La montée en puissance de la finance dans un contexte de globalisation a créé une situation entièrement nouvelle : la financiarisation de l’économie. Sans faire fi des apports essentiels de la finance, il faut s’interroger sur ses excès et ses dysfonctionnements à la lumière des crises bancaires et financières qui ont durablement atteint le monde économique et financier. Nous observons en effet que les turbulences financières que traversent les économies depuis des décennies remettent en cause l’analyse des relations entre la sphère financière et l’économie « réelle ». En d’autres termes, les transformations qu’a connues le capitalisme au cours du dernier quart du XXème siècle consistant notamment à un désintérêt de l’investissement productif au profit des placements financiers ont abouti à accréditer la thèse selon laquelle la sphère financière serait devenue entièrement autonome de la sphère productive.

Dans un article « La titrisation : dispositif emblématique de la financiarisation irresponsable et facteur de risques sociétaux inédits », les professeurs Eric Fimbel et Catherine Karyotis déclarent que la titrisation est « l’instrument le plus emblématique de la financiarisation ».

La financiarisation de l’économie a entraîné des transformations de la sphère financière. Du modèle « d’octroi et détention du crédit » (originate-to-hold ou OTH) qui consiste à conserver au bilan les prêts consentis, les établissements bancaires sont passés à un modèle « d’octroi puis cession de crédit » (originate-to-distribute) qui consiste à octroyer le crédit et à le céder par une opération de titrisation qui va permettre le transfert des risques associés au crédit en question vers le marché.

Le 9 octobre 2024, la Commission européenne a lancé une consultation publique afin d’évaluer l’efficacité du cadre européen de la titrisation. Celle-ci s’adresse aux acteurs du marché ayant une expertise sur le marché européen de la titrisation. Leur réponse est attendue pour le 4 décembre.

Cette consultation pour un retour de la titrisation a été recommandée dans 1) le rapport de Christian Noyer (avril 2024) intitulé « Développer les marchés de capitaux européens pour financer l’avenir », qui recommande entre autres de « relancer le marché de la titrisation, pour adosser la capacité de prêts des banques européennes à des marchés de capitaux profonds » ; 2) le rapport d’Enrico Letta « Much more than a market » (avril 2024), qui plaide pour des « réformes du cadre européen de la titrisation afin d’en améliorer l’accessibilité et l’efficacité » et 3) le rapport de Mario Draghi «The future of European competitiveness » (septembre 2024) qui, « pour accroître la capacité de financement du secteur bancaire, préconise la relance de la titrisation au sein de l’Union européenne (UE) et l’achèvement de l’Union bancaire ». Le rapport Draghi justifie la nécessité d’un retour de la titrisation dans les termes suivants : « Les banques de l’UE ne peuvent pas compter sur la titrisation dans la même mesure que leurs homologues américains. L’émission annuelle de titrisations dans l’UE ne représentait que 0,3 % du PIB en 2022, alors que ce chiffre était de 4 % aux États-Unis. Les titrisations assouplissent les bilans des banques en leur permettant de transférer certains risques aux investisseurs, de libérer des capitaux et de débloquer des prêts supplémentaires. Dans le contexte de l'UE, elle pourrait également servir de substitut au manque d'intégration des marchés de capitaux en permettant aux banques de regrouper des prêts provenant de différents pays ».

1. Quelles sont les caractéristiques de la titrisation ? Quels en sont les enjeux ?

1.1. Définition et caractéristiques de la titrisation

Traditionnellement, la titrisation (securitization en anglais) consiste à transformer des créances en titres négociables sur le marché financier. La Banque de France en donne la définition et la description suivantes : « La titrisation est une technique financière qui consiste à obtenir un financement en cédant des actifs à une entité ad hoc. Celle-ci finance l’acquisition des actifs par l’émission de titres sur les marchés de capitaux. Le paiement des sommes (principal et intérêts) dues sur ces titres est assuré au moyen des flux de trésorerie générés par les actifs cédés ». En résumé, la titrisation vise à transformer les créances peu liquides - c’est-à-dire qui ne peuvent être vendues facilement - en titres financiers, dans le but de les revendre plus aisément à des investisseurs.

