Les trois « Qualitative Easings » (Q.E.s) de 2008,2010 et 2012 et les baisses successives de taux d’intérêt ont enfin atteint leur objectif : relancer l’Economie Américaine. Les deux premiers Q.E. ont en fait partiellement échoué. En effet par manque de « Confiance » les détenteurs de fonds ont privilégié les opérations à court terme : Ainsi ils ont accumulé des réserves monétaires très importantes, ils ont développé des opérations de « Carry Trade » (rappelant ainsi les mouvements de « hot money » de l’entre-deux –guerres), ils ont accumulé des achats d’objets d’art à des prix exagérés. Parmi les détournements de la monnaie vers des opérations dont le but économique n’est que partiellement utile à l’amélioration du P.N.B. national, il faut ajouter une grande partie des nombreuses fusions et acquisitions réalisées depuis le début de la crise. Elles ont souvent été réalisées par des entreprises qui ont recherché une fusion avec des concurrents pour réduire les frais de gestion plutôt qu’une synergie qui assure leur croissance. En outre, vu l’abondance d’argent toutes ces opérations ont été effectuées à des prix anormaux. Seul le troisième Q.E. s’est révélé efficace ramenant la confiance et la reprise de l’emploi.
Mais la baisse des taux à un niveau voisin de 0 a des conséquences, à terme, dangereuses pour le système financier. Il incite les opérateurs financiers à rechercher des placements à forte rentabilité en faisant prendre à leurs clients des risques exagérés (et détournant ainsi vers de la pure spéculation une partie importante des fonds créés par les différents Q.E.s)
.Janet Yellen « Chair » de la « Federal Reserve »(F.E.D.) veut donc dès que possible faire remonter les taux de référence .Les conditions semblent remplies. Ben Bernanke, son prédécesseur avait conditionné l’arrêt des Q.E.s dès que le chômage atteindrait 6,5 %. Or il est maintenant à 5,3 % et cependant il y a quelques hésitations dues aux difficultés rencontrées chaque premier trimestre (croissance du P.N.B. de - 3 % en 2014 en taux annuel et de + 0,6 % en 2015) et une certaine faiblesse de l’investissement.
Aussi pour approfondir le problème de la date de la reprise de la hausse des taux, il nous faut analyser l’économie américaine, étudier l’échec en Mai 1937 de la tentative de Roosevelt pour ramener l’économie américaine dans le « droit chemin de la culture économique classique »et en analysant le rapport de la masse monétaire et celui de la « confiance » en conclure comment la future hausse des taux pourrait être réalisée dans de bonnes conditions.
I) La situation économique des Etats-Unis
Les Etats-Unis ont du mal à évaluer leur situation. Leur P.N.B. est en pleine croissance à un taux qui avoisine 2,5 % depuis plus d’un an mais les premiers trimestres sont généralement marqués par des catastrophes climatiques (et quelque fois des grèves de dockers) qui donnent chaque année, à la même époque, l’impression que la reprise est terminée. ( - 3 % en taux annuel en 2014,+0,6 % seulement en 2015) .L’investissement ne repart pas ,mais les entreprises travaillent à plus de 80 % de capacité contre 60/65 % au cœur de la crise .il faut ajouter à cela que la véritable croissance se fait avec le développement de l’ « Information Technology »(I.T.) secteur qui, statistiquement, entre dans le domaine des « Services »et non de l’ « Industrie ».
Le Chômage tente à se résorber (5,4 % de la main d’œuvre ). Certes un certain nombre de personnes abandonnent leurs demandes d’indemnité de chômage mais ce sont surtout des femmes peu intéressées par la maigre aide aux chômeurs, le jour où leur mari retrouve un emploi. Cette réduction du chômage est confirmée par le nombre de nouveaux emplois créés chaque mois (plus de 250.000).
Il y a deux derniers points noirs
a) les salaires restent bas ce qui gêne une forte reprise car c’est un handicap à une vraie prospérité durable. Or ils commencent à monter ce qui améliorerait la reprise actuelle.
b) la baisse du pétrole si elle améliore les possibilités du public de développer sa consommation, a une contrepartie dans les réductions d’activité des sociétés d’exploitation pétrolière et chez les sous-traitants.
Au total l’Economie américaine est en pleine reprise mais conserve le grand handicap d’une balance commerciale encore très déficitaire même si elle a tendance à s’améliorer grâce au retour d’entreprises qui s’étaient expatriées et à des investissements de sociétés européennes attirées par l’importance du marché américain. Aussi même si la reprise n’entraîne pas, à court terme, de risque d’inflation, on comprend que Janet Yellen envisage sérieusement une hausse des taux.
