1. Introduction

En dépit de nombreuses réformes d'importance depuis 1993, la pérennité du système français de retraite soulève des inquiétudes.

Dans ce contexte d’incertitudes, le président Emmanuel Macron avait proposé, fin 2018, une réforme basée sur un système de retraites à point. Dans ce système, un actif cotise et accumule chaque année un certain nombre de points. Au moment de partir à la retraite ce nombre total de points est converti en pension.

Le système à point présenté par E. Macron était une variante de ce système. Il s’agissait en fait d’un système « à compte notionnel », appelé également « compte individuel de cotisations » qui permettait à chaque actif de cumuler un capital virtuel dans un compte individuel. L'idée novatrice d’un système à "compte notionnel" réside dans le fait que ce coefficient peut être établi non seulement en fonction de l'âge mais aussi de l'espérance de vie de la génération concernée. Ce mécanisme a été appliqué notamment en Suède (1994) et en Italie (1995), mais ce fut un échec. D’aucuns parlent en effet d’appauvrissement des retraités, en particulier pour les personnes ayant des trajectoires de carrières ascendantes. Pour ces personnes, ce type de réforme est particulièrement injuste et inéquitable.

Considéré par certains comme la « mère des réformes », le système de retraite « à compte notionnel », ayant entraîné des mois de concertations et de mobilisations, a été abandonné.

Cela étant, E. Macron n’a pas renoncé à son idée de réformer le système des retraites. Ainsi, le 10 janvier 2023 il a présenté son nouveau projet dont les principaux points sont les suivants : report de l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans, 43 ans d’annuité pour une retraite à taux plein, revalorisation des pensions, fin des régimes spéciaux.

S’agissant des régimes spéciaux, le 30 janvier 2023 en commission des Affaires sociales, les députés ont validé l’article 1er de la réforme des retraites prévoyant la disparition de cinq régimes spéciaux sur quatorze (RATP, industries électriques et gazières, Banque de France, Conseil économique, social et environnemental (CESE), employés et clercs de notaire). Cette disposition prise pour « une question d’équité » (dixit la Première ministre Elisabeth Borne ) ne vise pas les régimes spéciaux des avocats, des professions libérales, de l’Opéra de Paris, de la Comédie française , des marins pêcheurs. Pouvons-nous parler d’équité lorsque, comme le souligne le député Charles de Courson, « on met en extinction 5 régimes et pas les 9 autres ? Il y a en 14 ». Pour ce député, la réforme des retraites ne doit pas souffrir d’exception. Puis, il évoque le principe d’exemplarité. « On ne peut pas demander des efforts aux autres sans donner l’exemple soi-même ».

Outre l’évocation du principe « d’égalité » qui crée en fait une ségrégation entre les régimes spéciaux, nous observons que certains semblent méconnaître certains régimes de retraite qu’ils qualifient de « spéciaux » alors qu’en réalité il s’agit de régimes « autonomes ». Les mots ont leur importance comme le rappelle le célèbre adage : « Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde » (Albert Camus). A titre d’exemple, le régime de retraite des salariés de la Banque de France est un régime autonome qui « fonctionne entièrement par capitalisation » (Les Echos, « Retraites : la Banque de France veut sauver son régime par capitalisation » - 27 janvier 2020) et sans recours à une quelconque aide de l’Etat. Les engagements sont couverts à 100 % par la caisse de réserve des retraites. Cette dernière est à l’équilibre moyennant d’importants sacrifices des agents consentis depuis 2005 : hausse des cotisations, politique de rigueur totale concernant les rémunérations. En résumé, le régime de retraite de la Banque de France est autofinancé. Lors d’une audition devant les Commissions des finances de l’Assemblée nationale et du Sénat en octobre 2021, le Gouverneur de la Banque de France François Villeroy de Galhau avait déclaré : « les femmes et les hommes de la Banque de France ne sont pas des privilégiés ».

Le nouveau projet de retraite d’E. Macron se heurte à une réticence quasi-générale. La mobilisation se focalise autour de l’âge de départ à la retraite. D’où la question : pourquoi les Français ne veulent-ils pas travailler plus longtemps ?

