Tous les économistes sont d’accord sur un point. La politique américaine de taux bloqués à 3 % pratiquée pendant 3 ans, a provoqué un développement exceptionnel de la masse monétaire mondiale et pourtant dès 2007 et surtout après la liquidation de Lehman Brothers,le système financier international a manqué d’argent.
Pour comprendre ce paradoxe il faut, en le situant dans le contexte économique de la mondialisation, analyser le comportement des autorités financières et celui des intermédiaires bancaires et para-bancaires, et, essayer, à partir de ce survol, de déterminer qui ont raison des Américains qui augmentent encore la masse de fonds disponibles «  Quantitative Easing 2 (Q-E-2) » ou des Européens qui s’en tiennent, autant que faire se peut, à une pure « orthodoxie financière ».

I) Le contexte économique : la concurrence entre pays occidentaux et pays émergents

Depuis la prise de pouvoir de Deng Xiao Ping, la Chine a entamé un développement de style capitalistique exceptionnel, rattrapant le Japon et incitant les autres « Dragons » puis les autres pays émergents à effectuer la même évolution. Aussi les pays occidentaux se sont spécialisés dans certaines activités non encore trop concurrencées (mécanique et machines outils en Allemagne, moyens de transport, tourisme et produits agricoles en France). Malheureusement les pays émergents (et essentiellement la Chine) ont tendance à concurrencer les pays occidentaux, dans leurs productions exportatrices. Les avions chinois reproduisent les modèles importés de Russie, les trains à grande vitesse chinois vont plus vite que les T.G.V.s français. Les Coréens produisent des Centrales Atomiques à un coût moins élevé que celles produites par Areva.
Structurellement si l’Allemagne (179 milliards de dollars sur un an en Octobre 2010) , la Hollande (42 milliards ), l ‘Autriche ( 10 milliards ) et même la Belgique (1,7 milliards) réussissent à conserver des balances bénéficiaires , il n’en est pas de même pour la zone Euro dans son ensemble (- 64 milliards) de plus en plus déficitaire. Il en est de même pour l’Angleterre (- 34 milliards) et les Etats Unis (- 430 milliards).
Dans tous les pays occidentaux, les entreprises ont tendance à accumuler des réserves. Ainsi les entreprises américaines détiennent 1,9 billions de dollars en « cash » et autres actifs liquides.  Si les entreprises désirent investir, elles cherchent à le faire dans des pays émergents pour profiter des bas salaires ou de la proximité de matières premières.
Il est ainsi difficile pour les pays occidentaux de résister à la concurrence des pays émergents, d’autant
que certains d’entre eux, comme la Chine, pratiquent ouvertement une politique quasi-protectionniste et de « beggar thy neighbour policy », et que l’Europe divisée entre pays bénéficiaires et pays déficitaires n’arrive pas à avoir une politique.
Dans ce contexte s’est développée la crise financière qui semble être terminée mais laisse des séquelles dramatiques car les responsables ont eu des difficultés à répondre aux attentes du public

II) La crise financière et les espoirs de renouveau

La crise financière a été, à l’origine, une crise immobilière aux U.S.A. Elle est devenue ensuite une crise de produits dérivés, leurs liquidités ayant brutalement fait défaut. Pour éviter que cette situation ne dégénère en une crise mondiale de l’importance de celle des années 30, les autorités politiques et financières ont sauvé les principales banques du « Bulge Bracket » et la première compagnie d’assurance mondiale A.I.G.
Les Banques Centrales des principaux pays (U.S.A, Japon, Grande-Bretagne, Chine, etc ) ont ainsi pratiqué une politique keynésienne de création monétaire pour compenser la contraction du Crédit, elle-même issue de la fuite vers la « sûreté » de toutes les institutions qui n’avaient plus confiance les unes dans les autres. La B.C.E. a même fait des efforts en ce sens.
Le cœur de la crise financière passé, il a fallu prévoir l’avenir. Les Autorités financières de tous les pays ont déclaré « que rien ne serait plus comme avant », que l’on allait développer la « transparence », prendre des mesures rigoureuses pour réformer la Finance mondiale, responsabiliser les opérateurs et s’assurer ainsi que cette crise serait « la dernière ».
Malheureusement au cours de la période suivante, une incompréhension s’est développée entre les Autorités et les praticiens. Pour comprendre la situation actuelle, il nous faut analyser ces deux approches en n’oubliant pas qu’elles se développent sur fond de « crise économique ».

