Par un paradoxe étonnant, l’état le plus malade est celui qui semble se porter le mieux, les Etats-Unis. En effet, avec une croissance en hausse au premier trimestre de 5,3% et 4,7%, la production industrielle sur la période avril 2005 à avril 2006, l’Amérique paraît avoir une croissance éblouissante. Par comparaison, la France a eu respectivement des croissances de 2,2 et 1,9, l’Allemagne de 1,6 et 3,9 et le Japon lui-même en pleine reprise de 1,9 et 2,4. Malgré l’afflux d’immigrants, le chômage américain est de 4,6 % de la masse des travailleurs contre 9,3 % en France et 8,2 % en Allemagne (chiffre corrigé par l’U.E.).

Certes, il y a aux USA, un léger ralentissement en mai. L’emploi n’a augmenté que de 75.000 personnes, loin des 150 à 200.000 habituels, mais une telle baisse s’est déjà produite au cours des années précédentes, et un mois relativement mauvais ne peut être considéré comme significatif. Dans le même ordre d’idée, on peut également citer un léger ralentissement d’activité, mais il est trop récent pour être considéré comme significatif. Ces chiffres ne justifieraient pas le moindre pessimisme.

Il y a certes la baisse de la bourse. L’indice Dow Jones était le 7 juin à 10.930, soit une hausse de 2% sur les cours du 1.01.2006 et le Nasdaq en hausse de 2,4%. Mais cette faiblesse est plus due à un manque d’épargne qu’à de mauvais résultats des entreprises, celles-ci ayant au contraire effectué des bénéfices exceptionnels en 2005 et paraissant avoir encore cette année des résultats brillants même s’ils le sont un peu moins qu’en 2005.

Et pourtant l’Amérique est bien l’homme malade du monde occidental pour deux raisons :

1.des trois déficits US, deux (les « twin deficits » du budget et du commerce extérieur) sont relativement bien contrôlés car les pays exportateurs vers les USA ont pour leur survie l’obligation de renvoyer les fonds obtenus vers les Etats-Unis (bons du trésor par exemple). Le troisième, l’endettement privé accompagné de l’existence d’une épargne légèrement négative ne l’est pas. Cela explique l’atonie de la Bourse et en ce sens, la baisse est peut-être prémonitoire. Ainsi, le public a tendance à se surendetter en profitant de la hausse de l’immobilier pour augmenter ses achats spéculatifs immobiliers et investir dans des biens de consommations courantes. Ainsi tant que les prix des logements monteront, ce petit jeu peut continuer. Ainsi au cours du premier trimestre, la hausse des prix a encore été 2 %. Le danger ne paraît donc pas immédiat.

2.Par contre, la nouvelle politique de la FED paraît fondamentalement inquiétante. Inaugurée par Greenspan et accélérée sous son successeur Ben Bernanke, elle consiste à vouloir lutter contre l’inflation par des hausses de taux courts. Certes, il y a une certaine hausse des prix aux USA, 4,7 % en avril par rapport à avril 2005 malgré la pression sur les prix industriels dus au développement des importations en provenance des pays émergeants. Cette hausse est due au pétrole et aux matières premières importées. Mais il n’est pas sûr qu’une politique de restriction de crédit soit assez efficace. En effet, la masse monétaire M3 n’a augmenté que de 4,9% (avril 2006/avril 2005), c’est-à-dire en terme réel de 0,2%, chiffre très inférieur au taux de 3% considéré avec Friedman comme le taux normal de croissance sans heurt d’une économie. Si Greenspan a pu constater un "conendrum" c’est-à-dire l'étonnement que la hausse des taux courts ne provoquait pas de hausse des taux longs, il n’en est plus de même à l’heure actuelle où les taux longs dépassent 5% (contre 3,8% il y a 2 ans).

Cela laisse supposer :

a)qu’il n’y a pas pour le moment de crise économique proche même si le comportement boursier reste inquiétant car il est dû à l’éventualité d’une hausse forte (plus de 7%) des taux longs qui ne devrait pas être crainte à court terme ;

b)que l’on ne voit pas comment on pourra l’éviter à plus long terme en espérant qu’elle reste très modérée, le fameux atterrissage en douceur que l’on espère toujours et que l’on voit rarement.

Jean-Jacques PERQUEL Juin 2006