Le Monde est frappé par une crise mondiale majeure parfaitement comparable à celle de 1930. A cette époque les Economistes se sont déchirés entre Libéraux et Keynésiens. Les premiers désiraient que l’on pratique un certain « Laisser-Faire », au risque de provoquer un chômage très important. Les Keynésiens, au contraire, voulaient faire intervenir les Autorités Financières pour compenser une épargne devenue trop importante, le public économisant par peur de l’aggravation de la Crise.

Dès les années 80, l’industrialisation des pays émergents (et surtout de la Chine) a provoqué une mondialisation qui s’est accélérée du fait du développement des techniques nouvelles d’Information. Cette intensification de la concurrence a provoqué une forme de keynésianisme « involontaire » c.-à-d. une émission de dettes essentiellement privées et totalement incontrôlées dont les « Subprimes » n’ont été que la forme la plus explosive.

On pourrait penser que, la Crise des années 30 ayant été « surétudiée » par les économistes du Monde Entier, on aurait tiré des conclusions communes de leurs analyses. Il n’en est rien et néolibéraux et néo-keynésiens continuent de s’affronter par Banques Centrales interposées.

Ainsi, aux Etats-Unis, Ben Bernanke a pratiqué une politique dite « non conventionnelle » qui a consisté à augmenter la masse monétaire en pratiquant deux émissions dites « Quantative Easings (Q.E.s) » d’un total de 2 billions de dollars, agrémentées d’une opération dite « twist », opération qui permet la « transformation » de 400 milliards de dollars de dettes à court terme en opérations à plus longue échéance, à ces émissions s’ajoute depuis septembre un « Q.E.3 » de 40 milliards de dollars par mois… « jusqu’à ce que le marché du travail s’améliore. » Cela permet de bonifier les bilans des Banques et d’aider à la reprise économique sans inflation... tant que le plein emploi n’est pas réalisé.

En Europe, sous l’influence allemande, on essaie une politique de concurrence envers les Pays Tiers grâce à une tentative d’équilibre budgétaire pour pouvoir réduire le coût de l’Etat pour les entreprises.

Malheureusement, ces politiques ont (comme les médicaments) des « Side Effects » que l’on n’avait pas prévus. Cela nous oblige à analyser la situation actuelle des deux principales monnaies mondiales le Dollar et l’Euro pour comprendre le problème monétaire actuel sans oublier d’essayer d’analyser les conséquences monétaires de la dérive du secteur financier provenant de l’expansion des produits dérivés.

I) Le Dollar

L’augmentation importante de la masse monétaire issue des différents Q.E.s a eu plusieurs effets :

A) une forte hausse de la Bourse. Ainsi l’indice Standard & Poor’s était aux environs de 600 au moment où le premier « Q.E. » de 0,6 billion est passé à 1,045. Cet indice a progressivement atteint 1.200 lors du deuxième « Q.E » de 0,6 billion. Après une hausse initiale, il a retrouvé 1.200 et remonté à 1.400 après le « twist » opération qui prouvait le désir de la F.E.D de ne pas laisser se détériorer l’économie américaine. La hausse de la Bourse a, aux Etats-Unis, une réelle importance, car elle améliore l’état d’esprit des Chefs d’Entreprises et cela a un effet quasi-immédiat sur leurs politiques d’investissement.

B) Cette manne monétaire a permis une certaine relance de l’économie ; ainsi, l’automobile est sortie du marasme des années 2010 et l’immobilier semble s’améliorer un peu tant par la réduction des liquidations de clients endettés que par une très légère hausse des prix (encore très loin de leur maximum) et par une augmentation sensible des permis de construire et des mises en chantier.

C) Cette augmentation de la masse monétaire a aussi un effet sur le taux de change. En effet, une augmentation de l’offre monétaire peut entraîner une baisse du dollar à l’égard des autres monnaies. Cela crée des problèmes pour toutes les monnaies non bloquées sur le Dollar et en particulier sur l’Euro. La Chine est protégée contre cette baisse relative du dollar car sa monnaie est inconvertible, ce qui protège ses exportations vers l’Amérique, mais empêche les U.S.A de profiter de la détérioration de sa monnaie pour rééquilibrer sa balance commerciale avec son principal créancier.

D) Malgré les difficultés politiques de l’Amérique comme en Afghanistan, le dollar reste la monnaie mondiale même si la spéculation à la hausse de l’Or est l’indication d’une certaine érosion de la confiance dans cette monnaie. L’ensemble de ces émissions incite les organisations internationales et la Chine à envisager une transformation du système monétaire international, déclassant le dollar en faveur d’un panier de monnaies comme le « Droit de tirage spécial » (Special Drawing Right) ou le Yuan, car la puissance politique de la Chine devient impressionnante. Mais les paniers de devises ou de marchandises ont le défaut d’être éminemment instables et deviendraient vite des sous-équivalents du Dollar (comme le système monétaire n’est stable que s’il n’y a qu’une seule monnaie, on peut dire que l’Or n’a été qu’un substitut de la Livre Sterling après les guerres napoléoniennes jusqu’à la Première Guerre mondiale et du Dollar de1932 à1971) et il est impensable d’envisager la domination du Yuan tant que celui-ci est inconvertible.