III) La politique des autorités

Cette politique est essentiellement le fait des décisions du Comité de Bâle : Bâle III et Solvency II et à l’échelon américain la loi Dodd-Frank.
L’analyse économique doit tenir compte des difficultés de contrôle dans la mesure où se multiplient les innovations financières. Cela entraîne une multiplicité de nouveaux organismes (Financial Stability Overnight Council « F.S.O.C », European Securities and Market Authority « E.S.M.A. » assistée par l’European Bank Authority « E.B.A. » et l’European Insurance and Occupational Penssions Authority « E.I.O.P.A. »).Il est difficile d’évaluer le coût pour les Economies de ce développement des administrations. Elles se trouvent, en plus, malgré l’augmentation de fonds qui leur sont alloués en sous-emploi permanent.
La plupart des mesures prises consiste dans un renforcement des fonds propres des banques et des Assurances.
Ainsi Bâle III distingue le ratio « Core Tier One » formé de titres totalement liquides et d’actions représentatives du capital des sociétés, mais pas de leurs filiales (et on appelle même « filiales » les activités d’assurance des « Bancassurances » et on voudrait y inclure les parts des mutuelles qui contrôlent un établissement bancaire.). Ce ratio passera de 2 à 4,5 % en 2015.
Le « Tier One », qui inclut le « Core Tier one », passera à la même date de 4 à 6 %
Mais on ajoute encore un « Coussin de sécurité » de 2,5% en 2019 et à une date à définir un « coussin contra cyclique  » d’un montant compris entre 0 et 2,5 %.
Ces mesures intègrent un certain nombre d’absurdités comme par exemple le fait de considérer les opérations commerciales internationales comme des contrats « en blanc  » c’est à dire que tout « connaissement » doit être évalué à zéro quelque soit le pays ou la société émettrice.
Le but des ces opérations qui menacent l’usage des liquidités des banques en faveur de l’économie, serait de « supprimer » le rôle des banques centrales comme « prêteurs en dernier ressort ». Cela est pratiquement irréalisable si l’on ne veut pas créer des « ruées » sur les banques en cas de difficulté économique (ou alors il faudrait porter les ratios à près de 100%).
Mais il y a pire : Solvency II. L’on n’a pas tenu compte de la nature des économies européennes qui sauf en Hollande n’ont pas de fonds de pension. (Ces derniers ne subissent d’ailleurs pas les contraintes de Solvency II).
Aussi les Etats ont comme seule solution pour collecter des fonds pour le secteur privé que le « résidu » laissé au secteur des assurances et l’aide de l’Etat. Or les règles de Solvency II doivent s’appliquer dès le 1er Janvier 2013. Pour chaque type d’actifs il y a un coefficient de couverture prédéterminé. Ainsi pour le secteur « actions  » seul secteur, avec «  l’immobilier », créateur d’emplois, le ratio pour les actions cotées est de 30 %, pour les autres de 40 % (ratios pouvant être, à la discrétion des autorités, augmentés, ou réduits de 10 %). Le résultat est un « bradage » de titres en Europe où, d’après Axa, 400 milliards d’euros d’actions ont été vendus depuis 2000.
Face à cette politique de « Super précaution », le secteur privé se permet un développement spectaculaire de la « Spéculation  » en ne respectant aucun des principes que l’on avait pu envisager au début de la « Crise ».
Certes les Américains ont conscience que ces mesures de renforcement des capitaux propres des organismes financiers sont très insuffisantes pour lutter contre les excès de la spéculation. Aussi la loi Dobb-Frank cherche à responsabiliser les intermédiaires (conservation de 5 % des produits titrisés, interdiction d’opérations spéculatives dans le compte propre des banques, « Funeral Plans » pour organiser la liquidation en douceur de banques en…punir les organisateurs de la débâcle (ceux-ci sont licenciés sans indemnité). On peut espérer qu’il en sera de même en Europe car si l’on veut, un peu, répondre aux espoirs qui avaient été mis en avant au début de la crise il faut essayer de contrôler l’innovation financière.

