Dans son ouvrage intitulé « Le pouvoir ravageur de l’envie », Anne-Elise Raveneau écrit : « Rivalités familiales, convoitise, compétition scolaire, imitation, jalousies professionnelles, … Quand l’envie s’immisce dans notre vie, elle peut faire des ravages ».

L’envie n’est pas la jalousie. Pour La Rochefoucauld, « la jalousie tend à conserver un bien qui nous appartient ou que nous croyons nous appartenir ; au lieu que l’envie est une fureur qui ne peut souffrir le bien des autres ».

Dans un article intitulé « La réticence à travailler plus longtemps en France : les causes profondes dont on ne parle pas » (2023), nous avions démontré qu’au lieu d’être un motif de réjouissance, la réussite a tendance à provoquer jalousie et envie. Ce phénomène social, qualifié de « syndrome du grand coquelicot » ou « « Tall Poppy syndrom » en anglais, éprouve ceux qui ont des dons et des talents. Dans le milieu professionnel comme d’ailleurs dans le système éducatif, on va s’acharner à « couper ce qui dépasse ».

Après avoir évoqué les principales manifestations de la jalousie au travail (« les signaux faibles »), nous examinerons les conséquences de ce fléau.

1. Les signaux faibles de la jalousie au travail

Le sentiment de jalousie peut être ressenti par un salarié qui est critiqué ou dénigré par ses collègues ou sa hiérarchie à cause de ses compétences, de son ardeur au travail et de ses succès.

  • L’imitation
    La personne jalouse va imiter, copier ses collègues, voler leurs idées, pour accroître sa visibilité et développer sa propre image de marque. En sciences de gestion, on parle de « marketing de soi » (« personal branding » ou « self-marketing ») qui consiste à s’approprier les techniques de marketing pour son propre compte afin de se « vendre ».

  • Le dénigrement
    La jalousie au travail va conduire à une campagne de dénigrement, à un acharnement à « gommer » les collègues talentueux en colportant des rumeurs mensongères.

  • La non-reconnaissance au travail par sa hiérarchie,
    La non-reconnaissance au travail, qui s’explique par des sentiments de jalousie et de mesquinerie, s’avère très prégnante en France et nuit aux bonnes relations de travail. L’importance de la reconnaissance au travail n’est plus à démontrer. Elle est devenue une composante essentielle de la vie au travail. Ainsi, pour Christophe Dejours (1993), « la reconnaissance au travail vient compléter le registre de la construction de l’identité du sujet, identité qui constitue l’armature de la santé mentale ». Des auteurs comme Claude Bourcier et Yves Palobart rappellent dans leur ouvrage « La reconnaissance » (1997) que la reconnaissance au travail est un outil de motivation et de satisfaction. Enfin, pour Estelle Morin, la reconnaissance constitue le sens du travail (1996, 2001).

  • Le harcèlement moral : « un enfer au travail »
    La jalousie au travail peut conduire au harcèlement. Dans leur ouvrage intitulé « Harcèlement moral au travail – Comprendre et se défendre », Anne-Françoise Chaperon, Bénédicte Litzler et Marie-Edith Alouf soulignent que « la jalousie est aussi très présente, dès que le harceleur se retrouve face à des personnes ayant des qualités ou des avantages qu’il ne possède pas : au travail, ce sont généralement les diplômes, les compétences techniques, ou encore des qualités humaines comme l’aisance relationnelle. Il n’est pas rare de voir des managers se sentir menacés par un collaborateur plus jeune et plus diplômé ». De son côté, la psychiatre Marie-France Hirigoyen, dans son ouvrage « Le harcèlement moral au travail » (chapitre VI) évoque parmi les causes du harcèlement moral « l’envie et la jalousie ». Elle écrit : « Sous le prétexte de stimuler les équipes et dans le but de casser les alliances, le management actuel tend à placer les personnes ou groupes de personnes en concurrence, on pourrait dire en rivalité. Cela peut conduire un salarié à vouloir éliminer celui qui serait susceptible de lui faire de l’ombre ».

L’article 1152-1 du Code du travail définit le harcèlement moral comme « des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail du salarié, susceptibles de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ».

Le harcèlement moral peut se manifester sous différentes formes, notamment l’humiliation, les critiques incessantes, les insultes et menaces, la « mise au placard », le refus de toute communication, une privation ou au contraire une charge excessive de travail.

Dans un article intitulé « Harcèlement : ce fléau que les entreprises sous-estiment » Danielle Zucker (docteur en psychologie) et Nathalie Leroy (avocate en droit du travail et enquêtrice) rappellent que « le coût du harcèlement pour les entreprises et la collectivité est loin d’être négligeable  :  pertes consécutives à la baisse de la productivité liée aux jours d’absence, impact sur les équipes, turnover, coût direct et indirect du recrutement, impact réputationnel, etc. ». Elles rajoutent que « selon une enquête de l’ANACT/CSA, le harcèlement est en cause pour 31 % des personnes dites « stressées » au travail ou en burn-out ».

Dans le milieu professionnel, le harcèlement vise plutôt les femmes.

Pour qu’il y ait harcèlement, trois critères doivent être réunis : 1) des agissements (interdire à la victime de s’exprimer, l’isoler, la discréditer auprès de ses collègues et dans son travail, compromettre sa santé) ; 2) les agissements doivent être répétés. La répétition est un élément déterminant pour qualifier cette infraction pénale ; 3) des agissements qui ont pour effet une dégradation matérielle, morale et psychologique des conditions de travail.

