Deux des principaux états mondiaux les Etats-Unis et l’Allemagne vivent obsédés par deux phénomènes économiques passés à l’état de « légende » : la crise des années 30 pour l’Amérique, l’inflation de 1924 pour l’Allemagne, et cela même si elles se sont produites dans des conditions sans commune mesure avec la situation actuelle. En effet, si dans l’entre-deux guerres le monde était assez ouvert, des efforts nombreux avaient lieu pour développer le protectionnisme dans les pays riches (loi Taft-Hartley par exemple). Cela est d’autant plus incompréhensible que les pays développés avaient, à l’époque, une supériorité technique importante sur le reste du monde.

 Il n’en est rien à l’heure actuelle. Le protectionnisme est mal vu même s’il se conserve dans certains pays émergents et le niveau intellectuel des élites est aussi développé dans tous les pays.

Ainsi le problème posé consiste à essayer de déterminer si l’on va vers une inflation internationale généralisée, une déflation mondiale ou si les systèmes neo-Keynesiens d’un côté, neo-schumpeteriens de l’autre vont entraîner simultanément des situations locales d’inflation et de déflation.

Aussi pour tenter de prévoir  l’avenir des principaux pays il faut d’abord résumer les notions économiques qui dominent la pensée actuelle, analyser les mots dont le sens est différent de pays à pays, étudier les éléments « classiques » (« la pensée des économistes morts ») qui poussent à envisager l’une ou l’autre évolution et, en se situant dans le contexte de la mondialisation, voir si dans ce contexte des politiques totalement divergentes peuvent subsister. 

I ) Les approches théoriques

En matière de Masse monétaire l’idée de base est la formule d’Irving Fisher PT=MV. La masse monétaire (notion ex post) multipliée par la vitesse de rotation de la monnaie (notion ex ante dépendant de la « Confiance » des opérateurs) détermine le caractère inflationniste ou déflationniste d’une économie. Cette formule explique que lorsque V est faible il y a crise économique surtout si elle s’accompagne d’un fort chômage et d’un sous-emploi de l’équipement industriel .Si par contre V est fort parce que les individus sont traumatisés par l’inflation, il est indispensable de résorber l’excès de M (en général par des hausses de taux directeurs comme en 1980 et 1981 où le Président de la FED Paul Volcker a fait monter deux fois de suite le taux à plus de 18  % ).

Trois analyses doivent être ajoutées qui relativisent un peu cette approche : Schumpeter a montré qu’il fallait admettre un certain chômage lorsque des industries anciennes à forte main d’oeuvre peu spécialisée disparaissaient, remplacées par des entreprises utilisant un emploi moins important, (phénomène aggravé par les délocalisations). Hyman Minsky  a prouvé que l’existence de Crises, du fait du développement de l’endettement, était le corollaire «inévitable » de la croissance et que dans cette situation la qualité des Actifs se dévaluait « automatiquement ». Ainsi l’excès de réglementation a le double effet de ralentir la croissance sans empêcher de nouvelles crises. Par ailleurs Roy Harrod a montré qu’à côté de l’Inflation de Demande (le type le plus classique de l’inflation), il pouvait y avoir une Inflation de l’Offre beaucoup plus difficilement contrôlable (par exemple l’inflation salariale …ou fiscale). Il peut donc y avoir un mix « Crise et Inflation » (Stagflation).

II ) Pour un essai de sémantique

Les mots sont souvent inadaptés à expliquer des situation, prenons trois exemples :

A. La définition de l’Euro.

A l’origine l’Euro était une monnaie commune. Les taux d’intérêt étaient voisins, que les emprunts souverains fussent grecs ou allemands. Depuis la crise grecque, les taux se sont différenciés au point que les investisseurs ont accepté, au moment où la crise atteignait son maximum, des taux négatifs en Euro (allemands). Cela signifie que l’Euro n’est plus vraiment une Monnaie Commune mais est devenue une sorte de Monnaie de Compte. On pourrait ainsi parler d’un « Euro-France » d’un « Euro-Grèce » etc. Cette situation s’est améliorée après  l’annonce faite par Mario Draghi en Juillet 2012 de la confirmation de la solidarité dans la Zone Euro et le 6 Septembre 2012 la création des « Outright Monetary Transactions (OMT) » même si ceux-ci n’ont pas eu besoin d’être utilisés du fait de l’amélioration des situations des pays du Sud (Balance des comptes italienne sur un an + 5,9 milliards de dollars et espagnole + 4,1 miiliards de dollars).