Cette technique financière est apparue aux États-Unis dès les années 70 lorsque les agences spécialisées ont regroupé les hypothèques immobilières. Elle a été introduite en France par la loi n° 88-1201 du 23 décembre 1988, complétée par le décret n°89-158 du 9 mars 1989. La volonté du législateur était notamment de fournir une solution au problème du manque de fonds propres des banques et sociétés financières et de réduire leur coût de refinancement.

Réservé tout d’abord aux établissements financiers, l’emploi de cet outil de financement alternatif a été étendu aux entreprises industrielles et commerciales en 1998 pour leur permettre notamment la titrisation de leurs créances. Depuis quelques années, ce mécanisme financier a beaucoup fait parler de lui. Peu transparente, englobant des concepts qui ne sont pas toujours très clairs et bien maîtrisés, non dépourvue de risques, nous rappellerons dans la seconde partie, que la titrisation a été remise en cause lors de la crise de 2008.

La titrisation classique comporte deux principaux sous-groupes de produits :

1) les titres adossés à des créances titrisées (Asset-Backed Securities ou ABS) qui sont des titres à long terme émis par une entité ad hoc pour refinancer des créances de différentes natures et dont la sûreté est composée soit de prêts hypothécaires (créances hypothécaires titrisées (Mortgage-Backed Securities ou MBS), soit d’un ensemble d’autres types d’actifs financiers (titres non hypothécaires).
2) Les titres de créance garantis ( (Collateralised Debt Obligations ou CDO) qui sont des titres de créance émis par un véhicule de titrisation et garantis par un portefeuille de créances et/ou de prêts diversifiés. Le concept « CDO » regroupe les titres de créance garantis par des obligations (Collateralised Bond Obligations ou CBO), les titres de créance garantis par des prêts (Collateralised Loan Obligations ou CLO) et les titres de créance garantis par des fonds (Collateralized Fund Obligations ou CFO).

A la titrisation classique, appelée également titrisation cash, on oppose la titrisation synthétique qui permet, par la combinaison d’une titrisation classique et de dérivé de crédit – échange sur défaillance (Credit Default Swap ou CDS), échange sur rendement total (Total Return Swap ou TRS), etc. -, de transférer des risques de crédit sans cession d’actif. Dans ce cas, les actifs restent dans le bilan de la banque opératrice ; seul le risque est transféré, via l’utilisation des dérivés de crédit.

La titrisation fait intervenir plusieurs acteurs, parmi lesquels :

1) Le cédant, c’est à-dire l’organisme, le plus souvent un établissement financier, qui possède les actifs et qui va les transférer à l’entité ad hoc chargée de la titrisation.
2) Le véhicule ad hoc ou Special purpose Vehicle (SPV) en anglais, qui prend la forme d’un Fonds commun de titrisation, qui transforme les créances en titres et qui, après évaluation par une agence de notation, les placent auprès d’investisseurs. De fait, il sert d’intermédiaire entre le cédant et les investisseurs. En France, cette structure correspond au Fonds commun de créances.
3) Les investisseurs qui acquièrent les titres.
4) L’agence de notation qui est mobilisée pour estimer le risque.

Enfin, la titrisation se déroule généralement comme suit :

1) Le cédant qui détient les créances les regroupe dans un portefeuille, évalue le risque de crédit associé au portefeuille, le supprime de son bilan et le vend au véhicule ad hoc. Dans ce cas, la banque continue à gérer les crédits, mais n’en supporte plus les risques.
2) Le véhicule ad hoc transforme les créances en titres et les vend à des investisseurs financiers institutionnels (fonds de pension, compagnies d’assurance, fonds spéculatifs (hedge funds), etc.
3) Les investisseurs acquièrent les titres créées en échange d’un taux de rendement spécifique.

Aux États-Unis et en Europe, les créances les plus couramment titrisées sont les hypothèques, les prêts automobiles, les créances sur cartes de crédit, les prêts étudiants.

1.2. Les enjeux de la titrisation

Pour la Fédération bancaire française (FBF), afin de financer les besoins futurs des ménages et des entreprises avec des outils performants, il faut entre autres « libérer du capital pour le financement de l’économie en permettant le développement d’un marché efficient et sûr de la titrisation en Europe » (« Pour une Europe souveraine et durablement en croissance : propositions des banques françaises pour 2024-2029 », mars 2024). Pour cet organisme professionnel qui représente toutes les banques installées en France, « la titrisation est un outil essentiel ».

