Dans son discours à la réunion du Fonds Monétaire, Timothy Geithner, en attaquant la politique monétaire chinoise, a ouvert les hostilités. Certes depuis, il a pu dire qu’il n’y aurait «  ni guerre commerciale ni guerre des changes » … surtout si les Chinois réévaluaient leur monnaie. Ces derniers ont obtempéré en laissant leur monnaie s’apprécier de … 2 ,6 % depuis juillet dernier, tandis que les Américains ne demandaient qu’une hausse de …40 %. !


Cela suppose, pour comprendre cette situation, que l’on analyse la crise économique structurelle due à la mondialisation, les comportements différents qui isolent la Chine du reste du Monde et un certain conformisme économique qui éloigne l’Euroland des autres pays.

I) Crise économique et illogisme de la politique économique mondiale.

La crise économique due à la mondialisation a commencé dans les années 1980 (prise du pouvoir en Chine de Deng Xiaoping fin 1977).
Dès cette époque, la montée en puissance des pays d’Asie et des autres pays émergents a entraîné la désindustrialisation des pays occidentaux. Les Etats Unis ont pris très vite leur parti de cette situation en prônant le développement du secteur tertiaire pour les pays riches (avec, dès 1993, le succès de l’ « Information Technology  (I.T.) ». L’Allemagne a même réussi à conserver une industrie importante (27 % de son P.N.B.) grâce à un effort d’austérité et la tentative des chefs d’entreprises pour résister le plus possible à la tentation des délocalisations. Dans les autres pays occidentaux l’activité industrielle, une des composantes majeures de l’emploi, est tombée à moins de 13 % .
Mais la délocalisation des entreprises et l’amélioration des productions des pays du Tiers Monde aggravent de plus en plus la situation des pays occidentaux.
Jusqu’à une date récente on a pu considérer que les services permettaient de compenser cette détérioration des structures industrielles locales .L’exemple américain de l’ « invention » de l’I.T. (Information technology) prouvait que l’on pouvait espérer conserver un certain avantage grâce à une recherche supérieure à celle des pays émergents. Mais cette avancée a été temporaire, l’Inde, par exemple, devenant rapidement un des leaders dans ce domaine.
Aussi on a été obligé de repenser le fait que de très bas salaires et une absence de Sécurité Sociale assuraient une forme de « dumping ». On s’est aperçu alors que le système mondial était boiteux :
Certes l’O.M.C. (Office mondial du Commerce) fait des efforts pour éradiquer les contraintes tarifaires et détecter les mesures protectionnistes non tarifaires .Mais pendant ce temps tous les pays restent libres de pratiquer des politiques de style « Beggar thy neighbour Policy »

II) La crise financière

Sur ce contexte de crise économique, s’est greffée une crise financière de l’ampleur de celle de 1929-36.
La comparaison est assez facile. Dès 1927 s’étaient développées des structures de titres, les « Holdings », à l’origine très utiles pour l’organisation de groupes industriels, mais elles avaient perdu le contact avec les réalités économiques : par exemple une société holding A détenait un fort pourcentage d’une société industrielle B, elle-même cotée et ayant de beaux résultats. Comme peu de titres de la société B étaient sur le marché mais étaient recherchés par le public (vu la qualité de leurs résultats), les investisseurs se portaient alors sur la maison A en en faisant monter le cours. On ajoutait alors une société C contrôlant A, une société D contrôlant C etc. On arrivait à des structures de «  papiers » qui n’avaient plus de contact avec la réalité.
De la même façon on a créé des « produits dérivés » qui ont certainement leur utilité car ils améliorent la liquidité des marchés, servent à garantir des transactions, protègent des mouvements de change. Malheureusement on les a parfois détournés de leurs buts en en faisant des outils de pure spéculation, parfois déstabilisante (Ventes à nu/ naked sales), parfois prenant une dîme sur les ordres sérieux (certains « flash orders »).
La politique des Etats Unis suivie en cela par la plupart des Etats du Monde a cassé le mouvement de panique qui s’était emparé des marchés en créant de la liquidité (le bilan de la FED est passé de 1000 milliards de dollars à 2650 celui de la BCE a presque doublé).Mais cela a eu deux effets :
a) cela a empêché un développement du chômage comparable à celui de 1929 (plus de «30 % de la population active aux Etats Unis vers 1932, 10 % actuellement).
b) cela a donné au secteur financier l’idée que le « Business » était « as usual  » et que l’on pouvait de ce fait, peu à peu, refaire les mêmes opérations que précédemment, en développant en particulier les CFDs, les CDSs et les Flash Orders, opérations sans danger tant qu’elles restent peu importantes, mais qui pourraient dégénérer et provoquer une nouvelle crise.
La crise n’a pas eu partout les mêmes conséquences. Les pays à très bas salaires (Chine, Viêt-Nam, Corée par exemple) et les pays producteurs de matières premières se sont redressés en premier, effaçant très vite les séquelles de la crise. Le principal bénéficiaire en a été la Chine, d’où l’intérêt d’analyser mieux son comportement.

