Remarques liminaires

Concernant le concept « Digital Central Bank Currency »/DCBC) », nous avons observé que dans certains rapports et publications, celui-ci était traduit par « monnaie digitale de banque centrale ». Cette traduction est incorrecte. Le Petit Robert rappelle que la recommandation officielle est « numérique » et le Larousse précise que « digital » est déconseillé et vieilli.

L’adjectif digital en français signifie « qui appartient aux doigts, se rapporte aux doigts ». Il est issu du latin digitalis « grosseur d’un doigt », lui-même dérivé de digitus, « doigt ». De ce concept latin, a été tiré « digit » en anglais ayant deux sens : le premier est « chiffre », le second « doigt » et digital, qui signifie « numérique ». En restant dans la même famille de « digital » , il faut remplacer « digitaliser » et « digitalisation » par « numériser » « et numérisation ».

1. Le concept de monnaie numérique de banque centrale

A. La notion de monnaie numérique

Kath Lockett, journaliste à l’Organisation internationale de normalisation (ISO) définit la monnaie numérique comme « un type de monnaie - ou devise – disponible sous forme électronique, contrairement aux objets physiques tels que les pièces ou les billets ».

Contrairement à la monnaie dite « réelle », la monnaie numérique ou cryptomonnaie comme le bitcoin ou la libra par exemple, ne dépend d’aucune banque centrale ou institution financière. Non régulée par une autorité centrale mais gérée par un algorithme complexe, sa valeur évolue en fonction de l’offre et de la demande via des sites internet qui font office de bureaux de change. Le protocole d’échange totalement anonyme est basé sur le réseau « peer to peer » (« pair à pair »). Une transaction bitcoin est basée sur la technique du minage et sur la technologie blockchain. Une fois créés, les bitcoins sont stockés sur le disque dur de l’ordinateur de leur propriétaire dans un porte-monnaie virtuel et peuvent être échangés avec un tiers. Les transactions sont anonymes car les échanges se déroulent sans passer par les banques, les comptes ne sont pas enregistrés et les bitcoins sont transférés directement d’un ordinateur à un autre. Les transactions sont plus rapides et moins onéreuses qu’avec les moyens de paiement traditionnels mais le système bitcoin ne garantit pas la sécurité en cas de perte, de vol ou de fraude. Il s'agit d'un système décentralisé dans lequel les échanges se font directement d’ordinateur à ordinateur sans passer par les banques.

Les monnaies numériques ne remplissent pas les trois fonctions de la monnaie: intermédiaire des échanges, unité de compte et réserve de valeur. Ces trois fonctions nécessitent que la valeur d'une monnaie soit reconnue et maintenue, afin d'inspirer la confiance à ses utilisateurs. Or, la volatilité exacerbée du bitcoin l'empêche de remplir les trois fonctions traditionnelles de la monnaie: il ne peut servir d'étalon-prix (unité de compte), et encore moins de réserve de valeur (Roubini, 2018).

Par ailleurs, les cryptomonnaies n'ont pas vocation à remplacer la monnaie Fiat (voir glossaire). Comme le souligne N. Roubini (2018), « les cybermonnaies n'ont pas de valeur intrinsèque, alors que la monnaie Fiat en a certainement dans la mesure où elle peut être utilisée pour payer des impôts. La monnaie Fiat a cours légal et peut être utilisée et est utilisée pour acheter n'importe quel bien ou service ; elle peut également servir à payer les dettes fiscales. Elle est également protégée contre la dépréciation de valeur par les banques centrales ».

Au total, la cryptomonnaie n’est pas une monnaie et elle ne peut être considérée comme un moyen de paiement au sens juridique du terme. Lors d’une interview en février 2021, la présidente de la BCE déclarait : « Les crypto-actifs ne sont pas des monnaies. Un jour vous achetez un bitcoin et vous le payez 3 500 €, vous le rachetez 6 mois plus tard, vous le payez 38 000 €. Donc de ce point de vue-là, c’est un actif hautement spéculatif sur lequel s’enrichissent ou s’appauvrissent les uns et les autres. Mais pour moi ce n’est pas une monnaie du tout … du tout, du tout ! ». En résumé, il s’agit d’une monnaie non régulée et numérique, qui est émise et habituellement contrôlée par ses développeurs, et qui n’est acceptée que par les membres d’une communauté virtuelle bien spécifique. Il s’agit d’un actif spéculatif à haut risque, sans valeur intrinsèque car il n'est adossé à aucun actif sous-jacent.

