1. Introduction

Le Parlement n’a pas toujours joué un grand rôle dans l’histoire des pratiques françaises d’évaluation. A cet égard, Bernard Perret, membre du Conseil national de l’évaluation parle «d’un désintérêt patent des parlementaires pour l’évaluation, au moins jusqu’à une date récente». Face à ce constat, faut-il considérer que le Parlement ne saurait être le lieu d’exercice d’une démarche d’évaluation des politiques publiques ? Le Parlement exerce, à côté de sa fonction de législateur, une fonction de contrôle et il lui a semblé nécessaire d’en dériver une fonction d’évaluation qui a longtemps été ignorée du droit positif déterminant les compétences du Parlement.


2. Rénovation du pouvoir d’évaluation des politiques publiques par le Parlement

2.1 L’attention renouvelée du Parlement à l’évaluation a commencé par une succession d’initiatives aux fortunes diverses.

Ø Les instances d’évaluation propres à chaque assemblée
- Au sein de la commission des Finances de l’Assemblée nationale, création en 1998 de la mission d’évaluation et de contrôle (MEC) qui a en particulier pour mission d’inciter les administrations à raisonner en termes d’objectifs-résultats-contrôle.
- Le Sénat, de son côté, crée son propre Comité d’évaluation des politiques publiques le 15 juin 2000.

Ø Les instances d’évaluation communes aux deux assemblées
- L’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) créé par la loi du 8 juillet 1983 a pour mission d’informer le Parlement des conséquences des choix de caractère scientifique et technique afin d’éclairer ses décisions.
- L’Office parlementaire d’évaluation de la législation s’inscrit dans un mouvement de rénovation du travail du Parlement. Il est chargé de rassembler des informations et de procéder à des études pour évaluer l’adéquation de la législation aux situations qu’elle régit.
- L’Office parlementaire d’évaluation des politiques de santé a été créé par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2003, avec pour mission « d’informer le Parlement des conséquences des choix de santé publique » afin de contribuer au suivi des lois de financement de la sécurité sociale.

2.2 Le Parlement devient un des acteurs principaux de l’évaluation des politiques publiques avec l’adoption de la LOLF

Ø La LOLF confère aux parlementaires un pouvoir d’évaluation élargi pour apprécier la performance de la dépense publique.
- Du point de vue de l’évaluation, l’innovation majeure pour le Parlement est le vote des crédits par missions constituées d’un ensemble de programmes, au moins deux, concourant à une politique publique définie.
- Pour participer au débat budgétaire, le Parlement dispose d’une information plus lisible, complète et pertinente.

Ø Les pouvoirs des commissions de finances sont redéfinis

Elles ont la charge de suivre et de contrôler l’exécution des lois de finances et de procéder à l’évaluation de toute question relative aux finances publiques. Pour mener à bien cette mission, les présidents, rapporteurs généraux et spéciaux des commissions disposent du droit de procéder à toute investigation sur pièces et sur place, du droit de procéder à toutes auditions jugées utiles, du droit de demander à la Cour des comptes la réalisation de toute enquête et le droit de formuler des « demandes d’assistance à la Cour des comptes dans le cadre d’une mission de contrôle et d’évaluation ».

3. Insuffisances de la fonction d’évaluation exercée par le Parlement comparée aux exemples étrangers

3.1 L’évaluation des politiques publiques par le Parlement n’occupe encore qu’une place mineure dans notre vie publique comparée aux exemples étrangers.

Ø Peut-on parler d’un retard français ?
La principale conclusion des comparaisons internationales demeure la suivante : les pays où l’évaluation est reconnue et largement utilisée sont ceux dans lesquels la culture politique donne un grand poids aux intérêts des contribuables. Or, tel n’est pas le cas en France. Comme le relève le premier rapport de la Mission d’évaluation et de contrôle, la dépense publique jouit dans notre pays d’une tolérance exceptionnelle. En outre, le Gouvernement demeure le maître d’œuvre du processus budgétaire et pour l’essentiel, l’encadrement mis en place par la Constitution demeure en place, nonobstant un repli de l’article 40.

Ø Exemples étrangers
Deux schémas d’organisation politique favorisent l’institutionnalisation des processus d’évaluation : ceux dans lesquels la séparation des pouvoirs et une certaine égalité entre eux poussent à des compromis - c’est le cas des Etats-Unis - ; ceux dans lesquels la tradition parlementaire est restée vivace en dépit d’un contexte institutionnel ou politique pouvant fonder une forme de suprématie de l’exécutif - c’est le cas du Royaume-Uni - . Ces deux systèmes partagent une même attention à l’existence d’un certain équilibre entre « pouvoirs et contrepouvoirs » (checks and balances).
- Aux Etats-Unis, les succès de l’évaluation tiennent à la position du General Accounting Office (GAO), agence du Congrès qui réalise 95% de ses travaux à la demande de parlementaires. Au Royaume-Uni, le Parlement britannique a créé en son sein un Public Accounts Committee, dont les membres s’occupent non de la préparation du budget mais du contrôle de l’efficacité de la gestion des deniers publics. Il s’appuie de manière privilégiée sur le National Audit Office, créé dans sa forme actuelle en 1983, et qui est habilité à conduire des audits dans l’ensemble des ministères et agences gouvernementales, disposant d’un droit d’accès à tous les documents. Dans la détermination de son programme de travail, cet organisme indépendant est invité à « prendre en compte » les suggestions faites par le Public Accounts Committee.
- De plus, les conditions d’organisation du travail parlementaire et des relations entre le Gouvernement et le Parlement sont souvent plus propices qu’en France à un climat favorable à l’évaluation, où il apparaît normal que l’exécutif rende compte de ses actions. L’existence au Royaume-Uni de « secrétaires parlementaires » au sein des ministères témoigne d’une systématisation des relations entre exécutif et Parlement.

