Chaque crise économique provoque son lot de réglementations pour éviter de faire un retour « à la crise précédente ». Ces dernières se révèlent souvent totalement inefficaces pour faire face « à la crise suivante ».En tout cas elles alourdissent le poids administratif.
Aussi faut-il distinguer les réformes indispensables comme la création de la Federal Reserve en 1913 après la crise de 1907, la politique de « grands Travaux » de Roosevelt après la crise de 1929 et des réformes intéressantes mais dont le coût administratif est presque insupportable comme la loi Sarbanes- Oxley (SOX) après la crise des années 2000 dite crise « Enron ».
Le problème qui nous est posé consiste à analyser la nouvelle loi Dodd-Frank (DF) pour essayer de définir si elle entre dans la première ou la deuxième catégorie. Pour cela dans le fatras des 2.300 pages il faut découvrir les réformes utiles, les alourdissements administratifs et essayer d’évaluer si cela répond aux besoins de l’économie U.S. (Le Bloomberg Business week du 26 Juillet 2010 prévoit que cela va entraîner 520 nouvelles règles, 81 études et 93 rapports du Congrès)

I) Comment analyser les responsabilités dans la crise « dite de Subprime »

Pour comprendre le schéma « crise » il faut reprendre l’analyse d’Hyman Minski : l’évolution économique comprend toujours les trois mêmes phases : la première correspond à une croissance normale où le crédit joue un rôle d’appoint, une seconde où la « découverte de la multiplication du crédit » permet une explosion économique, le développement des innovations, un progrès généralisé et un enrichissement général. Malheureusement on atteint le « moment Minski » c’est à dire celui où comme les animaux de Walt Disney qui ont largement dépassé le rebord d’une falaise découvrent tout à coup qu’ils sont dans le vide et tombent, il y a un moment où les crédits trop développés n’ont plus de contrepartie. Il y a crise de liquidité.

La crise actuelle a des caractéristiques un peu spéciales. Il y a à la fois :
a) une crise structurelle de longue durée (la concurrence des pays émergents),
b) une crise classique immobilière. Celle-ci a été aggravée par l’usage immodérée de la technique (déformée) des subprimes. Ainsi les vendeurs de produits immobiliers ont pu continuer à vendre de tels contrats aux particuliers au-delà du « moment Minski » en leur faisant miroiter que les prix remonteraient très vite (contrats 2 /28 sans vérification des possibilités de paiement des acheteurs).
c) l’existence d’une superstructure de produits dérivés (la partie OTC représente 615 trillons de dollars à peine moins qu’en Juin 2008 où un maximum a été atteint 683 trillons). Ces derniers représentent à eux seuls 50 fois le Produit National Brut américain, tandis que la branche la plus risquée celle des Credit Default Swaps (CDS) n’a baissé que de 24 % depuis son maximum de Juin 2008 à 32 Trillons (soit « seulement » 2,6 fois le PNB U.S.).

On comprend ainsi ;
1) que la falaise Disneyenne est largement dépassée.
2) qu’il est important de réparer les dégâts et de créer des structures de protection pour l’avenir.
3) mais que, comme il est impossible de modifier l’être humain le mécanisme Minski continuera à provoquer dans le futur des expansions économiques et des « crises ».

Pour résorber la « dépression » économique actuelle on a eu le choix entre deux politiques :
- L’une est l’approche libérale (pensée unique) elle a consisté comme en 1935 (politique de Pierre Laval) à développer l’Emprunt pour assurer un peu de relance, au risque de déséquilibrer les budgets de presque tous les pays (sauf ceux dont les salaires sont très bas ou sont producteurs de matières premières).
- L’autre « inacceptable » est défendue par les prix Nobel Krugman et Stiglitz et consisterait à augmenter la masse monétaire M de la formule de Fisher MV = PT tant que, par manque de confiance de la part du secteur financier, V continue à rester très faible.
Sans entrer dans cette discussion théorique, hors de notre sujet, il nous faut étudier le point « 2 » de notre analyse, c’est à dire comment les EUA espèrent prendre des mesures de protection pour empêcher ou du moins retarder l’arrivée d’une nouvelle crise d’ampleur comparable en utilisant la loi « DF ».

II) Les réformes de la Loi DF

La Loi DF correspond-elle à l’espoir que l’on avait mis du « plus jamais ça » ? Telle est la question majeure qu’ont posé les politiques de tous les pays. En fait en analysant cette loi, on voit qu’elle a trois caractères : elle entraîne un alourdissement administratif exceptionnel, elle engage certaines réformes fondamentales mais certaines d’entre elles ont été suffisamment « diluées » pour devenir assez inefficaces.