Face à tous ces dangers, pouvions-nous continuer à accepter l’essor des crypto-actifs ? Qu’ont fait les autorités monétaires pour lutter contre ces instruments spéculatifs, porteurs de pratiques frauduleuses et dont le cours ne cesse d’augmenter ?

 

Encadré
La monnaie de banque centrale, qui englobe les pièces et billets de banque ainsi que les dépôts des banques auprès de la banque centrale, est la seule à avoir cours légal.
La monnaie des banques commerciales est la monnaie dématérialisée, qui existe sous forme d’écritures, adossée sur l’ensemble des comptes de dépôt.
Les crypto-actifs, improprement appelés « monnaies virtuelles » ou « crypto-monnaies », sont définis par le code monétaire et financier comme « tout instrument contenant sous forme numérique des unités de valeur non monétaire pouvant être conservées ou être transférées dans le but d'acquérir un bien ou un service, mais ne représentant pas de créance sur l’émetteur ». Au plan juridique, les crypto-actifs ne sont pas reconnus comme monnaie ayant cours légal, ni comme moyen de paiement.

 

B. Les craintes soulevées par les projets de crypto-actifs privés

Déjà en 2012, le FBI et la BCE considéraient les crypto-actifs comme douteux et s’inquiétaient de leur implication dans le blanchiment d’argent ou encore le piratage. Dans un rapport d’octobre 2012, la BCE exposait le fonctionnement d’un crypto-actif et soulignait le risque de cybercriminalité. Par ailleurs, elle insistait sur le risque d’instabilité que pouvait créer le système « bitcoin » en raison de l’absence de contrôle. En Thaïlande, les crypto-actifs étaient carrément interdits en égard aux vives réserves des représentants de la banque centrale.

Plus récemment, le rapport, remis aux Ministres des Finances du G7 le 17 octobre 2019, soulignait les inquiétudes soulevées par les différents projets de cryptomonnaies. La conclusion était sans appel  : « Aucun projet ne devrait commencer à fonctionner tant que les défis et les risques juridiques, réglementaires et de surveillance n’auront pas été traités de manière adéquate ». En septembre 2019, Bruno Le Maire avait anticipé ces craintes lors de l’ouverture d’une conférence de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) sur la blockchain en déclarant que « la souveraineté monétaire des États était en jeu ».

L’UE a partagé pleinement les craintes exprimées par le G7 sur les risques posés par les cryptomonnaies (blanchiment d’argent, protection des consommateurs, piratage, instabilité financière, etc.).

Face à ces inquiétudes, le rapport Cœuré invitait les banques centrales, individuellement et collectivement, à évaluer la pertinence et l’opportunité de l’émission de monnaies numériques de banque centrale au regard des coûts et des avantages dans leur juridiction respective. De son côté, la Banque centrale européenne (BCE) avait publié en octobre 2020 un rapport intitulé « Report on a digital euro ». Dans ce rapport, les auteurs rappelaient que la numérisation gagnait tous les secteurs de la vie économique y compris celui du paiement. Toujours d’après ces auteurs, à l’ère du numérique « un euro numérique garantirait que les habitants de la zone euro pourraient bénéficier d’un moyen de paiement gratuit, simple, universellement accepté, sans risque et en inspirant confiance. Un euro numérique serait l’équivalent des billets en euros, mais sous forme dématérialisée. Cette forme de monnaie électronique serait émise par l’Eurosystème (voir glossaire) et accessible à tous, ménages comme entreprises. Un euro numérique existerait parallèlement aux espèces, sans les remplacer ». L’idée d’un euro numérique a été lancée.

