Le 25 avril 2023, le ministre des Comptes publics, Gabriel Attal, lançait une campagne intitulée « En avoir pour mes impôts » afin d’améliorer le consentement à l’impôt auprès des contribuables et de convaincre ces derniers de la bonne utilisation des deniers publics.

En juin 2024, sur le site de déclaration des impôts en ligne, le Gouvernement mettait à la disposition des citoyens - qui paient des impôts -, un communiqué pour expliquer à « quoi servent nos impôts ». Cette campagne de sensibilisation avait pour objectif d’essayer de répondre à la question que se posent régulièrement les Français : où va l’argent de nos impôts ? Ce besoin de savoir est d’autant plus légitime que nous assistons au délitement « des missions régaliennes de l’État qui couvrent entre autres l’ordre public et la sécurité, l’éducation et la santé.

Dans un premier temps, après avoir rappelé le poids des impôts en France, nous démontrerons que la relation entre la pression fiscale et les services publics que l’on peut attendre en contrepartie est rompue. Puis, dans un second temps, nous nous demanderons où passe l’argent de nos impôts.

1. La France reste championne de la pression fiscale en Europe

1.1. Le poids des impôts en France

D’après une étude de l’Institut économique Molinari (15ème édition) publiée en juillet 2024 dont les auteurs sont Nicolas Marques, Cécile Philippe et James Rogers, la France est toujours championne de la pression fiscale. Ainsi, un salarié moyen au Luxembourg arrête en théorie de payer des impôts et taxes à l’État à partir du 13 juin et utilise librement et sans contrainte les fruits de son travail. Il s’agit de ce que l’on appelle le « jour de libération sociale et fiscale ». En France, la libération sociale et fiscale intervient le 17 juillet. Comme en 2023, le jour de libération fiscale des Français est en 2024 le plus tardif d’Europe, loin derrière celui des anglais (1er mai) ou des espagnols (10 juin). La fiscalité sur le salarié moyen ressort à 54 % en 2024.

Cette étude révèle par ailleurs que « la pression sociale et fiscale reste à des niveaux records en France et pénalise la compétitivité et le pouvoir d’achat des salariés moyens plus qu’ailleurs. Ils sont les plus fiscalisés dans l’Union européenne en 2023 et 2024, en dépit des réductions de cotisations sociales opérées depuis 2015 ».

1.2. Une pression fiscale qui ne coïncide pas avec une meilleure gestion des comptes publics

Comme le souligne l’étude précitée, l’importance de la pression fiscale en France ne s’explique pas hélas par une gestion plus rigoureuse des finances publiques. A cet égard, les auteurs rappellent que « la France a une longue tradition de dérapages publics. Sans équilibre ou excédent budgétaire depuis 1975, elle se classe résolument dans la catégorie des pays vivant au-dessus de leurs moyens ». Selon eux, « le croisement de notre indicateur 2024 et les dernières données publiées par Eurostat montre que la France a un profil atypique peu enviable ». Avec un déficit budgétaire de l’État de 173 Mds d’euros en 2023 d’après le rapport de la Cour des comptes, soit 5,5 % de déficit public par rapport au PIB, la France présente « le double inconvénient de figurer à la fois dans la catégorie des pays enregistrant les plus forts dérapages des comptes publics tout en étant la championne des prélèvements sur les salaires moyens ».

1.3. La qualité des services publics n’est pas à la hauteur de la très forte pression fiscale qui sévit en France

D’aucuns parlent de « faillite » du régalien.

De très graves problèmes de sécurité

Les Français s'interrogent de plus en plus sur la question de savoir pourquoi ils paient des impôts alors qu'ils sont victimes d'une très forte insécurité. En effet, dans le domaine dela sécurité, la situation est particulièrement préoccupante. D’après le bilan statistique annuel Insécurité et délinquance pour l’année 2023 publié par le service ministériel statistique de la sécurité intérieure (SMSSI), la plupart des crimes et délits ont continué de progresser en 2023, mais à un rythme moindre que l’an passé. Les augmentations les plus fortes concernent les tentatives d’homicide enregistrées (+12 %), les coups et blessures volontaires sur personnes de 15 ans ou plus (+ 5 %), notamment dans le cadre familial, et les violences sexuelles (+ 8 %). Cette délinquance revêt parfois un aspect barbare. La barbarie est entrée dans notre culture.

Eric Delbecque dans son ouvrage « l’insécurité permanente – les causes de l’impuissance française », annonce un verdict brutal concernant l’insécurité en France. Il écrit entre autres : « Parce que nous payons au prix fort la lâcheté de nos élites, nous devons vivre avec la peur, supporter les incivilités quotidiennes, les agressions de la petite délinquance, les règlements de comptes entre dealers et la menace des attentats islamistes ».