Dans la plupart des cas, la jalousie au travail conduit à du harcèlement moral qui constitue un délit puni de deux ans de prison et d’une amende de 30 000 euros. En plus de ces sanctions, le harceleur peut être condamné à des sanctions disciplinaires prises par l’employeur pouvant aller jusqu’au licenciement.

2. Les conséquences désastreuses de la jalousie dans le milieu professionnel français

En plus des conséquences négatives sur l’ambiance de travail et sur le bien-être, ce fléau est à l’origine du recrutement et de la promotion d’incompétents

  •  Les effets négatifs de la jalousie au travail sur l’ambiance de travail et le bien-être
    La jalousie pouvant entraîner des tensions et de l’hostilité entre collègues, quid du travail collaboratif et de la communication au travail ? Par ailleurs, ce type de conflits ne peut que générer une baisse de la productivité et de l’efficacité.

    Concernant l’impact sur le bien-être émotionnel, la jalousie au travail peut être à l’origine de frustrations, de tristesse et d’anxiété chez la victime. Elle peut également occasionner une perte de confiance en soi.

  • Le recrutement et la promotion de salariés incompétents
    La jalousie au travail introduit une grande injustice au niveau du recrutement et de la promotion. En effet, il peut arriver qu’un excellent candidat qui se présente pour un emploi ne soit pas retenu, car son CV aura été examiné avec jalousie par le recruteur. En résumé, le manque d’impartialité et la jalousie que nous observons chez certains recruteurs sont à l’origine de l’embauche de personnes qui ne sont pas à la hauteur de la mission.

    S’agissant de l’avancement, ce ne sont pas toujours les éléments les plus brillants qui sont promus. Par jalousie, un supérieur hiérarchique bloquera insidieusement une évolution de carrière. Il préfèrera promouvoir des collaborateurs qui ne lui feront pas de « l’ombre ». Ce type de comportement est non seulement scandaleux et fondé sur la mauvaise foi, mais surtout préjudiciable pour la bonne marche d’une entreprise ou d’une organisation. Il abîme la valeur travail, un des trois facteurs de la croissance.

    Le recrutement et la promotion d’incompétents relèvent d’un management par le négatif qui est responsable d’un certain mal-être au travail. Selon une étude sur les salariés les plus heureux au monde publiée par le cabinet de recrutement Robert Half en 2017, « les Français arrivent tout en bas du classement ». Xavier Camby, auteur de "48 clés pour un management durable- Bien-être et performance", écrit dans son ouvrage que « malgré une belle productivité, la France s'enfonce chaque jour davantage dans un marasme économique et social, faute de managers sachant manager".

  • La fuite des cerveaux : la France se vide de ses talents et de ses compétences
    La jalousie maladive de certains, la mesquinerie, la bassesse, … qui règnent dans le milieu professionnel français font malheureusement des victimes et créent un climat détestable. En définitive, ces comportements répréhensibles font fuir les cerveaux, les talents et les compétences. D’après Claude Goudron du Cercle Frédéric Bastiat, « la France est le deuxième pays le plus touché au monde par la fuite de ses cerveaux, elle a un solde négatif de 130 000 alors que les Allemands ont un solde positif de 374 000 ! ». La France ne suscite que très peu d’intérêt auprès de l’élite intellectuelle française, à cause non seulement de son système fiscal mais surtout pour l’absence de reconnaissance des mérites. Pour Claude Goudron « nous pourrions comparer la France à un pays sous-développé qui, faute de débouchés correctement rémunérés, inciterait ses ressortissants à émigrer sous de meilleurs cieux ».

Que faisons-nous pour retenir les talents ? D’aucuns s’efforcent de rester en France pour mettre leurs compétences au service de la nation, mais souvent, leurs talents et leurs compétences sont gâchés et sacrifiés. Quel peut-être l’avenir d’un pays qui sacrifie les talents ? Pourquoi s’acharne-t-on à promouvoir les personnes incompétentes et à niveler par le bas au lieu de mettre en avant la méritocratie ?

Pour lutter contre ce mal français, il faut changer les mentalités. La jalousie au travail doit laisser place à une saine ambition.

Pour conclure, nous rappellerons que la jalousie ne se cantonne pas uniquement aux relations professionnelles. Qualifiée alors de jalousie sociale, elle est à l’origine d’un certain idéal politique qui prône l’égalitarisme, l’assistanat plutôt qu’une aisance financière légitime acquise par le travail.

L’égalitarisme à tout prix est la prime au moins ambitieux, au moins courageux, au moins passionné, en résumé une prime à la médiocrité et à la jalousie qui nuit aux meilleurs. Une société qui développe l’assistanat et qui ignore les talents est en péril.

Le travail reste la véritable source du mérite et de la dignité ainsi que la condition de la prospérité sociale pour les défenseurs de la valeur travail.

3. Glossaire

Mal-être au travail : Sentiment de profond malaise dont les signes caractéristiques sont l’irritabilité, le stress, la perte de motivation, les répercussions sur la santé physique et mentale, les erreurs récurrentes, la fatigue, etc.

Management : Ensemble des activités d’organisation et de gestion de l’entreprise et de son personnel (Source : FranceTerme).

« Tall Poppy syndrom » : Syndrome selon lequel les personnes n’aiment pas et critiquent souvent ceux qui réussissent.

Souffrance au travail : Mal-être, détresse psychologique qui peut conduire à une dépression, un stress-post-traumatique, des troubles mentaux graves, voire aller jusqu’au suicide.

Syndrome d’épuisement professionnel (« burn-out » : « Etat de fatigue extrême, tant physique que mentale, attribué à la profession exercée et aux conditions de son exercice » (source : FranceTerme).

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