Madame Christine Lagarde, présidente de la BCE, a proclamé : « l’euro appartient aux Européens, et notre mission est d’en être le gardien. Les Européens se tournent de plus en plus vers le numérique dans leurs modes de consommation, d’épargne et d’investissement. Notre rôle consiste à préserver la confiance dans la monnaie. Cela suppose de veiller à ce que l’euro soit adapté à l’ère numérique. Nous devons nous tenir prêts à émettre un euro numérique si cela s’avère nécessaire ».

Cryptomonnaie - Monnaie numérique de banque centrale

Source : Rapport trimestriel BRI, septembre 2017

C. Qu’est-ce que la monnaie numérique de banque centrale ?

La BCE définit l’euro numérique comme « une forme électronique de monnaie de banque centrale qui, à l’instar des billets de banque, permettrait à tous d’effectuer leurs paiements quotidiens rapidement, facilement et en toute sécurité ». De son côté, un groupe de sept banques centrales, représentant le Canada, le Japon, la Suède, la Suisse, l’Angleterre, les États-Unis et la zone euro, dans un rapport intitulé « Central bank digital currencies : foundational principles and core features » publié le 9 octobre 2020, propose la définition suivante : « une monnaie numérique de banque centrale est un instrument de paiement numérique, libellé dans l’unité de compte nationale et représentant directement un passif dû par la banque centrale ». Enfin, selon une étude menée par un groupe de travail au sein de la Banque de France sous la direction de Christian Pfister publiée en janvier 2020 (qui « exprime le point de vue de l’auteur et non celui de la Banque de France ou de l’Eurosystème ») une monnaie numérique de banque centrale serait « un actif numérique émis et détruit par la seule banque centrale, s’échangeant au pair avec les billets et les réserves, disponible en permanence et dans des transactions de pair-à-pair et circulant sur des supports numériques au moins en partie différents de ceux utilisés de nos jours ».

Il s’agit en l’espèce d’une troisième forme de monnaie qui viendrait compléter l’offre existante. Elle devrait revêtir deux formes : une monnaie centrale dite de « gros », utilisée exclusivement pour dénouer les transactions financières entre la banque centrale et les banques commerciales ou d’autres institutions financières et une monnaie centrale dite de « détail » qui ne remplacerait pas les pièces et les billets mais qui offrirait au grand public une alternative, une monnaie numérique publique, émise et garantie par l’État.

La monnaie numérique de banque centrale (MNBC) occupe aujourd’hui une place importante dans les travaux des banques centrales. Selon une récente étude de la Banque des règlements internationaux (BRI) , 86% des banques centrales à travers le monde seraient engagées dans les projets de monnaie numérique de banque centrale non seulement pour accompagner l’innovation mais également pour préserver la souveraineté nationale. C’est beaucoup plus qu’en 2019, année durant laquelle seulement 35% des banques centrales s’intéressaient aux monnaies numériques de banque centrale. Parmi les 86%, 60% mènent des expérimentations et 14% sont entrées dans des phases de développement. Ainsi, la Banque de France a lancé début 2020 un programme d’expérimentations de monnaie digitale de banque centrale ayant pour objectif d’examiner avec des partenaires les apports potentiels des nouvelles technologies afin d’améliorer les règlements interbancaires (monnaie centrale dite de « gros »).

Pour leurs travaux relatifs aux monnaies numériques, les banques centrales collaborent avec les banques commerciales. En France, c’est notamment le cas de la Société Générale dont la filiale Forge, dédiée à la technologie blockchain, effectue des tests de transactions dont le règlement est effectué grâce à une monnaie numérique émise par la Banque de France.

2. Les enjeux liés à la monnaie numérique de banque centrale

Dans un article intitulé « Les nouvelles monnaies numériques : au-delà de la dématérialisation de la monnaie et de la contestation des banques », Alain Laurent et Virginie Monvoisin relatent que « les promoteurs des monnaies virtuelles croient à l’évènement d’un monde dans lequel la circulation monétaire s’affranchirait de la mainmise de l’État ». Nous retrouvons là les théories de l’école autrichienne d’économie conduites par Eugen von Böhm-Bawerk, Ludwig von Mises et Friedrich A. Hayek. Ce dernier écrit : « Je ne crois pas au retour d’une monnaie saine tant que nous n’aurons pas retiré la monnaie des mains de l’État ; nous ne pouvons pas le faire violemment ; tout ce que nous pouvons faire, c’est, par quelque moyen indirect et rusé, introduire quelque chose qu’il ne peut pas stopper ».

