Les fluctuations de la parité Euro-Dollar sont très fortes. En 5 ans le cours de l’Euro a évolué entre 1,1675  pour un dollar et 1,6038. Durant la semaine du 21 au 28 Mars 2010 il est passé de 1,3268 à 1,3409. Et ces mouvements se font, alors que les économistes considèrent,  en général, que la parité devrait osciller aux environ de 1. On comprend que dans ces conditions les industriels se sentent perdus et se posent des questions. Pour essayer d’y répondre il nous faut analyser les forces qui influencent les monnaies qu’elles soient d’ordre politique ou purement financières et essayer d’envisager l’évolution que l’on peut en attendre.

1)    La structure politique : les zones monétaires

Le système actuel conjugue un système de parités variables (c’est la norme internationale depuis 1973) et des sous-systèmes à parité fixe. Ces dernières peuvent être des zones monétaires plus ou moins structurées (le cas le plus notoire est celui de l’Euroland à monnaie unique entre pays qui ne coordonnent pas leurs politiques économique, sociale et fiscale, est exceptionnel).
Par contre un certain nombre de pays (presque tous ceux d’Asie dont la Chine) s’abritent par des contrôles des changes sous le « parapluie américain » pour profiter de la sous- évaluation du dollar. Ils créent ainsi une pseudo zone monétaire qui pose aux Etats-Unis et à l’Europe un problème majeur. Il en est un peu de même pour la Suisse dont la banque Centrale intervient dès que la parité du Franc Suisse menace de sortir des écarts maximums avec l’Euro que cette Banque s’est fixée.
En fait les seules monnaies non trop contrôlées sont les Dollars Canadien et Australien, le Yen et la Roupie Indienne, et surtout l’Euro.
Cela explique que le Monde suive avec une attention fébrile les fluctuations des parités de ces monnaies avec le Dollar. Cela nous oblige à étudier les comportements financiers qui vont influencer les mouvements monétaires.

2)    Les réactions financières : la spéculation

Le commerce international entraîne annuellement des mouvements  de capitaux de l’ordre de 3 milliards de Dollars. Cela représente  environ 2 journées de transactions sur le marché des changes.  De là l’idée (Taxe Tobin) de rendre plus coûteuses les transactions et ainsi réduire la spéculation. Mais cela réduirait également la liquidité du marché. En outre cette taxe deviendrait inefficace si un ou plusieurs pays refusaient de l’appliquer.
Un problème est posé : la spéculation déstabilisante est elle la cause des difficultés d’un Etat ou simplement la conséquence d’une situation malsaine ? Philippe Jaffré dans son remarquable ouvrage (imaginant la France de 2012) publié en 2006 « Le jour où la France a fait faillite » a analysé les conséquences d’une mutation brutale de «  classement » par Standard & Poor’s de AAA à BB+.  Cela devrait provoquer l’effondrement complet de l’économie française. On peut point par point adapter cette analyse à l’économie grecque. En effet l’endettement de ce pays 127% du PNB est à peine supérieur à celui de la Belgique et de l’Italie (un peu plus de 100%) ou même de la France et de l’Allemagne  (respectivement 67 et 82 %) sans parler du Japon dont personne ne met en doute le risque qu’il pourrait représenter avec un endettement public de 227 %. Un autre exemple peut être cité .En 1992 Soros a pu déséquilibrer la Livre sterling l’obligeant à dévaluer,  mais a échoué l’année suivante  à provoquer le même résultat sur le Franc (qui a été sauvé par l’aide de l’Allemagne très inquiète des risques que lui aurait fait subir une dévaluation unilatérale du franc). Dans les deux cas la situation  économique était comparable, mais Soros disposait dans ces opérations, par le jeu du multiplicateur des opérations forward, de plus de 10 fois le montant des fonds disponibles de la Banque de France.  On voit ainsi que la spéculation peut déséquilibrer n’importe quelle monnaie car les « Fonds alternatifs / Hedge funds » gèrent actuellement 1.700 milliards de dollars (contre 1.200 au mois de Mars 2009) et un effet de levier de 20 fois permet de «  jouer » avec  34.000 milliards.
En outre la spéculation a de nouveaux instruments à sa disposition. Le principal est le « C.D.S. Souverain ». Instrument d’assurance contre le risque de défaut d’un débiteur, il est détourné de son but et devient ainsi un remarquable outil de spéculation. Il sert alors de déstabilisateur d’une monnaie car la vente à découvert de devises suppose un marché acheteur suffisamment fourni pour répondre à la demande. Il n’en est rien en matière de CDS car il y a toujours des institutionnels prêts à en vendre à condition que l’on accepte leur prix. Il faut alors pour les opérateurs qu’ils fassent de la publicité sur le coût élevé de leur achat pour inciter d’autres spéculateurs à les imiter et à payer leurs opérations à des prix encore plus élevés .Dans le cas de la Grèce les atermoiements des grandes puissances facilitent de telles spéculations. Les Pouvoirs  Publics voudraient contrôler cette spéculation en limitant les possibilités d’achat de CDS  souverains à des prêteurs existant réellement, mais on se heurte à une forte opposition des milieux financiers.

3)    La tentation du « Carry Trade »

La crise financière dans les pays occidentaux semble être sous contrôle. Mais la crise économique, due à la concurrence des pays émergents, continue. Bien plus, les institutions financières sont tentées de pratiquer du « Carry trade ».Cela consiste, par exemple, à emprunter du Dollar US à court terme aux environs de 1 % et à le prêter en Australie où le taux du marché monétaire dépasse 3 ½  %. Le marché du « CarryTrade » est très important. Il est évalué, suivant des spécialistes, à 750 ou 1.500 milliards de Dollars. Ces opérations ont tendance à déstabiliser les monnaies car elles provoquent un affaiblissement des monnaies à taux bas (style USA) et poussent à la hausse des monnaies de pays où la masse monétaire est moins importante (Japon, Euroland, Australie, Canada), d’autant que certains d’entre eux étant producteurs de matières premières  (Canada, Australie) ont déjà un problème de surchauffe qui les incite à remonter leurs taux.. Mais elles ont surtout l’inconvénient d’inciter les banques à ne pas faire « leur métier » qui est d’utiliser les fonds qui leur sont confiés pour faire des prêts aux entreprises et aux particuliers.

Conclusion: Peut-on imaginer l’avenir ?

1)    Les déficits américains ne sont pas près de se résorber. La Chine essaie très timidement de diminuer son implication en Dollar tout en ne voulant pas dépasser le point où sa monnaie serait réévaluée par rapport au Dollar. Par ailleurs la minicrise grecque   a risqué de mettre à mal l’Euro, mais elle n’a pas réussi a faire baisser de plus de 6 % cette monnaie. On peut donc penser que l’Euro continuera à s’éloigner de sa « parité de pouvoir d’achat » et atteindra bientôt son maximum historique.

2)    La crise économique n’est pas vraiment résorbée dans les pays occidentaux. Elle peut même s’aggraver du fait de la concurrence vers le protectionnisme de la Chine et des Etats Unis. Si à terme l’Euroland est lui aussi obligé de se protéger, cela peut alors entraîner une forte volatilité de sa monnaie surtout si la Communauté Européenne se met aussi à pratiquer la « Beggar thy Neighbour Policy  » que réussissent si bien actuellement l’Angleterre, les Etats Unis et surtout la Chine.

Aussi on peut raisonnablement penser qu’à moyen terme le dollar devrait baisser, mais que si l’on se lance dans un politique protectionniste tout azimut on aura des fluctuations monétaires un peu imprévisibles.




Jean Jacques Perquel                            6 avril 2010