A) Le développement de l’administration.
On crée toutes sortes d’organismes en en supprimant un, « l’Office of Thrift Supervision ». La plupart de ses activités sont reprises par la « Federal Deposit Insurance Corporation (FDIC) », le reste par le « Comptroller of the Currency »

Tout d’abord on crée le « Conseil de Stabilité Financière » (Financial Stability Oversight Council ou FSOC) où sont représentés les divers organismes de contrôle. Il doit identifier les risques systémiques.
De même, pour les assurances on crée au sein du Trésor le « Federal Insurance Office (FIO) ».
La Federal Reserve (FED) voit son pouvoir étendu, quitte à être, dans certains cas contrôlée par le « Gouvernemental Accountability Office » (GAO). Elle hérite du « Bureau of Consumer Financial Protection » nouvelle Agence chargée de l’information du public (Office of Financial Education) et d’analyser les produits financiers fournis au public : comptes chèques, prêts aux étudiants, hypothèques mais exception notable pas le crédit automobile (Office of Fair Lending and Equal Opportunity)

La Security Exchange Commission (SEC) crée de son côté 3 commissions, l’une pour surveiller les publications des grandes institutions financières, la seconde pour surveiller les produits structurés, la troisième pour suivre de près les innovations financières et les tendances des marchés.
Enfin on étend les pouvoirs de la Federal Deposit Insurance Corporation (FDIC) du contrôle des petits organismes financiers à certaines grandes banques.

B) Les réformes
Trois réformes indispensables sont en cours sans avoir été dénaturées. Les commissions sur cartes de crédit sont désormais limitées ce qui doit réduire certains abus qui aggravaient le surendettement. La responsabilité des « brokers-dealers » est augmentée ainsi que celle des prêteurs immobiliers qui devront vérifier la solvabilité de leurs acheteurs. Enfin en matière de titrisation on augmente la responsabilité des émetteurs en les obligeant à conserver 5 % des opérations qu’ils créeront, pour que les banques soient impliquées « skin in the game ». On peut ajouter une décision utile pour ramener la confiance du public, la garantie des dépôts de la FDIC est portée à 250.000 dollars

Les autres réformes si importantes soient-elles ont fait l’objet de débats difficile mais malgré des compromis, le résultat devrait être satisfaisant : la règle « Volker » de séparation des opérations bancaires « pour compte propre » et pour « clients » a été limitée dans les conditions suivantes : leurs investissements dans les fonds alternatifs (Hedge funds) et les fonds de Capital Investissements ne pourront pas dépasser 3% du total de leurs Tier One le plus strict (puisqu’il exclut tout titre hybride et en particulier les « trust-preferred securities (TruPS) » qui atteignent actuellement 149 milliards de dollars dont une grande partie à l’intérieur des Tier One des banques.)
Les dérivés traitées « Over the Counter (OTC) » devraient progressivement être échangées sur un marché organisé pour réduire le risque de contrepartie et cela avec un délai maximum d’un an. Ce point paraît présenter une difficulté majeure car les Bourses organisées n’ont pas des capitaux propres suffisants pour faire face aux 615 billions de dollars (position brute en fin d’année 2009);

Enfin la loi « DF » prévoit que les banques suffisamment grandes pour présenter des risques systémiques doivent progressivement créer un Fonds qui serait utilisé en cas de défaillance de l’une d’entre elle pour créer une « liquidation organisée » et supprimer ainsi leur risque systémique .


Conclusion

Les défauts de la loi « DF » sont visibles et sont évoqués par ses très nombreux opposants. Tout le monde fait remarquer l’ampleur du développement administratif. Les banquiers insistent sur le coût des réformes qu’ils subissent et, pour conserver les mêmes résultats, se sentent « obligés » de pratiquer des augmentations de prix de leurs services et cela, « avec regret », au détriment du public.
Mais le but de cette loi est d’empêcher une nouvelle crise, même si le coût est élevé pour la communauté. La question posée est donc d’essayer de définir si la loi « DF» peut prévenir un retour à une situation comparable à celle de 2007 / 2008.
Il faut se rappeler qu’à la différence avec 1929 il y deux crises qui se superposent : une crise économique structurelle due à la « Mondialisation » et une crise de liquidité due à la multiplication du crédit par le jeu des produits structurés.
Les mesures prises ne cherchent pas à résorber la crise économique. On attend une reprise « naturelle » qui d’ailleurs semble commencer dans le monde entier.
Aussi la loi « DF» a pour but d’augmenter la responsabilité des opérateurs, rendre plus difficiles les opérations qui n’ont comme seul but qu’une spéculation déstabilisante pour les entreprises et même les Etats.
Prenons l’exemple des « Ordres éclair / flash orders » opérations effectuées en 0,02 secondes. Elles servent les gérants de portefeuilles qui ont semble-t-ils « absolument » besoin d’avoir une réponse aussi rapide à leurs ordres (surtout si comme Buffett, peut-être le meilleur gérant mondial, ils désirent garder leurs titres environ 30 ans). Malheureusement elles servent aussi, semble-t-il, à des opérateurs qui pratiquent une opération malsaine le « scalpage/ scalping » autrefois interdit aux USA. Cela consiste à multiplier les ordres pour découvrir les ordres sérieux et les annuler si l’on n’a pas trouvé un opérateur passant sur une valeur donné un ordre à exécuter « soignant ». Le Financial Times du 3 Juin 2010 considère que 99 % des ordres « flash » sont annulés avant exécution.
Aussi malgré les imperfections de la loi et les « modifications » obtenues par les « groupes de pression », celle-ci devrait être efficace pour réduire les excès qui ont entraîné la crise financière actuelle. Mais est-elle suffisante pour réformer un milieu financier qui a peur du « risque industriel » et préfère les bénéfices d’opérations financières où son exceptionnel génie inventif peut donner son maximum d’efficacité ?




Jean-Jacques Perquel 5 Août 2010