John Connolly déclarait aux Européens que le Dollar était « notre monnaie et votre Problème ». Il posait bien le problème de la monnaie dominante. En fait, sauf à des périodes de transition, il n’y a jamais eu qu’une « vraie  monnaie internationale », toutes les autres étant rattachées à cette monnaie avec plus ou moins d’indépendance . Bien entendu la monnaie dominante n’existe que dans le cadre politique d’un « Monde » limité. Dans un contexte isolé, il peut y avoir une monnaie autonome. Ainsi le « Cauri » a pu rester vivant depuis les temps antiques jusqu’à l’après deuxième guerre mondiale, dans le cadre limité de la Papouasie. Pour approfondir le rôle du Dollar dans le Monde Actuel il nous faut envisager l’historique de la monnaie internationale, l’importance du dollar et évaluer l’ampleur des tentatives pour le remplacer.

A. Historique

 Il y a deux types de monnaie :les monnaies matières et les monnaies à représentation économique;

a) Les monnaies matières se heurtent à la difficulté de l’inadaptation de la production de monnaie et aux besoins de leur augmentation régulière pour faire face à l’augmentation de la population et à des besoins dus à l’enrichissement des individus.

Dans le monde antique, diverses monnaies-matières permettaient des échanges entre différents pays mais également assuraient le financement des transactions d’où le système Égyptien de double monnaie l’une en bronze pour les paiements internes l’autre réservée aux règlements internationaux et non distribuée dans le public.
Puis l’Or devient monnaie internationale avec les défauts des excès monétaires entraînant des lois d’exception pour lutter contre l’inflation (ex loi du Maximum de Dioclétien (1301) règlementation très poussée (les limitations de prix couvrent plusieurs milliers d’objets. Mais, comme beaucoup de lois de ce style, elle devait être rapidement abandonnée).

Au Moyen-Age, les métaux précieux n’étant pas en productions suffisantes pour assurer les échanges on utilise le Cuivre en essayant de garantir une parité entre les différentes pièces. Comme cela n’est pas suffisant, les Italiens inventent à l’extrême fin du XIIème siècle la «  Lettre de Change » qui fournit des fonds de « Foire en Foire ».

Le XVIème siècle est marqué par l’existence d’une double monnaie l’Argent qui vient des mines de Bohème et l’Or venu d’Amérique Latine.

On voit que jusqu’au XVIIIème siècle la masse monétaire est limitée par la production d’une matière première dans un « cadre clos » qui devient quasi mondial. Certes les besoins de croissance de cette masse monétaire (augmentation de la population et son enrichissement) obligent à rechercher des moyens d’augmenter la masse monétaire. En sclérosant la masse monétaire métallique par le Banking Act de 1844 pour éviter des risques d’inflation, les Anglais inventent le « Chèque »dont on connait le développement.

b) Les monnaies représentatives de l’économie; Cette position a été exposée par Freud qui explique que la masse monétaire est la « face cachée » de la production industrielle et des services. Mais cela n’ôte pas le caractère de monnaie unique dominante :l’Or (et l’Argent) au XVIIème siècle, la Livre Sterling au XVIIIème et XIXème (périodes où l’Or devient un « succédané » de la Livre,). Le Dollar joue ce rôle à partir de 1.922 (première formulation du « Gold Exchange Standard »à la Conférence de Gênes) et surtout à Bretton Woods (1944) où sa position est renforcée. A partir de 1971 l’Or perd sa parité fixe de 35 dollars/l’once et devient un objet de « Spéculation » tout en restant utilisé comme « Réserve » dans les caisses des Banques Centrales.

Cette évolution est accompagnée par une transformation du système financier ,car les États ont tendance à vouloir contrôler leur système monétaire avec un besoin d’augmentation continue de la masse monétaire et dans le même temps une peur de « dérapage »de cette augmentation si on l’augmente « abusivement » risque d’hyperinflation) Aussi le pouvoir politique a tendance à tâtonner pour essayer de trouver une solution à ce problème. Dans cette évolution on trouve trois étapes.

a) la création d’une banque nationale (Stockholm en 1668 , Londres en1694, Paris en 1800, Washington en 1913).

b) le degré d’indépendance de la Banque Centrale pour pouvoir résister aux efforts démagogiques des Gouvernements. On retrouve d’une certaine façon la direction des Banques Centrales par des particuliers indépendants (même si face à la crise économique des « subprimes » ce sont les Banques centrales qui ont eu une politique « laxiste » (l’assouplissement monétaire).

c) la fusion de Banques Centrales(L’Euro en 1999).

B. Situation du Dollar

Dans ce contexte le Dollar joue parfaitement ce rôle de monnaie dominante, profitant d’un triple avantage.

a) Depuis la guerre de 1914 et surtout depuis la deuxième guerre mondiale, les États-Unis bénéficient de la réputation de pays le plus puissant au Monde et de « protecteur de la Liberté ». Aussi dès que la situation parait dramatique le public cherche refuge pour ses fonds (achats de Dollars …et d’Or).

b) Le fait d’être monnaie dominante lui donne un droit de « seigneuriage » possibilité d’avoir un déficit budgétaire anormal et une émission monétaire incontrôlée.

c) En outre la taille imposante du pays, l’importance de sa population, l’ampleur de la richesse de ses habitants en font le premier marché mondial en concurrence avec celui de la Chine.