On voit ainsi que la politique de Ben Bernanke se révèle positive pour les Etats-Unis même si son efficacité est beaucoup plus faible que celle envisagée au début de la Crise financière c.-à-d. dès 2007.

II) L’Euro

L’Euro a fondamentalement changé de nature à l’arrivée de la crise grecque. C’était jusque-là une « Monnaie Unique » utilisable dans tous les pays de la Zone, car il existait de très faibles écarts entre les taux de même échéance, qu’un emprunt soit grec, français ou allemand. Certes il y avait un très léger « swap » car les prêteurs avaient déjà une plus grande confiance envers l’économie allemande qu’envers celle de la Grèce.

Trois séries de phénomènes ont modifié cette situation :

a)    La Balance des Paiements de la Zone est régulièrement, peu ou prou, équilibrée mais cet état couvre des situations très différentes. Ainsi sur 12 mois, à la fin du 2ème trimestre 2012 la Balance des Paiements de la zone Euro était positive de 77 milliards de dollars, mais dans le même temps l’Allemagne était créditrice de 215 milliards, la Hollande de 78,8 tandis que la Grèce était déficitaire de 18,3 milliards, l’Italie de 39, l’Espagne de 40, et la France de 51. La révélation de cette situation, lorsque la Grèce a fait défaut, a provoqué une levée mondiale de spéculation sur les monnaies, recréant en fait des Euros (Allemagne), des Euros (France), des Euro (Grèce). L’Euro, « Monnaie Unique », est devenu une « Unité de Compte » dans laquelle s’échangent les monnaies nationales Il y deux indices de cette situation :

i)    Les écarts de taux des emprunts se sont tendus,
ii)    Le public a tellement peur de conserver des Euro (Grèce) ou (Italie) qu’il vient apporter à l’Allemagne et accessoirement à la France des Euro de provenance des pays du Sud pour les transformer en Euro (Allemagne) ou Euro (France).même en acceptant de temps en temps des Taux négatifs.

b)    L’Allemagne a du mal à prendre conscience de cette situation ; Schröder, bien que socialiste, a pratiqué une politique d’austérité. De 2000 à 2009, la hausse des prix a été en moyenne de l’ordre de 2 % tandis que la hausse des salaires avoisinait 0,2 %. Les Allemands comprennent mal qu’on leur demande de faire de nouveaux sacrifices en faveur de pays comme la Grèce où les salaires augmentaient annuellement de près de 3 % avec une inflation à peine supérieure à celle de l’Allemagne et où les impôts sont irrégulièrement prélevés...
Mais en fait le problème économique posé à l’Allemagne est tout autre. Comme la Chine sur le plan international, l’Allemagne est exportateur net dans la Zone Euro mais à la différence de la Chine qui prête à l’Amérique la contre-valeur du solde positif de ses exportations vers les Etats-Unis, l’Allemagne accumule des Euro qui servent uniquement à son développement interne. Cela réduit d’autant le marché de l’Euro, même si l’Allemagne se trouve forcée d’admettre qu’elle fait au reste de la Zone Euro des prêts involontaires par le jeu du mécanisme bizarre du système de compensation entre pays « Target 2 ». Le montant est non négligeable puisqu’il atteignait 500 milliards d’Euro en 2011 et devrait actuellement dépasser 700 milliards.

c)    Une série de mesures techniques aggrave considérablement la situation : « Bâle III » et « Solvency 2 ». Ces réglementations ont pour effet de réduire les possibilités des banques et des assurances de créer de la monnaie en augmentant les montants de « Tier one » et les couvertures nécessaires aux opérations de moyenne et longue durée. Ainsi à la différence des autres entités monétaires, les Etats-Unis à l’origine de « Bâle 3 » ont reporté le début de son application… à une date indéterminée (et n’ont même jamais réussi à imposer aux Banques les règles de « Solvency two »). La Zone Euro se retrouve dans une sorte de carcan qui limite la croissance de la masse monétaire. Certes, le développement du crédit inter-entreprise (qui en France, représente à peu près le double du Crédit bancaire) aide un peu à améliorer le manque de moyens de financement

Milton Friedman a montré qu’historiquement l’optimum de croissance de la masse monétaire pour assurer un développement valable des Economies était, en termes réels de 3 % par an. On comprend alors les difficultés de l’Europe du Sud monétairement « affamée » par le manque d’instruments de Payements. Cela rappelle la situation de l’Europe face à l’Amérique après la Deuxième Guerre mondiale. Les Etats Unis ont alors sauvé la situation en créant le Plan Marshal car il a fourni des fonds pour développer les investissements en Europe. Comme l’Allemagne ne songe pas à faire une telle opération, la seule solution est l’augmentation de la masse monétaire pour :

i)    faire baisser l’Euro et le rendre plus concurrentiel (contre la politique néo-keynésienne actuelle des Etats-Unis, du Japon et de l’Angleterre),
ii)    donner un peu de souffle aux pays de l’Europe du Sud en remplacement d’emprunts rendus nécessaires par l’étranglement de ces Pays. A ce sujet, et malgré l’opposition du représentant allemand, Mario Draghi impose des mesures non conventionnelles. Malheureusement, elles sont limitées par des contraintes de « Couverture » (en fonction de la « qualité » des titres qui lui sont déposés en contrepartie) et surtout par le désir de « scléroser » la majeure partie de ces emprunts.
III) Le détournement de fonds grâce aux produits dérivés

Les produits dérivés ont pris une importance considérable. Sur les marchés réglementés, « futurs » et « options » jouent un rôle important mais faible par rapport aux marchés « Over The Conter, O.T.C».
 