II) Un exemple maladroit : 1937
De 1930 à 1936 la croissance a été spectaculaire. La production industrielle avait augmenté de 46 %, les prix qui s’étaient effondrés pendant la crise , avaient remonté de 31 %, le P.N.B était en hausse de 70 % ;.Le chômage était tombé à 7,5 millions d’individus,( contre 16 millions en 1933). Ce renouveau de prospérité a inquiété la FED. Aussi de 1936 à Mai 1937, par petites étapes, la FED a doublé de 100 % les obligations de réserves obligatoires des banques commerciales (de 12,30% à 25 %).Dans le même temps, toujours dans le but de revenir à la «normale », pour essayer de rééquilibrer le budget, le gouvernement a augmenté les impôts. On a enfin stérilisé les entrées d’or par des ventes de titres publics sur le marché monétaire. Les taux ont alors monté. Ainsi le « Treasury Bill » à 9 mois est passé de 0,1 % à 0,9 %.
Le résultat a été quasi-instantané.la Bourse s’est effondrée (- 25%). Le chômage a augmenté de 2 millions de personnes. Certes les Banques avaient accumulé des réserves « excédentaires »considérables et le nouveau Gouverneur Marriner Eccles pouvait penser que l’importante augmentation des réserves obligatoires ne créérait pas de trouble. Jackson E.Reynolds Président de la First National Bank de New York (cité par Robert L. Hetzel dans « The great Recession » (Cambridge University 2012) déclarait : « il y a deux ans les dépôts de la banque étaient de 447 millions de dollars, deux semaines plus tard ils étaient de 172 millions » justifiant ainsi l’obligation « moralel » de garder des réserves excédentaires immédiatement disponibles ;Dès la fin de 1937 Roosevelt renonçait à réaliser son objectif de rééquilibrage du Budget et l’économie repartait
Cette crise de 1937 et l’expérience des deux premiers Q.E.S montrent
a) le danger de vouloir résorber trop brutalement les mesures de relâchement monétaire prises pour limiter les effets d’une crise. b) que l’augmentation de la masse monétaire n’est pas suffisante en soi pour assurer la reprise économique, il faut à la fois une masse monétaire suffisante … et un retour de la Confiance.
C’est dans cette double optique qu’il faut envisager la hausse des taux.
Conclusion : quand et comment relever les taux.
On se heurte à deux problème
a) d’un point de vue pratique la décision de relever les taux dépend d’une décision de la FED où les gouverneurs « hawks » deviennent peu à peu majoritaires et la domination du congrès par les « Republicans » ne facilite la position des « doves ».On peut penser que la pression de la Droite dans l’opinion publique va inciter Janet Yellen à effectuer rapidement une telle hausse. Mais comme elle a le sens de la mesure on peut penser qu’elle le fera très modérément de façon à éviter les difficultés de 1937.( hausses de 0,25 % ou de 0,50% avec un temps entre des hausses assez long pour en étudier les conséquences.)
b) nul ne sait quelle doit être la masse monétaire optimum. Prenons un exemple : en 2007 la masse monétaire mondiale était beaucoup trop importante entraînant déjà des excès de prix dans des secteurs où la production reste limitée (comme les oeuvres d’art).Or au lendemain des affaires Bear Sterns et Lehman, sans qu’il y ait eu de modification de la masse monétaire, il y a eu un manque terrible de liquidités. Aussi personne ne peut dire que la masse monétaire développée par les différents Q.E.s est insuffisante ou trop forte. Les seuls indices d’une certaine exagération de cette masse se voient dans les excès commis sur les prix des oeuvres d’art ou les rachats de sociétés. On peut penser que la masse monétaire actuelle est normale tant que la vitesse de rotation ne s’accélère pas . Aussi la hausse des taux et une ponction sur la masse monétaire par l « ’Open Market Commitee » doivent intervenir en fonction du retour de la « Confiance » et de son corollaire l’accélération de la vitesse de rotation de la monnaie.
Comme on peut penser que la croissance américaine devrait s’accélérer avec la hausse des salaires et un certain redressement de la balance des Comptes, la Confiance devrait s’améliorer et donc une légère hausse des taux même si elle provoque une petite baisse des marchés pourrait être sans réel danger pour l’économie et rendre un immense service aux sociétés financières qui souffrent terriblement des bas taux actuels.
Jean-Jacques Perquel 8 Aout 2015