Les raisons profondes ont trait d’une part à la perception de la valeur travail et d’autre part à la promesse d’une civilisation des loisirs.

2. La valeur travail : effritement, déficit d’adhésion, …

2.1 Le concept de la valeur travail 

Comme le souligne Dominique Royer (« qu’en est-il de la « valeur travail » dans notre société contemporaine ?»), « le travail occupe une place essentielle dans nos sociétés, même par son absence. C’est une des bases de l’économie. C’est la source principale des revenus qui autorise l’accès à la consommation. C’est aussi la voie principale de l’insertion sociale ».

La valeur-travail est un concept théorique utilisé notamment par Adam Smith, David Ricardo, Karl Marx, John Locke qui justifie la propriété individuelle par le travail et David Hume selon qui toute chose s'achète avec du travail. Ce concept part du principe que le prix de vente d'un bien ou d'un service est uniquement fonction de la quantité de travail qui a été nécessaire pour sa production ou sa réalisation. Il s'oppose à celui du prix du marché, qui est la résultante de l'offre et la demande et que l'on désigne sous le vocable "valeur utilité".

2.2 Les raisons du refus de reculer l’âge de départ à la retraite

a) La crainte des seniors de vivre une longue période de chômage avant la retraite

L’âge est le premier facteur de discrimination à l’embauche en France. Selon un rapport du 14 janvier 2020, corédigé par Sophie Bellon, Jean-Manuel Soussan et Olivier Mériaux, la France se situe en dessous de la moyenne européenne en matière d’employabilité des seniors. En 2019, 52,1 % des 55-64 ans travaillent en France contre 58,7 % pour l’ensemble de l’Union européenne. De plus, seuls 31 % des 60-64 ans travaillent dans l’hexagone versus 44,4 % en Europe. Enfin, la moitié des personnes qui partent à la retraite ne sont plus dans l’emploi. Nous sommes en-dessous de la moyenne européenne. En 2019, le Premier président de la Cour des comptes alertait sur « un risque de précarité » pour les plus de cinquante ans « exclus du marché du travail ».

Les seniors souffrent également de discriminations concernant la progression professionnelle. Sana Guerfel-Henda (professeur à l’école supérieure d’Amiens) et Jean-Marie Peretti (professeur à l’ESSEC Business School) parlent de « plafond d’âge » qui limite les possibilités de promotion ou de mobilité choisie.

b) Des conditions de travail démotivantes et frustrantes pour les raisons suivantes :

  • Des managers français mous et incompétents » titrait un quotidien américain.
    Nous rencontrons en France une large palette de « mauvais managers » qui ont été promus non pas grâce à leurs mérites, à leurs compétences et à leurs qualités humaines mais du fait de « pratiques de constitution de cour et de nomination à la Caligula » (Van Duyne). Les récentes enquêtes nationales et internationales dressent un portrait peu flatteur du manager français. Il semble que le mérite ait disparu au profit de la prime à l’incompétence, résultant du népotisme et du copinage. Xavier Camby, auteur de « 48 clés pour un management durable- Bien-être et performance », écrit dans son ouvrage que « malgré une belle productivité, la France s'enfonce chaque jour davantage dans un marasme économique et social, faute de managers sachant manager".

  • Une dégradation de la qualité de vie au travail
    Le rôle central du management est systématiquement souligné dans toute démarche d’amélioration de la qualité de vie au travail. En France, nous observons un mal-être au travail résultant notamment d’un management par le négatif. Les différents aspects qui caractérisent le management par le négatif sont 1) le favoritisme (forme de copinage discriminatoire et déplacée) ; 2) le manque de reconnaissance du mérite et des compétences ; 3) la mauvaise perception de la bonne ambition (dépassement de soi, volonté d’aller de l’avant, de faire toujours mieux, de se surpasser) ; 4) la motivation négative (management par la pression et le stress qui peut conduire à du harcèlement moral managérial). La dégradation du climat social et de l’ambiance au travail conduisent à une profonde démotivation du personnel. A l’inverse, entretenir un bon climat social favorise l’engagement des collaborateurs qui vont donner le meilleur d’eux-mêmes.