Afin de réagir aux menaces de la montée en puissance des monnaies numériques privées, les banques centrales accroissent leurs efforts pour créer une monnaie numérique dans sa version la plus centralisée et la plus souveraine. Quels en sont les enjeux ?

A. Les principaux enjeux

Les principaux enjeux sont les suivants : accès, confiance, efficacité et souveraineté monétaire.

  • L’accès universel aux moyens de paiement : la numérisation croissante risque de laisser à la traîne certaines parties de la société, eu égard aux obstacles potentiels liés à la confiance, à la culture numérique, à l’accès aux technologies de l’information et de la communication (TIC) ainsi qu’à la confidentialité des données. Or, une des missions des autorités monétaires consiste à assurer l’accès universel à l’argent public. En d’autres termes, le devoir d’une banque centrale est d’assurer l’accès libre à des moyens de paiement simples, sans risques, utilisables en toutes circonstances (résilience) et inspirant confiance. L’opposé du bitcoin et autres crypto-actifs privés qui ne garantissent pas des paiements plus abordables, plus efficaces et plus inclusifs.
  • La confiance et la sûreté : comme l’a souligné le Gouverneur de la Banque de France, Monsieur Villeroy de Galhau, lors d’un discours en décembre 2019, l’émission d’une monnaie numérique de banque centrale devrait permettre de « préserver la confiance dans le système financier qui résulte en partie de la possibilité d’échanger ses avoirs contre de la monnaie légale ». La monnaie doit être une réserve de valeur sûre que les consommateurs peuvent utiliser en toute confiance lorsqu’ils effectuent des paiements. Les économistes Michel Aglietta et André Orléan évoquent trois types de confiance afin que les échanges en monnaie aient lieu : la « confiance méthodique » liée à la routine quotidienne des affaires, la « confiance hiérarchique » faisant apparaître le système de paiements comme une structure hiérarchisée dans laquelle la banque centrale joue un rôle pivot et la « confiance éthique » permettant à la monnaie d’être reconnue comme un bien public au service de tous les citoyens. « Il ne peut y avoir de monnaie sans confiance » (Aglietta).
  • L’efficacité, la réduction des coûts d’intermédiation et la robustesse potentiellement générés par la « tokenisation » de la monnaie centrale notamment dans les activités de règlement et de post-marché.
  • La souveraineté monétaire : pour le Gouverneur de la Banque de France, la mise en place d’une monnaie numérique « nous permettrait de disposer d’un puissant levier d’affirmation de notre souveraineté face aux initiatives privées du type Libra ».

B. Les principes communs

Les sept principales banques centrales des pays développés évoqués précédemment se sont fixées des règles de base communes qui s’articulent autour de trois principes :

  • Maintien de la stabilité monétaire et financière : Une monnaie numérique de banque centrale doit continuer à soutenir la réalisation des objectifs de politique publique et ne pas interférer ou entraver la capacité d’une banque centrale à remplir son mandat de stabilité monétaire et financière.
  • Complément d’autres formes de monnaie, en particulier les espèces qui continueront d’exister aussi longtemps qu’il y aura une demande. A cet égard, bien qu’il y ait de nombreuses initiatives sur l’émission d’une monnaie numérique de banque centrale, la croissance de la demande en billets reste forte. D’après les chiffres de la BCE, la valeur des billets en euros en circulation a bondi de 11% en 2020. L’utilisation d’argent liquide est au plus fort depuis 10 ans. Pour Erick Lacourrège, directeur général chargé des services à l’économie et du réseau, et de la fabrication des billets à la Banque de France, « en zone euro, nous observons un paradoxe : les paiements électroniques sont à la mode et en plein essor, et dans le même temps, la demande de billets en euros a crû systématiquement de 7% par an en moyenne, même de 10% certaines années ».
  • Promotion de l’innovation et de l’efficience du système : En l’absence d’une innovation et d’une concurrence permanente pour stimuler l’’efficacité d’un système de paiement, les utilisateurs peuvent recourir à d’autres instruments ou monnaies moins sûrs. En fin de compte, cela pourrait nuire à l’économie et aux consommateurs, et surtout à la stabilité monétaire et financière. Les autorités publiques (banque centrale notamment) et les agents privés (banques commerciales et services de paiement) qui sont les composantes de l’écosystème de paiement ont un rôle à jouer afin de créer un système sûr, efficace et accessible.