- Affaiblissement du système éducatif 

Concernant le système éducatif français, il y a un demi-siècle, celui-ci bénéficiait d’un crédit exceptionnel dans le monde entier. Ce temps est hélas révolu. Aujourd’hui, nous assistons au détrônement de notre système éducatif. Dans une revue intitulé « Penser la crise de l’école », le sociologue Alain Caillé écrit : « L’école et l’université sont entrées dans une crise profonde. Oscillant en permanence entre une logique d’autoreproduction à l’identique – un conservatisme corporatiste et élitiste – et une injonction à la réforme ininterrompue – la démagogie et la démesure technocratique -, notre système d’enseignement ressemble de plus en plus à un bateau ivre ».

La France ne cesse de reculer dans le classement Pisa ("Programme international pour le suivi des acquis des élèves"). En 2024, la France occupe la 26ème place en mathématiques, la 28ème place en compréhension de l’écrit et la 26ème place en sciences. Ce sont les mathématiques qui posent le plus de problèmes aux élèves français. Ces résultats, en très net recul depuis 2018, sont alarmants et ne sont pas dignes de la 7ème puissance économique mondiale. Nicolas Baverez parle de la « grande déconstruction de l’éducation ». D’après l’OCDE, auteur du classement Pisa, la clé d’une meilleure performance des élèves est l’autonomie des établissements. Sur ce point, la France est très en retard. En outre, l’institution elle-même a renoncé à son devoir d’exigence : plus une tête ne doit dépasser. En d’autres termes, le système scolaire va vouloir au nom de l’égalitarisme « couper ce qui dépasse ». Certains dénoncent le nivellement par le bas et réfutent un égalitarisme fanatique qui mène un combat sans fin contre les talents, contre l’excellence, la réussite, la différence. Pour Vincent Citot, « poser a priori l’égalité comme une valeur, c’est brader un peu vite la question des talents et des mérites ».

Effondrement de notre système de santé publique et désertification médicale

S’agissant de notre système de santé, la France se classe loin derrière la Suède, l'Allemagne, le Danemark et les Pays Bas. Notre système de santé ne fait plus rêver. Son exemplarité est aujourd’hui mise à mal. La crise de la Covid 19 a fait apparaître au grand jour ses fragilités : crise de l’hôpital, déserts médicaux, dégradation des conditions de travail, pénuries de médicaments qui touchent 37 % de la population. Comme le souligne Nicolas Baverez, notre système de santé qui a longtemps figuré parmi les plus performants car « fondé sur les principes d’universalité, d’égalité, d’accessibilité et de qualité » est désormais « en cours d’effondrement ».

Comme l’évoque François Dubet dans son ouvrage « Le déclin de l’institution », « une crise institutionnelle » traverse l’école, le monde de la santé ou celui des travailleurs sociaux. Pour les auteurs d’un ouvrage collectif intitulé «Le malaise français, comprendre les blocages d'un pays» sous la direction d’Éric Fottorino, la France a mal à sa justice, à son administration, à ses emplois, à son école et à sa jeunesse, à son agriculture, à son industrie, à son histoire, à sa langue, à sa culture.

2. Utilisation de l’argent de nos impôts

2.1. Le poids de la fiscalité en France traduit une volonté de redistribution

En France, moins de la moitié de la population éligible à l’impôt paie l’impôt sur le revenu : très exactement 44,7 % en 2023 d’après les chiffres publiés mi-avril par la Direction générale des finances publiques (DGFIP). Ce chiffre révèle que « l’effort fiscal » est concentré sur un nombre de contribuables qui s’amenuise. Qu’en est-il de l’égalité face à l’impôt pour financer les dépenses publiques dont bénéficient tous les citoyens français sans exception ? Le fait d’exonérer totalement de l’impôt une importante partie de la population et de faire porter l'essentiel du poids de l'impôt sur les classes moyennes et supérieures est injuste et discutable.

De nombreux théoriciens dont Gaston Jèze et Adam Smith se sont penchés sur la question de l'égalité des citoyens devant les charges publiques. Ainsi, dans son Cours de Finances Publiques Gaston Jèze écrit que l'impôt est "une prestation pécuniaire, requise des particuliers par voie d'autorité, à titre définitif et sans contrepartie, en vue de la couverture des charges publiques ».Pour Adam Smith, l'impôt est un instrument confié à l'Etat pour le financement des biens et services publics.

Quant au principe de l’égalité devant l’impôt, celui a été reconnue comme un principe général du droit par le Conseil d'État et comme valeur constitutionnelle par le Conseil constitutionnel. Les deux sources du principe d'égalité devant l'impôt sont le principe d'égalité devant la loi posé à l'article 6 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 : "La loi doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse" et le principe d'égalité devant les charges publiques énoncé à l'article 13 de la même déclaration qui stipule que "Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés".