  • Des risques psycho-sociaux

    Les risques psycho-sociaux (ou RPS) se manifestent par l’apparition de maladies pathologiques liées à la souffrance au travail.

    Ces maladies pathologiques qui, la plupart du temps, prennent racine dans la perte de sens au travail sont : 1) le syndrome d’épuisement professionnel ou « burn-out » qui se caractérise par un « état de fatigue extrême, tant physique que mentale, attribué à la profession exercée et aux conditions de son exercice » (source : FranceTerme) ; 2) le syndrome d’ennui professionnel ou « bore-out » reconnu comme une forme de harcèlement moral par un arrêt du 2 juin 2020 de la Cour d’appel de Paris, qui consiste en une mise à l’écart d’un salarié et qui peut conduire à un épuisement général, voire à une dépression, de ce dernier ; 3) le syndrome de l’absurdité du travail ou « brown-out », théorisé par les chercheurs André Spicer et Mats Alvesson dans leur ouvrage intitulé « The stupidity paradox «  (2016).

  • Une absence de reconnaissance au travail
    Comme le rappelle l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (ANACT), « le défaut de reconnaissance des contributions de chacun ou le déni des difficultés rencontrés sont autant de causes de démobilisation, de mal-être au travail et de contreperformance productive ». Un manque de reconnaissance entraînant une perte de motivation, la conscience professionnelle en France est mise à mal. La question qui se pose est de s’interroger sur le fait de savoir d’où vient cette crise de la conscience professionnelle, qu’est ce qui a abîmé la valeur travail ?

  • Une réussite qui n’est pas toujours fondée sur le mérite et une valorisation insuffisante des diplômes 
    Le mérite a disparu au profit de la prime à l’incompétence. Par ailleurs, outre la non-reconnaissance du mérite, d’aucuns déplorent la dévalorisation des diplômes et notamment le doctorat. Comment expliquer qu'un doctorat (PhD en anglais) est un signe d'excellence à l'étranger alors qu'en France 12% des jeunes docteurs sont encore en recherche d'emploi trois années après la thèse contre 4 ou 5 % dans la plupart des pays développés ? A force de sacrifier les talents et de mettre en avant les nullités, la médiocrité, l’inculture, l’indigence intellectuelle, font des ravages dans la société française.

  • Jalousie et mesquinerie au travail : le syndrome du grand coquelicot
    En France, la réussite au travail dérange ! Il ne faut surtout pas se démarquer. A titre d’exemple, citons le cas d’un cadre qui, dans une grande institution publique nationale, s’est vu reprocher par sa hiérarchie de trop travailler et de « faire de l’ombre ». Au lieu d’être un motif de réjouissance, la réussite a tendance à provoquer jalousie et envie. Ce phénomène social, qualifié de « syndrome du grand coquelicot » ou « « Tall Poppy syndrom » en anglais, éprouve ceux qui ont des dons et des talents. Dans le milieu professionnel comme d’ailleurs dans le système éducatif, on va s’acharner à « couper ce qui dépasse ». La chercheuse canadienne Rumeet Billan dans une étude intitulée « Le syndrome du grand coquelicot » analyse ce phénomène de jalousie dans le milieu professionnel, en particulier chez les femmes. Cette étude révèle que 87 % des femmes auraient subi des remarques dévalorisantes, du harcèlement moral ou des comportements agressifs lorsqu’elles avaient montré des signes de réussite dans leurs carrières professionnelles.

    La jalousie maladive de certains, la mesquinerie, la bassesse, … qui règnent dans le milieu professionnel français font malheureusement des victimes et créent un climat détestable. En définitive, ces comportements répréhensibles font fuir les cerveaux, les talents et les compétences. D’après Claude Goudron du Cercle Frédéric Bastiat, « la France est le deuxième pays le plus touché au monde par la fuite de ses cerveaux, elle a un solde négatif de 130 000 alors que les Allemands ont un solde positif de 374 000 ! ».