3. Les risques

A. Les risques techniques

Lionel Potier, économiste au Groupe Crédit agricole, dans un article intitulé « Les monnaies digitales de banque centrale : opportunité ou menace pour les banques » s’interroge sur « la supériorité technologie de la blockchain pour dénouer les transactions interbancaires, surtout s’il s’agit de gérer un nombre important de transactions et d’utilisateurs ». Selon cet économiste, « des systèmes de registres décentralisés, similaires à ceux qui existent aujourd’hui, mais mieux reliés entre eux, pourraient se révéler plus rapides, plus résilients et surtout moins coûteux à développer ». Dans l’étude « La monnaie digitale de banque centrale » menée sous la direction de Christian Pfister et évoquée précédemment, les auteurs se posent la question de savoir si « pour un usage de détail, l’utilisation de la blockchain ne pourrait pas se heurter à la capacité technique voire à l’intérêt des utilisateurs à être parties prenantes, en tant que nœuds, au fonctionnement du système […] « L’utilisation d’une monnaie digitale de banque centrale de détail aurait à satisfaire les exigences de respect de la vie privée et de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme (LCB/FT) ».

Comme nous l’avons rappelé dans un article intitulé « La blockchain : opportunités et défis » publié sur le site de l’ANDESE (N. Antonin, octobre 2017)), « la garantie de confiance est un élément essentiel de la technologie blockchain ». Cela étant, nous avons évoqué dans cet article les nombreuses attaques dont sont victimes les environnements blockchain et les fraudes qui s’élèvent à plusieurs dizaines de millions de dollars ou d’euros. Par ailleurs, nous avons rappelé que « l’adoption à grande échelle de cette technologie se heurte à des problèmes de sécurité, de règlementation, de gouvernance, de régulation, de confidentialité et d’anonymat des échanges, de mode de preuve, de questionnement sur la valeur juridique des contrats intelligents (‘smart contracts ») qui sont des logiciels et non des contrats ». Enfin, outre les questions de montée en charge, de sécurité, de régime fiscal, ou de cadre juridique, les blockchains posent aussi celle de leurs impacts énergétiques et environnementaux. La consommation électrique associée au fonctionnement de cette technologie est considérable. Plusieurs camps s’affrontent pour évaluer quantitativement cette consommation électrique. Même les plus optimistes estiment que la dépense électrique oscille entre 5 et 10 % de la consommation française d’électricité. D’autres estimations montrent que la consommation de ce réseau informatique devrait atteindre dans les prochains mois de l’ordre de 70 à 100 térawatt heures par an, soit la consommation d’un pays de la taille de la Belgique. La dépense énergétique étant corrélée à l'intéressement des mineurs, sa croissance est quasi-exponentielle. L'impact en termes d'émissions de gaz à effet de serre est également important. Pour clore sur les défis de la blockchain, nous proposons de nous référer à l'analyse critique de Roubini. Ce dernier qualifie la blockchain de "grande escroquerie" et pense qu'il s'agit en réalité "de la technologie la plus surfaite - et la moins utile - de toute l'histoire humaine". Il rajoute : " En pratique, la blockchain ne constitue rien de plus qu'une feuille de calcul ou une base de données que l'on aurait glorifiée".

B. Les risques opérationnels

Comme le souligne François Letondu, économiste à la Société Générale, les risques opérationnels résultant du lancement d’une monnaie numérique de banque centrale « constituent un obstacle majeur à un tel projet notamment pour les monnaies numériques de banque centrale de détail. Ces risques concernant la cybersécurité, l’intégrité de la monnaie, le blanchiment d’argent ou encore le financement du terrorisme ».