III) Les six facettes de la Chine

La Chine est obsédée par le problème « politique  »  que pose la taille extraordinaire de sa population. Son développement remarquable à l’Est et dans les grandes villes industrielles incite la population des campagnes à émigrer de plus en plus vers les villes. De là un mélange d’analyses économiques et de dynamisme de la population donnent à la Chine ce caractère très particulier d’un pays encore sous développé mais qui est devenu la deuxième puissance mondiale. Pour l’analyser il faut en voir les principales facettes.

a) La Chine se veut « mercantiliste ».
Elle cherche et réussit à être un « net exporter »  de l’ordre de 300 milliards de dollars par an et détient actuellement, dans ses réserves 2648 milliards de dollars.

b) La Chine est en même temps « Listéenne »
Elle veut protéger son économie en ne rendant pas sa monnaie convertible ce qui lui permet de pratiquer une politique de « stérilisation  »  du Dollar (ce qui rappelle les politiques du même style à l’égard de l’or pendant la crise des années 30). Cela permet de garantir cette sous-évaluation du Renminbi dont le Monde entier souffre. (Si l’on prend, comme le fait avec humour l’Economist, comme critère de la parité du pouvoir d’achat le Big Mac de Mac Donald on trouve que le Yuan est sous-évalué de 4 % par rapport au Dollar et l’Euro est surévalué de 20 % par rapport au même dollar).
Cela explique également le protectionnisme non tarifaire que pratique la Chine. Ainsi elle oblige les sociétés qui désirent s’implanter en Chine à s’associer à un partenaire local et elle avantage les entreprises locales au détriment des étrangers. Par exemple, profitant de son quasi-monopole sur les « terres rares » indispensables pour les produits de la nouvelle technologie (elle produit 95 % de la consommation mondiale), elle a décidé de réduire sa production de 30 % pour faire monter les prix …à l’étranger et gêner la production des produits de haute technologie dans le reste du Monde etc.

c) La Chine est, par ailleurs « Keynésienne ».
Elle incite à construire des immeubles sans savoir si ceux-ci seront habités, dans le but avoué de donner du travail à sa main d’œuvre. Elle soutient directement son économie. Dans son interview à la « Tribune du 10 Novembre 2010  » Hu Jintao indique que l’aide à l’économie a représenté 585 milliards de Dollars, aide plus efficace que celle des pays occidentaux puisque dirigée essentiellement vers le développement industriel et non le sauvetage des banques.

d) A cela la Chine ajoute un comportement « classique » dans sa lutte contre l’inflation qui la menace. Ainsi elle augmente régulièrement son taux d’intérêt et le montant des réserves obligatoires des banques (atteignant maintenant 17,5 %)

e) Au plan international la Chine a un comportement « colonialiste ». Cherchant à éviter un étranglement de son industrie elle cherche, grâce à des dons et des prêts aux pays émergents d’Afrique ou d’Amérique à dominer les pays détenteurs de matières premières.

f) Ces politiques, qui montrent l’ampleur de la recherche économique de l’élite politique chinoise, sont complétées par un comportement des individus qui ont (historiquement ) l’habitude de ne respecter aucune règle dans la conduite des affaires. Le cas de Danone est exemplaire .Son associé chinois a fait une des grandes fortunes mondiales en utilisant sa petite société personnelle pour concurrencer Danone en vendant sous son nom les produits de leur société commune ;

IV) les conséquences de la politique chinoise dans le reste du Monde

La Chine arrive à peu près à se protéger de l’inflation, grâce à la non-convertibilité de sa monnaie, Malgré cela la hausse des prix s’accélère même si elle est encore assez modérée (entre3 et 4 %). Par contre ni la Thaïlande ni la Corée, ni l’Indonésie ni surtout le Japon n’ont cette possibilité de résister à la pression inflationniste due à leurs hausses des salaires et celles des matières premières. Ils subissent en outre les flux de capitaux occidentaux, soit que les entreprises veuillent investir pour profiter des bas salaires soit, ce qui est plus inquiétant, que des spéculateurs veuillent réaliser des opérations à court terme (du style « Carry Trades ») opérations fondamentalement déstabilisantes.
Ces pays réagissent par des hausses de taux. L’Australie par exemple a peu à peu porté son taux de court terme à 3,50 % ce qui a eu pour effet d’accélérer le Carry Trade Dollar/Dollar U.S. sans véritablement ralentir l’économie. Par ailleurs certains pays ont créé des taxes spécifiques sur les arrivées de fonds en provenance d’autres pays (Thaïlande par exemple)
Le Japon et la plupart des pays asiatiques ont par ailleurs essayé de faire baisser la valeur de leurs monnaies qui montent rapidement par rapport au Yuan, en augmentant leur masse monétaire par appel à leurs banques centrales.