Malheureusement les États-Unis ont tendance à exagérer. Ainsi dans l’affaire de la BNP les Américains ont condamné à une forte amende (9 milliards de Dollars) cette banque pour avoir fait des opérations interdites en droit américain mais légales en droit français. Ils utilisaient comme argument que les transactions s’étaient faites en Dollars et donc dépendaient du Gouvernement américain. Par ailleurs les États-Unis menaçaient de prendre des sanctions contre la filiale américaine de la BNP si elle n’acceptait pas de payer cette « amende ».

L’importance de ce dernier point, la guerre en Ukraine, la jalousie des grandes   dictatures remettent en cause le Dollar comme monnaie internationale. Peut-on alors définir l’avenir du Dollar.?

C. L’avenir du Dollar

De plus en plus les Pays se penchent sur le problème du Dollar qui reste pour le moment la monnaie mondiale de façon incontestée. Les matières premières sont encore toutes cotées en Dollars…et en Livres (La cotation en sterling n’est plus que le résidu de la grandeur de l’Angleterre Victorienne. C’est le résultat du rôle international de la place de Londres, rôle dont l’importance est un peu mise en cause par le Brexit…au profit de l’Europe mais surtout des États-Unis). Bien plus un certain nombre de pays à monnaie vacillante se réfugient dans le dollar même pour leurs transactions internes (par exemple l’Équateur ou le Costa Rica).

Par contre des tentatives existent pour remettre en cause la primauté du dollar :

a) l’Euro, établi à l’imitation du Zollverein, n’arrive pas à créer une véritable union européenne. Aussi l’Euro se développe en étant une monnaie de réserve secondaire même si c’est la seconde des monnaies dans les portefeuilles des États. Il n’est pas en l’état de concurrencer le dollar. Mais malgré ses limites, c’est techniquement un remarquable succès que des quantités de pays voudraient intégrer ou…imiter. C’est le cas de l’Argentine et du Brésil qui tentent de former une zone financière.

b) Des pays cherchent à sortir de la dépendance du Dollar .c’est le cas de la Russie qui veut vendre son pétrole en Rouble ,monnaie qui du fait de la guerre d’Ukraine joue un rôle plus grand dans les transactions de la Russie avec des pays comme l’Iran ou l’inde. Ce sera surtout le « Renminbi » Chinois dès qu’il aura pris la décision d’être totalement convertible.

c) les monnaies cryptées jouent un rôle international de plus en plus important. Ainsi le Bitcoin sert d’accompagnement au Dollar au Salvador(2.021) ou au franc  C.F.A. en République Centre -Africaine (2022) ;L’intérêt de cette double unité monétaire revient à supprimer les frais bancaires de transferts de fonds des habitants des pays riches .Pour le Salvador cela représente plusieurs centaines de millions de dollars chaque année.

Le problème des cryptomonnaies va bien au-delà des tentatives timides pour intégrer le Bitcoin à des systèmes monétaires locaux. Sous leurs formes de « Stablecoins » ils perdent le défaut majeur des cryptomonnaies :l’irrégularité des cours . Par contre ils présentent un grand avantage, celui de ne pas dépendre d’une autorité financière quelconque et s’il est plutôt utilisé pour des trafics illégaux il pourra dans l’avenir être utilisé par des États qui ne veulent pas dépendre des États-Unis. Il y a donc un danger que les Banques Centrales perdent le contrôle des monnaies mondiales, créant une véritable « jungle monétaire » comme celle que l’on a connu entre les deux dernières guerres mondiales. A preuve la panique qui a apparu lorsque Facebook a voulu lancer le « Libra ». Facebook n’ayant dans le Monde qu’environ 3 milliards de clients, d’où l’ampleur du risque pour le système monétaire mondial.

Conclusion

On voit ainsi :

a) Que le Dollar est encore réellement incontesté.Il conserve les avantages d’une monnaie très répartie dans le monde grâce en partie à l’ampleur de son déficit commercial qui assure une forte répartition de cette monnaie.

b) Que l’extension recherchée d’un contrôle politique sur tous les utilisateurs de dollars est un pêché qui ne lui sera pas pardonné et sera sans doute une cause, à terme très éloigné, de la remise en cause de sa «Souveraineté ».

c) Certaines tentatives de remise en cause du dollar sont inexistantes ou faibles (union argentin-brésilienne) .D’autres pays ne cherchent pas à détrôner le DOLLAR (l’EURO ou le Yen ). Il n’en est pas de même des pays à prétention hégémoniques (le Rouble isolé par le système de sanctions internationales mais surtout le Renminbi).

d) En outre il y a un autre danger les « Stablecoins » qui sont à l’heure actuelle liés au Dollar mais pourraient l’être à n’importe quelle autre monnaie et permettre un système non contrôlable par les Banques Centrales. L’intervention rapide de la Fed a bloqué le Libra (devenu Diem) mais d’autres « monnaies » pourraient voir le jour, remettant en cause non seulement le Dollar mais également le système monétaire international actuel.

Jean-Jacques Perquel