  • Le travail doit apporter plus qu’un salaire : l’épanouissement et le bien-être au travail
    En conclusion, pour sortir de l’impasse dans laquelle nous nous trouvons, il faut redonner au travail et au mérite leurs titres de noblesse et opter pour un management positif. D’après Alain Labruffe, Docteur ès Lettres, en économie et en psychologie du travail, le management positif repose entre autres sur un état d’esprit franchement optimiste, une approche basée sur la confiance, la bienveillance et l’encouragement, la pratique des relations humaines. C’est le seul moyen de redonner aux Français le goût de l’effort et du sacrifice. Après plus de deux ans de pandémie, 61 % des salariés considèrent que le bonheur au travail est plus important que le salaire. Afin de conserver leur attractivité et rester dans la concurrence, les entreprises doivent désormais privilégier le bien-être au travail : qualité des relations humaines, reconnaissance, place laissée à l’autonomie, sens donné au travail, respect des valeurs personnelles, … Patrick Légeron, psychiatre et spécialiste du stress en entreprise déplore « qu’en France l’employeur n’a pas obligation légale à assurer le bien-être de ses salariés ». Il confirme que « pour assurer le bien-être de leurs collaborateurs, les entreprises n’ont d’autre solution que de faire un aggiornamento de leur approche managériale, encore trop axée sur le contrôle. Elles devront pour ce faire former leurs managers à pratiquer la reconnaissance, l’empathie, l’écoute … De même, à partir du récent baromètre d’OpinionWay, Jean-Christophe Villette, psychologue du travail et des organisations confirme qu’aujourd’hui le bien-être au travail est devenu plus important que le salaire. A la question relative aux priorités des travailleurs en 2022, il répond que « le sujet qui est arrivé en premier est la qualité de vie et les conditions de travail. Les salariés « accordent plus d’importance à l’espace de bureau, la qualité des relations avec les collègues et les managers ». […] « En deuxième position vient la rémunération, la reconnaissance financière et extra-financière et en troisième , la possibilité de développer ses compétences et sa carrière ».

c) Une non-transmission de la valeur travail par certains parents

Dans tous les domaines, nos valeurs traditionnelles sont battues en brèche, surtout depuis mai 68. Le respect, le sens de l’effort, le don de soi, l’appartenance solidaire à un groupe ont laissé place à l’individualisme, à l’insouciance, au laxisme, à l’irresponsabilité et à la médiocratie. Est-ce le résultat d’une démission des parents ?

Il importe d’inculquer aux enfants dès leur plus jeune âge non seulement une bonne éducation (premier devoir des parents qui, en France, est aujourd’hui mis aux « oubliettes » !) mais également de bonnes habitudes de travail afin qu’ils puissent faire plus tard la différence entre une vie utile et productive et une vie de fainéantise et gâchée. Il faut leur faire « comprendre que le fait de pouvoir travailler est un don, la force de travailler une bénédiction, l’amour du travail la réussite » (Franklin D. Richards, « The Gospel of Work »).

La transmission de la valeur travail devrait permettre entre autres d’éviter les clivages entre générations. Avec la réforme des retraites, nous observons que certains jeunes jalousent les anciens alors que ces derniers ont souvent travaillé dur (plus de 40 heures par semaine) et ont acquis honorablement leur retraite. Comme le rappellent trois économistes Samia Benallah, Cindy Duc et François Legendre, (Revue de l'OFCE - 2009), "les systèmes de retraite sont d'abord destinés à assurer l'autonomie économique des personnes âgées, après que ces dernières aient suffisamment travaillé au cours de leur vie active. Ils garantissent des revenus de remplacement supposés assurer aux retraités une indépendance vis-à-vis des solidarités familiales, de l'assistance publique ou encore de la charité privée". Ce n’est pas en créant des conflits intergénérationnels et en érodant le pouvoir d’achat des retraités que l’on va régler les problèmes de notre pays. Il est préférable d’introduire une saine émulation. Il faut donner aux jeunes le désir de travailler et non pas d’être des assistés. A cet égard, le fait de recevoir un RSA n’incite pas forcément à devenir un membre actif de la société.