En outre, d’aucuns avancent l’idée selon laquelle la mise en place d’une monnaie numérique de banque centrale serait une entrave à la rentabilité, à la solvabilité et à la liquidité des banques. Les arguments avancés sont les suivants :

  • Concernant la rentabilité, certains comme Lionel Potier voient dans la monnaie numérique de banque centrale de détail une  « concurrence dans la fourniture de services de paiement et une captation des dépôts par la banque centrale ».
  • S’agissant de la solvabilité et de la liquidité des banques, les banquiers redoutent que dans l’hypothèse d’une crise de confiance dans les banques, des transferts massifs se réalisent des comptes bancaires vers la monnaie numérique de banque centrale. « Cette version numérique des ruées sur les dépôts (« bank runs ») pourrait alors accélérer les crises bancaires et mettre en péril la stabilité financière » (Lionel Potier). Effectivement, les ruées sur les dépôts pourraient se produire plus vite si le public avait la possibilité de convertir facilement ses dépôts en engagements sans risque auprès de la banque centrale. Selon Morten Bech et Rodney Garrat (BIS Quarterly Review, 17 septembre 2017), des risques pourraient également peser sur les modèles d’entreprise (« business models ») des banques traditionnelles. Ces dernières pourraient passer à un modèle désintermédié, et en conséquence moins à même de remplir leurs fonctions économiques essentielles qui relèvent de leur rôle d’intermédiaire financier comme le suivi des risques par exemple, au cas où les consommateurs renonceraient aux dépôts bancaires au profit de la monnaie numérique de banque centrale de détail.

4. Glossaire

Banque centrale européenne : Institution communautaire qui remplit toutes les missions dévolues à une banque centrale et notamment la conduite de la politique monétaire unique des pays de la zone euro.
Note : Elle a été fondée en 1998 par le Traité sur l’Union européenne dit Traité de Maastricht

Banque centrale nationale : Institution chargée de superviser la création de monnaie par le système bancaire, la politique monétaire ainsi que le bon fonctionnement des banques au niveau de leur solvabilité et du respect des réglementations.

Blanchiment d’argent : Processus qui consiste à injecter de l'argent d'origine criminelle dans les circuits réels ou fictifs d'une activité en apparence respectable afin d'en dissimuler l'origine.

Blockchain : "Technologie de stockage numérique décentralisée, sécurisée et induisant un coût de transmission minime. Il s’agit d’une base de données ou registre regroupant la liste de tous les échanges effectués entre les utilisateurs de la Blockchain depuis sa création". (Alain Bensoussan).

Eurosystème : Système de banque centrale de la zone euro composé de la Banque centrale européenne et des banques centrales nationales des États membres de l’Union européenne ayant adopté l’Euro. Il est dirigé par le Conseil des gouverneurs et le Directoire de la Banque centrale européenne (BCE).

Financement du terrorisme : Dans le cadre de la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme, fait de fournir ou de réunir des fonds dans l’intention de les voir utilisés ou en sachant qu’ils seront utilisés pour commettre un acte terroriste.

Libra : Crypto-actif qui s’appuie sur la technologie blockchain dans une version développée spécialement par Facebook.

Minage : Procédé consistant à créer et à assurer la circulation de la cryptomonnaie à l'aide d'algorithmes de chiffrement.

Mineur : Personne qui crée la cryptomonnaie à l'aide d'algorithmes de chiffrement.
Note : Le mineur est rémunéré en cryptomonnaie en contrepartie du service rendu.

Monnaie Fiat : Monnaie fiduciaire entièrement contrôlée par les États mais qui n'est pas adossée à un actif physique.

Monnaie légale : Monnaie qui, dans un pays donné, est la seule à disposer du cours légal, ce qui oblige tout créancier à l’accepter en paiement en raison de son pouvoir libératoire illimité.

Nœud de stockage : Ordinateur relié à un réseau et utilisant un programme relayant les transactions.

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