3.2 Le Comité Balladur s’est attaché à définir les moyens qui vont permettre au Parlement de mieux assurer sa mission d’évaluation des politiques publiques.

- L’affirmation des fonctions de contrôle et d’évaluation du Parlement ;
- Un Parlement assisté par la Cour des comptes ;
- La création de Comités d’audit parlementaire ;
- Les questions au Gouvernement.

4. Glossaire

Action : Une action est la composante d’un programme. Elle peut rassembler des crédits visant un public particulier d’usagers ou de bénéficiaires, ou un mode particulier d’intervention de l’administration. Dans un programme, la répartition des crédits entre les actions est indicative Elle fait l’objet d’une restitution précise, en exécution budgétaire.

Evaluation : Politique qui se différencie des différentes formes de contrôle et de l’audit, et qui a pour objet d’apprécier si les moyens mis en œuvre permettent de produire les effets attendus et d’atteindre les objectifs recherchés.

Efficience : L’action de l’Etat est dite efficience lorsque, pour un niveau donné de ressources, la production de l’administration peut être améliorée ou, quand pour un niveau donné de production, les moyens employés peuvent être réduits.

Fongibilité
: Possibilité offerte à chaque gestionnaire d’utiliser librement les crédits pour mettre en œuvre de manière performante le programme.

Fongibilité asymétrique
: Dans le cadre de la LOLF, la fongibilité est asymétrique. Si les crédits de personnel peuvent être utilisés pour des dépenses d’autres natures, l’inverse est interdit. De ce fait, le montant des crédits de personnel voté pour chaque programme est limitatif.

Indicateur de performance
: Indicateur qui sert à mesurer les objectifs des programmes. Par exemple, « le nombre d’emplois créés résultant de la création et de la reprise d’entreprises et bénéficiant de mesures d’emploi » est un des indicateurs associés au programme « Développement de l’emploi ».

Loi organique : Loi qui précise les conditions d’application de la Constitution. Elle a une autorité supérieure aux autres lois, ce qui signifie que le législateur, lorsqu’il vote une loi ordinaire, doit respecter les prescriptions de la Constitution et de la loi organique. Du fait de sa portée, la loi organique doit être adoptée à la majorité absolue de l’Assemblée nationale.

Mission : Ensemble de programmes concourant à une politique publique définie. Seule une disposition de loi de finances d’initiative gouvernementale peut créer une mission. Selon l’article 7 de la LOLF, les crédits ouverts par les lois de finances pour couvrir chacune des charges budgétaires de l’Etat sont regroupés par mission relevant d’un ou plusieurs ministères. La mission constitue également l’unité de vote des crédits.

Objectifs stratégiques : Expression concrète et mesurable des priorités d’un programme. Il existe trois sortes d’objectifs stratégiques : l’objectif d’efficacité socio-économique (apporter le bénéfice attendu de l’action de l’Etat au citoyen), l’objectif de qualité de service (satisfaire au mieux le citoyen) et l’objectif d’efficience (optimiser l’utilisation des moyens employés).

Performance : Capacité à atteindre des objectifs préalablement fixés en termes d’efficacité socio-économique, de qualité de service ou d’efficience de la gestion.

Programme : Subdivision d’une mission regroupant les crédits destinés à mettre en œuvre une action ou un ensemble cohérent d’actions relevant d’un même ministère.
Note : On associe au programme des objectifs précis, définis en fonction du principe de l’intérêt général. Le responsable de programme peut utiliser librement les crédits sans dépasser le montant de l’enveloppe attribuée, tout en respectant le principe de la fongibilité asymétrique. Un programme se substitue aux chapitres budgétaires, comme cadre d’autorisation parlementaire.


5. Bibliographie

- Bernard Perret, L’évaluation des politiques publiques, Repères.
- La LOLF et les nouveaux acteurs des contrôles, Notes bleues de Bercy n°314 de septembre 2006.
- LOLF : le bilan, Regards sur l’actualité n° 335 de novembre 2007, La documentation française.
- Didier Migaud, Michel Bouvier, Pierre Sudreau, Alain Lambert, Nouvelle gouvernance financière publique : Grands enjeux de demain, Revue Française de Finances Publiques, n° 100 de novembre 2007.
- Joël Bourdin, Pierre André et Jean-Pierre Plancade, Rapport n° 393 du Sénat sur l’évaluation des politiques publiques en France.
- Sites : www.senat.fr ; www.assemblee-nationale.fr ; www.minefi.gouv.fr ;
www. ladocumentationfrancaise.fr.

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