Il faut revenir à un impôt plus solidaire, c'est-à-dire plus équitablement réparti, et donc plus juste. Chaque contribuable doit payer sa quote-part selon ses facultés contributives. Un impôt, même faible, mais payé par tous, renforcera la solidarité et la cohésion entre les Français.

Sans prétendre à une contrepartie directe de l’impôt qu’évoque Gaston Jèze dans sa définition de l’impôt, les contribuables attendent de l’Etat un service public de qualité et non décadent. En d’autres termes, nous sommes loin du rôle originel de l’impôt dont la justification première est de financer des activités de service public décents. Nous sommes passés de la théorie de « l’impôt-échange » à celle de « l’impôt redistributif ».

2.2. Le système fiscal français est certes l'un des plus lourds au monde, mais aussi l’un des plus redistributifs

L'opposition idéologique entre l'impôt échange et impôt redistributif a évolué vers une préférence pour la redistribution : l'équité l'a emporté sur l'efficacité économique.

En France, les prestations sociales compensent fortement les écarts de revenus et rendent le système de prélèvements obligatoires redistributif pour les ménages à faible revenu. Pour Alexandre Mirlicourtois, directeur de la conjoncture et de la prévision chez Xerfi, si l'effort contributif est plus important en France qu'ailleurs, c'est en partie parce que le modèle social français redistribue des revenus de façon plus massive.

Dans un ouvrage intitulé « France Portrait social », édition 2023, l’INSEE souligne que du côté des prélèvements directs, l’impôt sur le revenu est le plus redistributif. Ainsi, en 2022 il participe pour 31 % à la réduction des inégalités de niveau de vie. Les contributions sociales et les cotisations d’allocations familiales, faiblement progressives, participent à hauteur de 8 % seulement à la baisse des inégalités.

2.3. Pour les Français, l’argent des impôts est mal utilisé

Le deuxième baromètre des prélèvements fiscaux, publié le 30 janvier 2024 par le Conseil des prélèvements obligatoires (CPO) de la Cour des Comptes, rappelle que les principaux déterminants du consentement à l’impôt sont par ordre croissant la connaissance du système social-fiscal, la confiance dans les institutions, le sentiment d’équité fiscale et la satisfaction quant à l’utilisation de l’argent public.

D’après les résultats de la consultation publique « en avoir pour mon argent » du 25 avril 2023 évoquée précédemment, et qui était destinée à permettre aux contribuables de « s’exprimer sur l’utilisation qui est faite de l’argent public », 78 % des contribuables pensent que l’argent prélevé est mal utilisé. Le deuxième baromètre des prélèvements fiscaux cité précédemment révèle que les deux tiers des sondés (67 %) jugent insatisfaisante l’utilisation par les pouvoirs publics de l’argent issu des impôts et cotisations. A peine 32 % font confiance à l’Etat pour une utilisation efficace de cet argent. Selon les personnes interrogées, les dépenses qu’il faudrait privilégier sont la santé (65 %), suivie de l’éducation (47 %), l’environnement (31 %), la sécurité (28 %) et la justice (25 %).

3. Conclusion

Les Français déplorent une pression fiscale qui ne cesse de croître alors que la quantité et la qualité des services publics se détériorent. Ils ont la sensation que l'État ne remplit pas ses missions premières. Au total, la structure de la politique fiscale doit évoluer pour prendre en compte l'exigence de clarté dans l'attribution du produit de l'impôt. Un des principes de base demeurant la responsabilité de la puissance publique qui lève l'impôt, cela suppose que le contribuable puisse identifier la destination des impôts qu'il acquitte.

4. Glossaire

Conseil des prélèvements obligatoires : Institution rattachée à la Cour des comptes, "chargée d'apprécier l'évolution et l'impact économique, social et budgétaire de l'ensemble des prélèvements obligatoires, ainsi que de formuler des recommandations sur toute question relative aux prélèvements obligatoires".

Dette publique : Au sens du Traité de Maastricht, ensemble des dettes contractées par les administrations publiques : administrations centrales, administrations locales et administrations de sécurité sociale.

Impôt échange : Prix à payer par le contribuable pour la sécurité et les services que lui apporte l'État.

Impôt redistributif : Impôt qui vise à réduire les écarts de revenus entre les ménages d'une même société.

Politique fiscale : Ensemble des mesures et des décisions prises par un gouvernement et les pouvoirs publics en termes de fiscalité afin de financer les dépenses publiques tout en soutenant l'activité économique.

Prélèvement obligatoire : Ensemble des versements effectifs opérés par tous les agents économiques au secteur des administrations publiques (élargi en Europe aux institutions de l’Union européenne).

Principe du consentement à l'impôt : Principe selon lequel un impôt prélevé par l'État doit avoir été accepté par les représentants de la nation.

Service public : Désigne habituellement aussi bien une activité destinée à satisfaire un besoin d'intérêt général que l'organisme administratif chargé de la gestion d'une telle activité.

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