B. Les « politiques non conventionnelles »

Ben Bernanke aux Etats-Unis, Mervyn King en Angleterre, Shinzo Abe au Japon pratiquent une politique neo-Keynésienne qui consiste à acheter aux banques des titres détenus dans leurs portefeuilles ou sur les marchés financiers. (Ainsi dans le  Quantitative Easing number 3(Q.E.3) la Federal Reserve achète tous les mois 85 milliards de dollars de titres : 45  de « Treasuries » et 40 de « MBS » .). La banque Centrale finance ainsi l’Etat américain et également l’immobilier. Cela a, en outre, pour effet de faire baisser les taux longs ce qui est utile dans un pays où les ménages sont surendettés.

A contrario, sous le même intitulé, Mario Draghi a procédé à des appels d’offre à long terme (LTROs) à hauteur d’environ 1.000 milliards d’Euro, mais à la demande des Allemands les sommes prêtées à 3 ans ont été presqu’entièrement « stérilisées »  c-à-d. que la Banque Centrale Européenne a fait appel aux banques ayant des disponibilités pour « couvrir » les sommes qu’elle fournit aux banques emprunteuses. Ainsi à la différence des politiques des autres pays, la B.C.E. a juste été un « Centre de Compensation » entre banques sachant que celles-ci ont peur de prêter à leurs confrères. On peut noter qu’il se fait « involontairement » une création monétaire par le jeu des déficits auprès de la BCE grâce aux « facilités de Caisse » de « Target 2 ».

C. Le « risque » de l’endettement des Etats

Dans une analyse célèbre (mais très controversée et même récemment  réduite à néant) Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff ont prétendu que si l’endettement d’un pays atteignait 90% du PNB ce pays serait condamné à la stagnation. En fait cette analyse (en dehors des erreurs de raisonnement relevées par Michael Boskin de l’Université de Stanford) ne tient pas compte de la structure de cette dette. En effet les dettes Japonaises (plus de 200 % du Pnb) et italiennes (plus de 120 %) ne sont pas dangereuses car elle sont financées à environ 90 % par des nationaux et pourraient sans dégât être remplacées par des impôts. Il n’en est pas de même des autres pays comme la France où notre dette atteint 90 % du PNB et est financée à 60 % par des investisseurs  étrangers.

On voit ainsi que se posent les problèmes actuels :

Le défaut de convergence au sein de l’Euro actuel remet en cause l’unité de la Zone et de ce fait le dynamisme espéré dû à la possibilité de créer un énorme marché au cœur de l’Europe. Par contre l’efficacité des politiques non conventionnelles quand elles sont créatrices de monnaie, et l’endettement quand il est interne répondent mieux (à court terme) à la situation actuelle. Il y a ainsi à la fois reprise des économies américaine et japonaise et stagnation de la nôtre.

III ) Le Pour et le Contre

On ne peut se contenter d’analyser les économies mondiales sous l’angle de la situation actuelle. Il faut envisager les forces qui pousseraient vers l’inflation, la déflation ou même la « stagflation ».

Dans le contexte des Etats Unis, les indicateurs sont favorables. L’augmentation de la masse monétaire compense la faiblesse de rotation de la monnaie. Cela a provoqué une reprise des ventes automobiles, et plus récemment une hausse des prix de l’immobilier et l’amélioration des ventes et mises en chantier. Certes la Balance Commerciale est aidée par le développement des énergies non conventionnelles, (Gaz de Schiste et Shell Oil).

Par contre le sectarisme des « Republicans » dominés par les extrémistes du « Tea Party », réussit  à gêner le processus de relance. Le budget ne réussit pas à être voté depuis quelques années. Aussi l’économie américaine vit avec des « Continuing resolutions » (en France « douzièmes provisoires »). Les difficultés dans leur mise en œuvre entraîne même un « Sequester » ( technique de prélèvement automatique d’impôts) et cela sans parler du blocage quasi-total des dépenses publiques si le Congrès s’oppose mi-octobre à une augmentation du déficit public (actuellement fixé à 16.690 milliards de Dollars). Cela ampute la hausse du PNB de l’ordre de 1,5 points mais n’est pas suffisant pour empêcher la croissance de l’économie, (actuellement 2,50 % en taux annuel au 2ème trimestre).