Selon une enquête de l’IFOP menée en 2022, une majorité de Français perçoit désormais le travail comme une contrainte (54 %), plutôt qu’une source d’épanouissement.

3. La promesse d’une civilisation des loisirs

3.1 A la recherche du temps libre

« Chacun est libre d’occuper à sa guise les heures comprises entre le travail, le sommeil et les repas, non pour les gâcher dans les excès et la paresse, mais afin que tous, libérés de leur métier, puissent s’adonner à quelque bonne occupation de leur choix »
Thomas More, L’Utopie

Le temps libre est un concept relativement récent. Avant la fin du XIXème siècle, les Français ne connaissaient pratiquement pas le repos. Il faudra attendre 1880 pour voir apparaître le « jour de repos ». Mais c’est surtout à partir de 1945 que le temps libre naît véritablement.

D’après l’INSEE, le temps libre est « le temps qui n’est consacré ni aux besoins physiologiques ni au travail ni aux tâches domestiques ni au transport ».

Dans un cahier de recherche du CREDOC intitulé « La société des loisirs dans l’ombre de la valeur travail » (2013), Régis Bigot, Emilie Daudey et Sandra Hoibian précisent que « la durée annuelle du travail en France a été réduite de moitié depuis le début du 19ème siècle : on travaille en quelque sorte à mi-temps par rapport à nos aïeux […] Le rythme de diminution du temps de travail en France est quasiment le même que celui observé en moyenne dans six pays comparables : Allemagne, Italie, Pays-Bas, Espagne, Suède et Royaume Uni. Les gains de productivité ont permis que cette réduction s’accompagne d’une très nette hausse du niveau de vie des populations, lesquelles aspirent à plus de loisirs et plus de temps libre ». De même, des études d’emploi du temps menées depuis deux décennies dans la plupart des pays occidentaux révèlent qu’à l’échelle des sociétés le temps de travail rémunéré diminue au profit du temps libre (voir Pronovost, 2005.

D’après Jean-Miguel Pire (« Eloge du temps libre », 2021), la crise de la Covid-19 nous a permis « d’éprouver une relation différente avec le temps libre. Outre le simple divertissement, certains ont mis cette période à profit pour ralentir le rythme, mieux écouter, contempler, étudier, réfléchir ».

Cela étant, le temps libre n’est pas toujours la panacée, le remède à toutes choses s’il n’est pas utilisé intelligemment et à bon escient. Il est souvent soupçonné de conduire au désœuvrement, à la fainéantise, à l’oisiveté, à l’aliénation. Selon une étude récente « Hobby One » réalisée par Vertigo Research en décembre 2021, 60 % du temps libre des Français est désormais occupé par les écrans (télévision, ordinateur, téléphone portable). Cette fuite en avant technologique conduit à de la « paresse intellectuelle ». D’après une étude de l’université de Waterloo, les smartphones rendraient intellectuellement paresseux. Nous réfléchissons de moins en moins par nous-mêmes. Les auteurs de l’étude ajoutent que « les smartphones ne sont pas le seuls à nous rendre plus fainéants, les objets connectés et les gadgets en tout genre sont aussi les premiers à alimenter notre paresse… ».

De même, ChatGPT, un nouvel outil technologique, risque de développer la paresse naturelle chez l’homme. Il s’agit d’un agent conversationnel développé par OpenAI qui utilise l’intelligence artificielle (IA) et qui est capable de répondre à quasiment n’importe quelle question en utilisant le langage naturel. Concernant l’exploitation de la paresse humaine, ChatGPT va-t-il, par exemple, signer l’arrêt de mort des devoirs à la maison ?

