France, nous observons un mal-être au travail résultant notamment d’un management par le négatif. Dans tous les secteurs, publics comme privés, de nombreux managers ne sont pas sélectionnés sur leurs compétences et leurs qualités humaines. Les récentes enquêtes nationales et internationales dressent un portrait peu flatteur du manager français.

Les différents aspects qui caractérisent le management par le négatif sont 1) le favoritisme (forme de copinage discriminatoire et déplacée) ; 2) le manque de reconnaissance du mérite et des compétences ; 3) la mauvaise perception de la bonne ambition (dépassement de soi, volonté d’aller de l’avant, de faire toujours mieux, de se surpasser) ; 4) la motivation négative (management par la pression et le stress qui peut conduire à du harcèlement moral managérial).

Ce type de management peut conduire à une démotivation, à un sentiment d’injustice, à la perte de confiance en soi et au stress. Nous sommes loin du bien-être au travail préconisé par le rapport Stieglitz -Sen-Fitoussi. Si les mentalités au travail ne changent pas et si l’on ne s’entoure pas de managers sachant manager, le bien-être au travail restera un mythe en France.

Avec la crise de l’énergie, il est beaucoup question de lutte contre le « gaspillage ». Mais, pourquoi ne se préoccupe-t-on pas du « gaspillage » des ressources humaines en France ? Pourquoi faisons-nous fi des véritables compétences et talents pour l’attribution de postes prestigieux ? Le fait de nommer des médiocres par népotisme et copinage, en laissant de côté le mérite, coûte à la France, qui non seulement enregistre une importante fuite des cerveaux, mais se heurte à de graves problèmes au niveau des organisations : difficultés de recrutement, absentéisme, manque de motivation, baisse de la productivité, déficit de confiance et de respect dans la hiérarchie, etc. Une telle politique en matière de ressources humaines ne peut conduire qu’à la médiocratie et à la faillite d’un système. « La République n’existe que par la promesse d’ascension sociale sur la base du mérite, qui permet à chacun d’exprimer ses talents et de s’émanciper, notamment par le travail, des déterminismes qui l’entravent », souligne Natacha Polony.

Afin de sauver la France du déclin qu’évoque Samuel Tual dans son essai « Le travail pour tous ! revaloriser le travail pour sauver la France », il faut redonner au travail et au mérite leur titre de noblesse. Il faut mettre un terme non seulement à la culture de l’assistanat qui coûte très cher à la nation mais aussi à la politique de redistribution dont la France serait la championne. « La France n’a plus les moyens d’accueillir toute la misère du monde ».

3.3 Avec la perte des valeurs traditionnelles, la France est-elle menacée de décadence ?

La France a énormément changé. Que ce soit dans le domaine économique, social, sociétal et politique, nos valeurs traditionnelles sont battues en brèche. Le respect, le sens de l’effort, le don de soi, l’appartenance solidaire à un groupe ont laissé place à l’individualisme, à l’insouciance, au laxisme, à l’irresponsabilité et à la médiocratie.

Dans un article intitulé «Révolution des valeurs et mondialisation », le philosophe et ancien ministre Luc Ferry écrit : « Nous avons vécu, du moins en Europe et dans le monde occidental, une « déconstruction » des valeurs traditionnelles comme on n’en avait jamais connu dans l’histoire de l’humanité ». Pour le sociologue Daniel Martin, « les Français ont perdu progressivement du respect pour les valeurs morales, perte qui s’est accélérée depuis la Libération et surtout depuis mai 68 ». Pour ce sociologue, « la perte de respect des valeurs morales affecte d’abord le respect de l’autre et se manifeste par un individualisme et un égoïsme croissant » […] On ne respecte plus les autres mais on exige qu’ils vous respectent ». En outre, « en perdant le respect des autres on perd le plus souvent le respect de soi-même ». Une autre caractéristique de la société de défiance évoquée par Daniel Martin est la perte du sens de l’engagement personnel et du devoir.

La crise que nous traversons recouvre la confluence de deux processus : une crise économique et une crise morale qui ont abouti à une société sans repères, à une société divisée et fracturée (fracture numérique, fracture générationnelle, fracture territoriale), à une société du vide.

Nous sommes devenus une société qui accepte la soumission, la médiocratie, …qui étale sa vie intime sur les réseaux sociaux, qui est infantilisée par un État « nounou » que dénonce l’essayiste et entrepreneur Mathieu Laine. Pour ce dernier, « l’État provoque une fièvre maternante, hygiéniste et centralisatrice qui révèle un mal préexistant : une infantilisation croissante, de plus en plus consentie » […] « l’infantilisation est un poison lent. A trop abandonner nos libertés, nous désapprenons la liberté ».

Pour Philippe de Villiers, « notre société coule à pic. Nous sommes en perdition. A moins d’un grand réveil des consciences, dont on aperçoit les signes annonciateurs ».

4. Conclusion

D’après un sondage mené par l’IFOP en novembre 2021, « les idées déclinistes rencontrent une audience réelle dans la population puisque 65 % des Français adhèrent à l’idée selon laquelle la France est un pays en déclin » […] « Il est frappant de constater que les idées déclinistes rencontrent un écho majoritaire dans la quasi-totalité des strates de la société française, quel que soit le genre, l’âge, ou encore la catégorie socio-professionnelle de la personne interrogée. L’idée d’un déclin du pays est à peu près autant partagée par les Français appartenant aux catégories aisées (65 %) que par ceux des catégories pauvres (69 %). Enfin, il convient de noter, toujours après ce sondage, « que pour 68 % des sondés le déclin est plus prononcé en France que dans les autres grands pays européens ».

5. Glossaire

Assistanat : Le fait d'être aidé, assisté ou secouru par des organismes publics ou privés.

Bien-être au travail : « Ensemble des facteurs concernant les conditions dans lesquelles le travail est effectué.

Dette publique de l’État : Ensemble des dettes de l’État résultant des emprunts que ce dernier a émis ou garantis. Elle recouvre l’ensemble des emprunts contractés par toutes les administrations publiques (État, collectivités locales et Sécurité sociale).

Économie de l’offre : Mouvement de pensée qui soutient que le ralentissement de la croissance économique dans les pays développés est dû au trop lourd fardeau fiscal qu’impose aux contribuables l’État providence.

Management : Ensemble des activités d’organisation et de gestion de l’entreprise et de son personnel (Source : FranceTerme).

Médiocratie : Pouvoir détenu, influence exercée par des médiocres.

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