V) La tentative américaine

Dans ce  «  sauve qui peut » généralisé, où le hasard des élections rend le Congrès et l’Exécutif impuissants  pour les 2 ans à venir, la responsabilité de résoudre la crise économique revient au Gouverneur de la F.E.D Ben Bernanke. Celui-ci a le courage de cette émission de 600 milliards de Dollars pour inciter les banques à faire leur métier c’est à dire d’aider au développement de l’Economie.
En outre cette mesure a l’avantage d’inquiéter la Chine. Les Américains ont ainsi l’espoir que cela incitera les Chinois, par peur de l’inflation, à décrocher enfin leur monnaie de la monnaie mondiale: le Dollar. Pour le moment elle réagit par des promesses: libéralisation « progressive» des changes et le nouveau Plan 2011/2017 doit assurer une certaine sécurité sociale à tous les habitants et une amélioration de leur pouvoir d’achat .Mais en fait ce sont surtout des « intentions ».Il faudrait bien que cela soit suivi par des réalisations.

VI) Quid de l’Euroland ?

Dans ce contexte l’Europe se divise en pays à balance commerciale positive (Allemagne ,Hollande pays Scandinaves ) qui ont depuis longtemps pratiqué une politique restrictive et ont réussi pour le moment, dans certains secteurs, à concurrencer les pays émergents et le reste de l’Euroland où cette politique est intellectuellement acceptée… mais non pratiquée jusqu’à la crise Grecque.
A partir de cette date, la « pensée unique » a triomphé provoquant une hausse des taux longs dans les pays périphériques et une envolée de l’Euro.
La position allemande devient dominante et est influencée par une opinion publique à majorité « souverainiste » car la génération issue de la guerre pour qui l’Europe était un idéal, a à peu près disparu.
Cela explique les atermoiements du Gouvernement Allemand pour aider la Grèce. Bien plus Angela Merkel propose que désormais les obligations des pays qui, dans l’avenir, auraient des difficultés ne soient que « partiellement  »  garanties par l’Union (Cela a eu pour effet d’augmenter le taux des obligations irlandaises car l’opinion publique a cru que cela pourrait s’appliquer immédiatement). Mais cela a rendu un service « temporaire », celui de faire rebaisser un peu l’Euro

VII) Le G 20

Dans ce contexte, les pays qui ont des balances commerciales positives ont tendance, par le jeu des investissements (délocalisations) ou de la spéculation (Carry Trades) à avoir des  « Balances Courantes » de plus en plus bénéficiaires.
Le G 20 de Seoul de Novembre 2010 a établi un compte rendu de la situation laissant à la France qui va le présider durant un an le soin de trouver des solutions.
Nombre de projets existent. Robert Zoellick, Président de la World Bank propose un retour à l’Or .Timothy Geisner propose de reprendre, en la modifiant légèrement, une proposition de Keynes à la Conférence de Bretton Woods en voulant obliger les pays à limiter à +4 % /- 4 % le montant des écarts de leurs balances commerciales. Enfin il y a surtout le projet Chinois auquel semble s’intéresser Sarkozy : la création d’une monnaie style « Droit de Tirage spécial (D.T.S) » mais où seraient incluses les monnaies de certains pays du BRIC.
Ce dernier projet paraît devoir être parfaitement inefficace tant que les matières premières ont leurs marchés à Londres et Chicago et continueront à être négociés en dollars et que le déficit américain alimentera en devises tous les marchés mondiaux .Ce sera au mieux une « monnaie de compte » qui,  un peu comme le « Marc  » au Moyen Age, servirait de monnaie de référence pour calculer les parités de change.( le seul avantage pour les Economies seraient des bénéfices de change pour des traders spécialisés )

VIII) Conclusion

Par le discours de Timothy Geisner et surtout par la décision de la F.E.D de racheter pour 600 milliards de dollars de bons du Trésor, les Etats-Unis ont pris le parti de réveiller un système monétaire international qui avait tendance à se détériorer encore plus.
Les EUA ouvrent une ère nouvelle. La Chine, jusqu’à ce jour considérée comme le perturbateur du système, a compris qu’elle devait donner des gages au Monde (interventions en faveur de certains de ses débiteurs, Grèce, Portugal et France incitant ainsi à essayer de rejeter la critique internationale vers les Etats Unis (au nom de la « pensée unique »).
 On peut cependant espérer que malgré les critiques d’économistes trop « classiques » cette augmentation de la masse monétaire mondiale permette de compenser le « ralentissement de la    vitesse de rotation de la monnaie » véritable coupable de la durée de cette crise qui ne parait pas encore terminée.

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