Les avantages qui sont mis en avant pour relancer la titrisation sont les suivants :

Un outil de gestion de bilan pour les institutions financières : en sortant les créances de leurs bilans pour les remplacer par des liquidités immédiatement disponibles, les établissements de crédit peuvent améliorer leur ratio de solvabilité et de liquidité. Ils optimisent ainsi l’allocation de leurs fonds propres et augmentent, de facto, leur capacité à financer l’économie. Avec cette technique financière, les banques peuvent alléger leurs bilans du poids des encours de crédit et libérer du capital réglementaire utilisé, pour garantir de nouveaux crédits (Commission européenne, 2015). D’aucuns parlent de restructuration du bas de bilan. Pour les entreprises, la technique financière de la titrisation favorise une diversification des sources de financement. Pour autant, Eric Fimbel et Catherine Karyotis rappellent que « sous l’impulsion des innovations et pratiques américaines, l’Europe – n’autorisant au départ que la titrisation des créances saines – a étendu la titrisation aux créances douteuses ».

Un moyen de réduction des coûts : selon Kolsi (2006), « la titrisation des créances représente un moyen attractif de financement externe souvent préféré aux autres moyens tels que les émissions de nouvelles actions et l’emprunt obligataire grâce aux bénéfices qu’elle offre aussi bien pour le cédant que pour les investisseurs (risque minimum et rendement meilleur) ». A cet égard, plusieurs auteurs comme Hess et Smith (1988), Zweig (1988), Pavel et Phillis (1987), suggèrent que la titrisation permet aussi de réduire le coût de financement en isolant le risque inhérent aux actifs transférés du risque global du cédant.

Un outil de transfert des risques : grâce à la titrisation, les établissements financiers peuvent transférer les risques de crédit, de taux d’intérêt ou de marché au véhicule ad hoc.

La titrisation permet aux banques de libérer du capital réglementaire utilisé pour garantir de nouveaux crédits (Commission européenne, 2015).

2. Un retour sur la crise financière de 2008

2.1. La hantise de la crise de 2008

« La crise financière était une crise de la titrisation »
Richard Fisher, président de la Réserve fédérale de Dallas (2008)

La crise de 2008 a marqué les esprits. Des voix s’élèvent contre l’initiative de la Commission européenne qui a lancé le 9 octobre 2024 une consultation visant à relancer la titrisation. « La titrisation a été particulièrement pointée du doigt lors de la crise de 2008 », écrivait la Banque de France en septembre 2020.

La crise financière de 2008 est née de la crise des subprimes aux États-Unis. Les subprimes sont des prêts hypothécaires de qualité inférieure accordés à des personnes qui, eu égard au faible montant de leurs revenus, ne répondent pas aux critères de solvabilité exigés par les banques. Ces crédits, qui figuraient dans le bilan des banques américaines, avaient une forte probabilité de ne pas être remboursés. Les banques ont pu alors s’en débarrasser via des opérations de titrisation. Eu égard aux reventes successives, les encours de ces crédits risqués se sont trouvés dispersés dans le système financier mondial au point que l’on ne savait plus qui les portaient, si ceux qui les portaient étaient suffisamment solides financièrement et s’ils faisaient l’objet d’un encadrement suffisant.

Pour l’ONG bruxelloise Finance Watch, « la titrisation n'est pas un instrument de financement de l'économie réelle, mais un mécanisme permettant aux banques de refinancer des prêts déjà inscrits à leur bilan, de réduire les exigences réglementaires en matière de fonds propres, de transférer le risque de crédit à des entités non bancaires et/ou de générer des garanties pour obtenir des liquidités auprès de la banque centrale ».

