La situation économique s’améliore dans le monde entier. L’Amérique donne l’exemple avec un chômage tombé à 5,5 % de la masse salariale, une capacité industrielle passée de 60/65 % à 85 et même à 90 % dans certaines industries et des salaires qui commencent enfin à remonter au- delà du taux de la hausse des prix. L’Angleterre a pratiqué les mêmes solutions (austérité interne et augmentation de la masse monétaire) avec le même résultat. L’Allemagne est en plein essor avec un chômage réduit à 6,5 % et depuis quelques années une remontée des salaires qui va même être accélérée par l’établissement d’un salaire minimum de 8,5 euros/heure (même s’il est loin de s’appliquer à tous ceux des salariés jusque-là payés à des taux très faibles). La France n’est pas épargnée par cette reprise grâce à un remarquable effort dans les nouvelles technologies, même si cela n’empêche pas une nouvelle hausse du chômage due aux difficultés de l’immobilier, dues essentiellement aux baisses de prix qui incitent les acheteurs potentiels à retarder au maximum leurs achats (et aggravées par les contraintes de la loi Alur).
Aussi même si on prêche la reprise économique - et elle se réalise partiellement -, un effort est entrepris pour éviter qu’elle ne se transforme en une forte expansion, car cela parait à beaucoup de gens très sérieux un phénomène redoutable « qui pourrait provoquer, à terme, une nouvelle crise ». (Cela rappelle la politique de Gribouille se mettant dans l’eau pour éviter la pluie).Parmi les solutions envisagées certaines sont psychologiques (le manque d’imagination des individus), intellectuelles (la créativité financière) enfin financières (la peur du manque de liquidité). Ce sont ces trois points qu’il faut analyser.
I. La psychose de crise
Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff ont parfaitement compris que les individus considéraient la tendance en cours comme définitive. En période d’euphorie, ils ont stigmatisé cet état d’esprit dans leur livre « This Time is Different ». Pour eux, toute période de croissance due à un important progrès technique porte en lui la conviction que « le monde a changé » et que le progrès technique doit assurer une amélioration constante du niveau de vie de la population. Or Hyman Minsky a montré que tout progrès technique provoquait un excès de crédit dans le secteur « privé ». Dès que l’on atteint une certaine limite (appelée « moment Minsky ») le secteur privé découvre l’étendue de son endettement et s’effondre. (Cela rappelle l’animal qui, dans des bandes dessinées, court, dépasse la limite d’une falaise et ne tombe que lorsqu’il commet la maladresse de regarder en bas).
Mais, de la même façon qu’en période d’euphorie, l’opinion publique jouit d’un optimisme « inébranlable », en période de ralentissement économique, tout le monde est inquiet, prévoit des crises à tout moment ou du moins parle de « bulles » dès qu’il y a dans un secteur un développement un peu rapide.
Or nous sommes dans une période, où les innovations autour d’Internet ont naturellement provoqué une « Crise » d’autant plus forte que le développement économique était extraordinaire. On a eu alors ce paradoxe d’un « déficit de liquidité » dans le secteur financier dans une période marquée par un « excès de masse monétaire». Il y avait en particulier, à la suite du Krach de Lehman Brothers, une peur des banques de prêter à leurs confrères, d’où un effondrement de la vitesse de circulation de la monnaie.
L’idée néo-keynésienne de relancer l’économie par une émission importante de la monnaie internationale, le « Dollar », pour compenser cette vitesse de rotation défaillante, a eu au début un succès mitigé. Elle s’est heurtée, en effet, au manque de confiance des utilisateurs .Ceux-ci, dans un premier temps, ont détourné l’opération de son but et utilisé les montants disponibles pour de pures spéculations monétaires (Carry Trade) ou vers des achats de produits à production limitée dont on pouvait faire monter les prix sans problème (objets d’art, sociétés rachetées à des prix anormaux et même hausse des Bourses).
II. La « Créativité Financière »
Dans toute la période qui a suivi les dernières années du XIXème siècle, les financiers ont inventé constamment des produits nouveaux le plus souvent très utiles : produits servant à corriger des anomalies de structure (Swaps de Taux), à accélérer les transactions internationales (Swaps de Change), à protéger ces mêmes transactions (Contrats Futurs et Forwards), à servir de couverture de crédits (Credit Default Swaps « C.D.S. »). On invente des contrats spécialement souples pour la gestion indicielle (les Exchange Traded Funds « E.T.F.s » émis, dans le monde, à hauteur de 3.000 milliards de dollars) etc.
Malheureusement, l’ingéniosité des financiers n’a pas de limite. On a déformé la notion de C.D.S. en faisant des « opérations à découvert » c’est-à-dire en les achetant sans avoir de titres à « couvrir » et cela surtout sur des « titres souverains ». Cette opération a deux avantages pour l’opérateur. En effet il a l’impression de « jouer sans risque » si le pays concerné a une « mauvaise réputation » et en achetant des C.D.S., il en fait monter le cours. Cela lui permet de dénouer son opération avec bénéfice, mais il peut aussi espérer l’« Incident » qui va obliger son vendeur à rembourser l’écart entre le cours du titre dont le C.D.S est la couverture théorique et le prix de remboursement du titre « au pair ». Bien entendu c’est le secteur financier (Banques et Assurances) qui accepte de vendre les C.D.S. Il prend en fait un risque énorme. A titre d’exemple, l’accord franco-allemand de Deauville, concernant l‘amortissement de la dette grecque, a coûté aux vendeurs de C.S grecs, près de 3 milliards de dollars. On peut penser aux dégâts que ferait la faillite d’un grand pays… d’autant que la position « ouverte » en C.D.S .est supérieure à 20 billions de Dollars.