3.2 Décroissance, « détravail » et frugalité

Pour les partisans de la décroissance - concept né dans les années 1970 avec le rapport Meadows -, la réduction du temps de travail permettrait de partager l’emploi existant et de libérer du temps pour l’art, la culture et les liens interpersonnels. Ses adeptes prônent le « détravail ».

Le 4 février 2023, le collectif nantais « Travailler moins » a lancé la première journée dédiée au « détravail ». Son fondateur, Matthieu Fleurance, milite pour les 32 heures et le temps partiel inconditionnel. Pour les militants de ce collectif, « la quête du bonheur ne doit plus passer par le travail ». Ils dénoncent le travail « comme l’activité principale pour subvenir à nos besoins » et veulent redonner au temps libre ses lettres de noblesse.

Selon une étude de Manpower, « aujourd’hui, plus d’un salarié sur trois (36 %) se dit prêt à passer à la semaine de quatre jours en échange d’une perte de salaire de 5 % ». Flora Baumlin, directrice d’études à l’Ifop, écrit : « Nous constatons une évolution des aspirations des salariés avec de nouveaux rapports entre le temps de travail et le temps libre ».

Au lieu de dénoncer la valeur travail, luttons plutôt pour le bien-être au travail et changeons nos mentalités car la décroissance, qui évoque la régression et le repli, ne fait pas rêver.

3.3 Pouvons-nous permettre une civilisation des loisirs ?

Joffre Dumazedier est considéré comme l’un des pionniers de la sociologie du loisir et l’auteur le plus connu en la matière dans son ouvrage intitulé « Vers une civilisation du loisir » publié en 1962. Il fut l’un des premiers chantres de la civilisation du loisir. De son côté, Georges Hourdin a publié « Une civilisation des loisirs » en 1961. Ce livre scrute « la relation entre travail et loisir dans un contexte où les progrès techniques ont rendu du temps libre aux hommes et aux femmes, après que le temps contraint de la société industrielle les ait étouffés pendant près de 150 ans. Ce temps libre permet d’accéder à la connaissance et de se façonner une culture ». D’autres auteurs ont pris le relais, reléguant la valeur travail à une valeur en voie de disparition et faisant du temps libre un élément structurant du lien social.

Mais, comme le déclare l’écrivain Gérard Belloin, « l’heure de la pétanque n’est pas arrivée ». De son côté, dans « La puissance et la sagesse », Georges Friedman affirme que « la civilisation technicienne ne peut pas être une civilisation du loisir ».

4. Glossaire

Bonheur au travail : Situation dans laquelle un salarié ou un collaborateur prend plaisir à se rendre à son lieu de travail et apprécie les tâches qui lui sont confiées.

Décroissance : Situation ou processus économique qui implique la cessation ou la réduction de la production et de la consommation mondiale.
Cette baisse des richesses économiques résulte d’une volonté active et non d’une récession.

Mal-être au travail : Sentiment de profond malaise dont les signes caractéristiques sont l’irritabilité, le stress, la perte de motivation, les répercussions sur la santé physique et mentale, les erreurs récurrentes, la fatigue, etc.

Management : Ensemble des activités d’organisation et de gestion de l’entreprise et de son personnel (Source : FranceTerme).

Rapport Meadows ou rapport du Club de Rome : Rapport élaboré en 1972 par les scientifiques du Massachussetts Institute of Technology (MIT) qui annonçait pour la première fois au monde les limites physiques de la croissance économique.

Risques psychosociaux : Risques qui portent atteinte à l’intégrité physique et à la santé mentale des salariés au sein de leur environnement.
Note : Ces risques peuvent revêtir différentes formes : le stress, le harcèlement, l’épuisement professionnel voire la violence au travail. Ils sont à l’origine de plusieurs maux et pathologies (problèmes de sommeil, dépression, troubles musculosquelettiques (TMS),etc.

Souffrance au travail : Mal-être, détresse psychologique qui peut conduire à une dépression, un stress-post-traumatique, des troubles mentaux graves, voire aller jusqu’au suicide.

« Tall Poppy syndrom » : Syndrome selon lequel les personnes n’aiment pas et critiquent souvent ceux qui réussissent.

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