III) L’activité du secteur privé

Tandis que les Autorités politiques peinent à mettre sur pied une réglementation « efficace » la spéculation s’accélère.
C’est d’abord le « Carry Trade » qui consiste à vendre des monnaies soit « attaquées » soit à taux d’intérêt très bas, au profit de monnaies moins importantes donc plus facilement manipulables à rendement d’autant plus élevé que cette spéculation provoque des effets inflationnistes (Dollar ou Euro suivant les périodes, contre Dollars Canadien, Australien ou Franc suisse.).
La spéculation déstabilisatrice des monnaies par C.D.S .s ou C.F.D.s, aidée par l’importance anormale concédée aux Agences de Notations, assure des bénéfices importants aux Opérateurs. On cherche à limiter les dégâts en essayant de réduire au maximum les « Ventes à nu ».Il faut rappeler qu’en matière de devise les C.F.D.s peuvent multiplier par 400 le montant investi.
Aux « Exchange Traded Funds (E.T.F;s) » fonds indiciaires classiques, s’ajoutent des fonds synthétiques, à effet de levier, etc. Mais surtout sous le nom d‘E.T.C.s (C pour Commodities) on a créé des fonds en Or et plus récemment des fonds en autres matières premières Cuivre, Aluminium, Plomb, etc. Ces derniers ont tendance à pousser à la hausse des métaux dont l’usage industriel est important, hausse qui peut accélérer un mouvement inflationniste. Ainsi J.P. Morgan a acheté, pour ses E.T.Cs, 270.000 tonnes de Cuivre soit la moitié du stock mondial de ce métal (et 90 % du stock de métal du « London Metal Exchange (L.M.E.) ».Un spéculateur non identifié vient de réaliser une opération comparable sur l’Aluminium. On peut même envisager que quelqu’un invente des E.T.C. de matières premières agricoles avec les dégâts sociaux que cela peut produire en pays émergents.
Enfin dans le catalogue incomplet des innovations malsaines il faut ajouter les « Chambres noires/Dark Pools » qui suppriment toute information « Pré-Trade » et surtout les « Ordres éclairs/Flash Orders » qui permettent de déceler les ordres sérieux sur une valeur pour y pratiquer une sorte de « Scalpage » ou par l’intensité des ordres, « manipuler  » un marché.

Conclusion

Quel rôle joue alors la liquidité ? Les Autorités financières (et politiques) ont le pouvoir d’agir sur le montant de la masse monétaire par l’Open Market. Mais il leur est difficile d’intervenir sur le comportement des opérateurs et de contrôler leurs innovations. Ces opérateurs réalisent des bénéfices beaucoup plus importants par leurs opérations spéculatives sur produits dérivés que par des prêts aux entreprises et aux particuliers, prêts toujours risqués et à marge bénéficiaire faible. L’interdiction pour les banques (Volcker Rule) de spéculer directement pour compte propre, les poussent actuellement à se créer des filiales non-bancaires chargées de faire ce type d’opérations.
On voit ainsi que le rôle de l’émission monétaire est limité. Son augmentation n’est pas suffisante à assurer la « reprise  » économique qui seule permettrait un retour au plein emploi. Aussi la meilleure solution consisterait dans une décision politique d’utiliser cette croissance indispensable de la masse monétaire à faire des « grands travaux ».
Certes deux risques subsistent :
1) Cette émission monétaire aide l’économie en facilitant la liquidité des Banques mais ne résout pas la « crise » économique car une partie des fonds distribués ira, grâce à l’aggravation du déficit commercial qu’il accélère, vers les pays à bas salaires et dépourvus de sécurité sociale. Il faudrait pour éviter ces conséquences fâcheuses que les pays émergents acceptent une réévaluation de leur monnaie et cessent de « stériliser  » les fonds qu’ils reçoivent. Les Chinois viennent d’inaugurer une nouvelle politique: Organiser une espèce de Plan Marshall vers l’Europe pour éviter un retour européen au protectionnisme et essayer, par de fortes hausses de salaires, d’améliorer leur demande intérieure.
2) Il y a un risque d’inflation par les « coûts » du fait de la spéculation sur matières premières, mais peu de danger d’inflation de demande (sauf dans les pays producteurs de matières premières) tant que le chômage avoisinera les 10 % et que les industries travailleront à 74 % de leurs capacités.
On voit ainsi que les seuls moyens d’action des Autorités financières sont dans une augmentation de la masse monétaire mais aussi dans une « moralisation » de l’action des opérateurs.

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