A)    les marchés réglementés :

En 2011 il s’est traité dans le Monde, près d’1,3 milliard de contrats de « futurs » pour un montant d’environ 1,8 billion de dollars. Quant aux « Options » les montants sont également très importants. La Fédération Internationale des Bourses évalue à 4 billions le nombre de contrats échangés en 2011 pour environ 7 billions de Dollars. A cela s’ajoute un certain volume de transactions en « Futurs » et « Options » sur « Indices », « E.T.F » etc.
Ces opérations nécessitent des couvertures et des « deposits » en cas de cours défavorables aux positions prises et par conséquent détournent des fonds du marché normal de la Finance. (C.-à-d. du Crédit).

B)    les Marchés O.T.C.s

Ces marchés portent essentiellement sur des contrats de Taux (position ouverte de 504 billions de dollars 78 % de la position totale), des contrats de Change (position de 63 billions soit 9,7 % du total). Ces deux postes ont la particularité de présenter peu de risques, car ces opérations comportent une contrepartie réelle, (sauf le risque de contrepartie si celle-ci a, frauduleusement, liquidé, précédemment le gage qui sous-tendait son opération).
Il n’en est pas de même de certains contrats sur matières premières (3 billions dont 0,5 en Or) et surtout des « Credit Default Swaps (C.D.S.s) » (28 billions) où les vendeurs prennent des risques qui dépassent souvent leurs possibilités.
Comme ces contrats sont dangereux, les vendeurs vont faire une distinction entre opérations de « couverture » où le risque est relativement faible, opérations de spéculation « (vente de « futurs nus » par exemple ou opérations de contrepartie (par exemple, vente de « C.D.S.s ») où le risque n’est presque pas mesurable tant il peut être important.
Dans tous les cas il faudra bloquer les fonds nécessaires auprès des institutions financières qui seront dépositaires de ces opérations, montants dépendant bien entendu de l’importance du risque couru.
Cela représente des sommes non négligeables qui sont gelées et manquent dans l’économie.
Certes pour diminuer le risque, les autorités financières cherchent à faire négocier ces opérations sur des marchés organisés. Cela supprime un des risques opérationnels, car ces marchés se substituent alors à une contrepartie qui serait défaillante. Mais cela a deux conséquences :

a)    cela renchérit les coûts des opérations,

b)    on est loin d’être certain que les Chambres de Compensation aient des fonds suffisants en cas d’une forte crise.

Bien entendu les opérations de pure contrepartie (par exemple les compagnies de raffinage se couvrant contre les mouvements désordonnés du prix du pétrole,) ne seraient pas obligées de traiter sur un marché organisé.
Ainsi, les Autorités financières cherchent à domestiquer les marchés dérivés, mais on se heurte à une difficulté majeure : certains contrats sont très complexes et ne peuvent être traités que de gré à gré. Ce sont souvent les contrats les plus importants et, étant souvent difficiles à comprendre, ils présentent les risques les plus grands
Conclusion

On voit ainsi :
1) une politique américaine très logique dans la mesure où elle fait baisser le Dollar (« Beggar my Neighbour Policy » classique) et aide à relancer l’économie. Mais elle prend le risque à moyen terme que le Dollar soit remis en cause comme Monnaie de Réserve,

2) Une politique européenne où l’on devrait :

a)    recycler les fonds accumulés par l’Allemagne en incitant ce pays à investir dans les autres pays européens,

b)    inciter tous les pays de la Zone Euro à réduire les dépenses publiques pour rendre les entreprises privées plus compétitives,

c)    faute de pouvoir réaliser ces deux points, la moins mauvaise solution pour éviter un éclatement de la Zone est une création monétaire de type « planche à billet ». La B.C.E est donc obligée d’accélérer sa politique non-conventionnelle par des émissions au profit des banques (qu’il faudrait le moins possible « stériliser ») et de développer « largement » un nouveau type d’opérations : les « Outright Monetary Transactions (O.M.T.s) » qui permettent de racheter sur les marchés des emprunts souverains des pays de la zone Euro (et cela malgré une forte opposition allemande, mais de plus en plus minoritaire).

Au total, on peut espérer que les mesures des banques Centrales U.S, U.K, japonaise et européenne assurent la relance mondiale, mais il ne faudrait pas que, pour des raisons politiques ou sociales, on remette en cause des mesures de réduction des coûts des Administrations des Etats dont la lourdeur rend les différents pays inaptes à faire face à l’Ouverture Internationale des Marchés.