Mais il y a d’autres produits imaginés de pure spéculation. Ainsi, le « Contract for Difference (C.F.D.) » est un moyen d’acheter un produit financier avec un fort effet de levier (jusqu’à 400 fois en matière de devises.). Certes, les banques émettrices font un effort pour limiter les effets nocifs de ce type de contrat en obligeant les individus à compenser chaque jour les pertes qu’ils pourraient faire et pour contrôler les clients qui auraient tendance à vouloir dépasser les limites que les Banques leur imposent en fonction de leurs possibilités financières… et intellectuelles, mais on ne voit pas l’intérêt économique de ce genre d’opération qui a plutôt l’inconvénient de faire croire au public que les opérations de Bourse sont assimilables à des jeux de casino.
III. La hantise de la Liquidité
La crise de 2008 a été marquée par une crise de liquidité au milieu d’une masse monétaire surabondante. On peut faire de cela deux analyses : Les excès de spéculation immobilière ont provoqué une série de faillites en chaine Lehmann, A.I.G., les principales Investment Banks américaines etc. créant un manque de liquidité dans le secteur financier. Mais on peut aussi faire abstraction de l’aspect économique de la crise, se contenter de regarder le résultat et dire qu’il s’agit simplement d’une crise de liquidité et se dire que si l’on répare « le thermomètre » c’est-à-dire si on garantit la liquidité du secteur financier, « cette fois ce sera différent ».
Cette simplification dans le raisonnement a pour conséquence les mesures de Bâle III et de Solvency II. Ces règles ont surtout pour effet de diminuer les possibilités du secteur financier. Elles sont en plus aggravées par des « Stress tests »où l’on cherche à analyser la situation des intermédiaires financiers placés dans des conditions dramatiques. Bien plus, chaque banque aggrave son austérité par désir de montrer un coefficient supérieur à celui des autres banques dans le but (théorique) d’« améliorer la confiance des clients ». En outre, on crée un fonds (spécialement onéreux pour les banques françaises) pour que des liquidations de banques n’entraînent pas de perte pour la communauté.
On essaie ainsi d’empêcher que l’on fasse appel aux Banques Centrales comme « prêteurs en dernier ressort » sous le prétexte que cet appel incite à imposer au public une charge fiscale supplémentaire. Or tant que cette aide est modérée, cela n’a aucun effet sur le comportement parlementaire, les Banques Centrales pouvant émettre de la monnaie sans effet inflationniste. Par contre, les mesures de restriction de crédit (un économiste du fonds monétaire a même proposé que les prêts bancaires soient couverts à 100 % par les fonds propres des banques) ont pour effet d’aggraver la situation déflationniste du système financier. Par ailleurs, cela pourrait se révéler insuffisant si une importante liquidation de C.D.S. » mettait en danger le secteur financier mondial .On serait alors obligé de faire appel aux Banques Centrales et cela d’une façon si importante qu’il serait difficile de maitriser l’inflation qui en résulterait.
Conclusion
On voit ainsi que le caractère moutonnier et facilement pessimiste du public (financiers et politiques compris), le malaise dû aux innovations hasardeuses des financiers, et le mythe de la peur du manque de liquidité se conjuguent pour inciter au développement de la crise et peut-être à l‘aggraver. Or malgré les analyses « déclinistes » et toutes les mesures malsaines que l’on ne cesse de prendre, la situation s’améliore, en tout cas dans les pays développés du monde.
Il semble qu’il y ait deux raisons à cet état de chose :
a) Si le ralentissement économique a entraîné un arrêt de l’investissement, Il n’a pas empêché l’usure des machines. Si les effets de l’innovation de la période qui a précédé la crise de 2007/2008 ont tendance à se diluer, la jeunesse est dynamisée par la notion que le monde est en pleine évolution et qu’il faut répondre à ce « challenge ».Tout cela est la preuve d’un renouveau qui devrait effacer les traces de la crise que nous avons vécue.et indique que nous sommes à la veille d’une reprise NATURELLE.
b) Les criques présentées ici devraient s’estomper. La hausse très forte des Bourses est une bonne indication du renouveau de confiance dans le monde entier. Elle devrait transformer le « déclinisme » en un retour de l’Espoir. Par ailleurs, les Autorités financières cherchent à brider les excès de la création de produits devenus malsains par leur évolution (exemple les tentatives pour mettre des limites aux excès des « flash orders »). Enfin, reste le problème du « Mythe de la Liquidité ». Si la reprise est assez forte, il n’y aura pas de problème vrai de liquidité et les mesures actuelles deviendront inoffensives.
Ainsi, on peut espérer que les pessimistes actuels seront bientôt convaincus que « cette fois c’est différent » au risque de se tromper… comme d’habitude.
Jean-Jacques PERQUEL
2 Avril 2015