Dans leur article cité précédemment, Eric Fimbel et Catherine Karyotis parlent de la titrisation comme «l’ ingrédient actif d’un cocktail de hauts risques ». Par ailleurs, ils relatent les positions de trois économistes sur la titrisation. Ils révèlent que pour Ulrich Beck, la financiarisation du monde dans lequel la titrisation s’est installée et développée illustre la réalité de la « société du risque ». Par ailleurs, à partir des travaux de Bruno Latour qui présente la technique comme « un pliage de temps, d’espace et d’actants, E. Fimbel et C. Karyotis consignent que la titrisation et ses effets ne sont pas prédictibles. Enfin, ils soulignent que pour Joseph Stiglitz la titrisation peut être analysée comme ayant des « attributs d’un levier idéologique et non seulement socioprofessionnel ». Joseph Stiglitz écrit (2010) : « On a beaucoup écrit sur les risques démentiels qu’a pris le secteur financier, sur les ravages que les institutions financières ont infligés à l’économie et sur les déficits budgétaires qui en ont résulté : on a trop peu écrit sur le « déficit moral » implicite, qui est apparu au grand jour – un déficit encore plus grand que l’autre, et plus difficile à corriger. Si l’inlassable quête des profits et l’exaltation de l’intérêt personnel n’ont pas créé la prospérité espérée, elles ont contribué à créer le déficit moral ».

La crise des subprimes de 2008 a montré les limites de la titrisation et des techniques de transfert de risque. En outre, comme l’écrit le professeur Michel Storck, « cette crise a révélé le rôle du système financier de l’ombre dans la genèse et la propagation de la crise financière, incitant les législateurs à mettre en place des mécanismes de régulation au niveau international ».

2.2. Titrisation et système bancaire parallèle (shadow banking system)

La titrisation a favorisé l’apparition d’un système bancaire parallèle ou finance de l’ombre permettant de mener des activités de crédit non bancaire, qui ne sont pas soumises à une surveillance bancaire et qui menacent la stabilité financière.

Le Conseil de stabilité financière en donne la définition suivante :  « Intermédiation de crédit impliquant des entités et des activités (totalement ou partiellement) en dehors du système bancaire régulier ».

Jean-Pierre Landau dans un article intitulé « Shadow banking et financial stability », souligne « qu’il est communément admis que l'expansion du système bancaire parallèle est principalement motivée par l'arbitrage réglementaire, le désir de contourner les exigences en matière de capital et de liquidité qui ont été progressivement imposées aux banques ».

Le modèle économique du système financier parallèle, qui repose fréquemment sur l’endettement, la transformation de liquidité et de maturité ainsi que sur l’effet de levier, a constitué un facteur aggravant lors de la crise financière de 2008. Par ailleurs, certains dénoncent son manque de transparence et ses liens éventuels avec certains paradis fiscaux.

En conclusion : afin d'éviter une nouvelle crise de type subprimes, de nouvelles règles ont été mises en place au sein de l’UE. Ainsi, depuis le 1er janvier 2019, un règlement européen établit d’une part un cadre standardisé pour les opérations de titrisation et, d’autre part, un label STS (Simple, Transparent, Standardisé) afin que les banques garantissent des titres de bonne qualité tout en étant transparentes sur la nature et la qualité des crédits octroyés.

3. Glossaire

Créances hypothécaires titrisées (Mortgage-Backed Securities) : Prêts hypothécaires transformés en titres négociables sur le marché financier.

Dérivé de crédit : « Instrument financier permettant de transférer d’une partie à une autre un risque de crédit attaché à un actif financier » (Source : FranceTerme)

Échange sur défaillance (Credit Default Swap: Opération par laquelle un créancier, appelé acheteur de protection, achète, moyennant le versement d’une prime régulière, une protection à une contrepartie, appelé vendeur de protection, contre l’engagement de ce dernier de l’indemniser en cas de survenance d’un événement de crédit affectant sa créance sur un débiteur tiers.

Échange sur rendement total (Total Return Swap) : Opération permettant de transférer à une contrepartie le rendement rattaché à un actif de référence.
Note : L’acheteur de protection qui se porte acquéreur du rendement total verse une commission périodique au vendeur (de protection), qui lui cède en retour le rendement total de l’actif de référence.

Effet de levier (leverage: Technique financière qui utilise de l’argent emprunté pour augmenter très fortement le rendement d’un investissement ou d’un projet.

Titre de créance garanti par des obligations (Collateralized Bond Obligation: Titre de créance émis par un véhicule de titrisation et garanti par la constitution d’un portefeuille d’obligations.

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