De même il y a à la FED un désaccord de certains Présidents de FED (comme Richard Fisher Président de la Fed de Dallas ou James Bullard de la Fed de Saint-Louis) qui voudraient revenir le plus vite possible à une politique plus orthodoxe.

Le problème posé est celui du Stock (Y a-t-il assez de Dollars dans le monde entier ?) ou du Flux (l’effet marginal que produisent les différents Quantitative Easings est-il suffisant pour assurer le retour de la Confiance, donc une vitesse de rotation normale de la monnaie ?). Personne n’est vraiment à même de préciser si le stock est suffisant (d’autant qu’il faut faire une distinction entre les placements de la FED en bons du Trésor qui peuvent être une pure création monétaire et les MBS qui ne sont qu’une monétarisation de créances à plus ou moins long terme).

La politique américaine actuelle fournit des fonds au Monde entier, le dollar restant la Monnaie Mondiale. Cela devrait assurer une reprise générale, d’autant plus forte que les pays sont le plus liés avec l’économie américaine. Par contre la menace d’une réduction à terme des émissions monétaires a suffi à entraîner une hausse sensible des taux dans le monde et une fuite de capitaux vers les Etats-Unis, au risque d’une déstabilisation internationale. Il semble bien que la déclaration de Ben Bernanke le 22 Mai 2013 ait été un « ballon d’essai » mais cela montre la vulnérabilité du système mondial.
Il est certain que l’Europe devrait donc profiter de l’augmentation de la masse monétaire internationale (tant qu’elle dure), mais il faut à cela deux conditions qui sont mal remplies à l’heure actuelle :

a) Un effort de réduction des dépenses publiques des Etats les plus endettés et des réformes structurelles propres à rendre les économies de la Zone Euro plus compétitives. Cela est en train de se faire dans la plupart des pays du sud (Espagne, Italie, Grèce et Portugal) mais malheureusement pas dans toute la zone.

b) Une certaine relance de la masse monétaire en arrêtant la stérilisation des LTROs.
 L’Europe est hantée par la peur de l’inflation, mais il y a également un risque de  perte de compétitivité. Ainsi les Allemands cherchent  à éviter les hausses importantes de salaires qui leur sont demandées pour rééquilibrer les balances commerciales interZone- Euro. Cette solution serait une fausse bonne solution car il y aurait alors, en même temps détérioration de la balance commerciale allemande à l’égard du reste du Monde et par contre-coup celle de toute la Zone Euro dont l’Allemagne est le principal pilier.

IV. Conclusion

On voit ainsi se dégager deux grandes tendances :

a) La mondialisation qui entraîne une certaine unification mondiale. En même temps la Zone Euro cherche à équilibrer les balances des comptes de chacun de ses membres. Aussi l’Allemagne est obligée de faire des concessions aux pays appauvris par leur « laxisme » social. Ces pays doivent faire un effort de productivité. Ces deux opérations doivent se combiner pour éviter toute vraie déflation.

b) Le développement de la concurrence mondiale entraîne des contraintes sociales difficiles à supporter. Aussi en réaction, des partis populistes (Tea Party, FN, Grillo, etc) essaient de casser l’évolution de l’internationalisation au nom d’un retour vers des protectionnismes nationaux, sans envisager les conséquences inflationnistes de telles solutions.

Aussi peut-on exclure, pour le moment, tout risque de déflation et d’inflation. Certes les USA, le Japon et Allemagne devraient continuer à se développer plus rapidement que les autres pays. Les deux premiers pays pratiquent une politique Neo-Keynesienne basée sur l’analyse d’Irving Fisher et semble réussir à assurer leur développement et à soutenir le reste du Monde, même si l’analyse pessimiste de Minsky est parfaitement valable. L’Allemagne pratique une politique solitaire Neo-Libérale efficace dans la mesure où les autres pays ont un comportement très « laxiste ». L’effort réalisé par l’Europe du Sud gêne évidemment son développement.

Aussi un problème reste posé : les deux politiques peuvent–elles continuer à s’opposer dans un contexte international qui oscille entre inflation et déflation. En tout cas il semble bien que malgré l’essor des mouvements d’extrême-droite, l’on réussisse à sortir de la Crise sans inflation ni déflation.