Charles Kindleberger a écrit « Manias, Panics and Crashes » en 1978. Pour lui, lors de la mise en liquidation d’une banque, la solution « évidente » pour éviter une intensification de la crise était de faire appel au « Prêteur en dernier ressort » (chap.8) dont une version, édulcorée, puisque limitée aux banques systémiques, était le fameux « Too big to fail ».

L’histoire semble lui donner raison : prenons deux périodes :

a) en juin 1974, à la suite de mauvaises spéculations sur les devises, la banque « Herstatt » de Cologne a fait faillite entrainant diverses sociétés, et l’obligation de sauver une banque de mauvaise qualité, la « Global Bank » de Hambourg du groupe IOS. A la même époque la « Franklin National Bank of New York » a été sauvée par la « Federal Deposit  Insurance Corporation (FDI8C) » et la « Federal Reserve (FED) ». Cela a évité toute propagation de la crise.

b) en 2008 on a laissé Lehman Brothers faire faillite, provoquant la crise mondiale dont on a l’air enfin de sortir. Certes, il faut revenir au contexte historique et la crise dite des « Subprimes » avait déjà entrainé des difficultés pour « Bear Stearns », 4ème banque d’investissement US. Son sauvetage par la FED avait profondément affecté l’opinion publique. La violence des réactions au Congrès contre Ben Bernanke est l’indice de cette peur irraisonnée selon laquelle l’aide qui pourrait être apportée à cette banque entrainerait une augmentation des impôts, ce qui est la hantise de l’Américain moyen, même si le montant qui aurait pu être utilisé pour son sauvetage est ridicule face au budget Etatsunien. Par contre pour éviter une panique généralisée (comme en Angleterre) les autorités financières sont intervenues pour sauver la première compagnie d’assurance mondiale « A.I.G. » et la plupart des grandes banques.

On voit ainsi se dessiner deux approches concernant le risque de faillite bancaire : la position « morale » selon laquelle il faudrait que les « coupables » paient pour leurs fautes et celle selon laquelle il faut éviter des faillites bancaires qui généralisent les crises économiques. Ce sont ces deux approches qu’il faut examiner.

I. La position actuelle

On analyse le problème de l’existence de banques en difficulté selon trois aspects :

a) L’importance du problème. Il faut revenir à Freud qui considère que la monnaie est la face cachée de l’économie, à Adam Smith pour qui la banque sert de régulateur entre l’économie et la masse monétaire et à Irving Fisher qui corrige l’analyse freudienne en faisant intervenir la vitesse de rotation de la monnaie. Ainsi une faillite industrielle, si importante soit-elle (exemple Chrysler) entraîne de fortes difficultés dans son secteur tandis qu’une grande faillite bancaire (le cas des banques dites « systémiques ou SIFI ») atteint des entreprises dans presque tous les secteurs.

b) Aussi cherche-t-on à protéger le secteur bancaire par des mesures de prévention. C’est le « ratio Cook » décidé lors de Bâle I (8 % de fonds propres par rapport au total du bilan).Cette règle simple n’a pas empêché un grand nombre de scandales. On a cru les éviter en multipliant les règlementations, en alourdissant les bilans bancaires et, ce qui est aussi grave, en incitant les banques à augmenter constamment leurs fonds propres au détriment des besoins d’investissement des entreprises du secteur non bancaire. Ainsi Bâle III a augmenté les taux de couverture, a inventé deux ratios de liquidité le « Liquidity Coverage Ratio» (LCR pour obliger les banques à faire face à 1 mois de grandes difficultés et le « Net Stable Funding Ratio (NSFR) » pour leur permettre de résister à une crise d’un an. En outre elle impose un effet de levier « capitaux propres / total des actifs » qui doit être supérieur à 3 %. Enfin on demande aux banques de faire des tests de résistance » pour analyser leur comportement face à un certain nombre » de difficultés. Mais ce n’est qu’un début. On propose une standardisation des engagements ce qui aboutirait à une forte hausse des fonds bloqués (mesure appelée ironiquement Bâle IV). Enfin il y a une pression pour supprimer toute « transformation » (plan de Chicago d’Irving Fisher dans les années 30) laissant aux Etats (position française avec la BPI) ou à la « Banque parallèle  / shadow banking» comme dans la plupart des autres pays ( EUA, RU, Chine, etc…)  le soin d’assurer le financement des Investissements.

Or ces mesures sont essentiellement inefficaces pour deux raisons bien expliquées par Hyman Minsky.

i) Les crises sont inévitables dès qu’il y a « croissance et innovations » car le montant des crédits émis dépasse très vite les possibilités des marchés.

ii) Lors de la crise, les créances changent de catégories, celles qui sont « Investment grade »  deviennent « spéculatives » et les créances « spéculatives » deviennent « Ponzi ».

c) De ce fait, on cherche à « organiser » sans trouble les « liquidations » des banques en difficulté, ce que l’on appelle la « Résolution Bancaire ». L’accord européen, entré en vigueur le 31 décembre 2015 comporte le « disparition » du capital, l’appel aux créanciers subordonnés enfin aux créanciers ordinaires auxquels on garantit une protection à hauteur de 100.000 Euros. Le but de cette opération est d’éviter de faire appel au « prêteur en dernier ressort » sauf pour le montant des 100.000 Euros par client pour la part de fonds non trouvés dans la société défaillante. Cette politique pêche pour deux raisons :

i) Il faut tout de même faire appel au prêteur en dernier ressort pour le complément possible aux 100.000 Euros garantis.

ii) Le danger de ne pas retrouver la totalité des dépôts déposés dans une banque peut provoquer, chez les clients, des paniques dès qu’une rumeur inquiétante se diffuse.

Ainsi cette politique de « responsabilisation » des banques est limitée et l’on s’aperçoit qu’il faut de plus en plus revenir au bon vieil appel au « prêteur en dernier ressort ».

II. Le prêteur en dernier ressort.

Cette solution est actuellement très critiquée surtout si on lui ajoute son corollaire la notion de « Too Big to Fail » car elle encourage un certain laxisme de la part des dirigeants des banques. Ainsi Richard Fuld, Président de Lehman Brothers a pris des risques inconsidérés. Mais la liquidation de cette banque en 2008, malgré les efforts de Tim Geithner, Président de la FED de New-York, pour la sauver, a provoqué une crise mondiale.
D’autre part dans le contexte d’une Union Monétaire comme celle du Zollverein en 1833 ou celle de l’uro, on s’aperçoit que les règles de contrôle des banques varient de pays à pays et ceux des pays qui pratiquent des règlements rigides comme la France protègent mieux les déposants mais ne peuvent obtenir que les autres pays fassent de même (Chypre, Grèce ou même Allemagne). Aussi l’Union Bancaire Européenne est une bonne solution pour essayer d’unifier les règles de contrôle.

Certes la « liquidation à l’amiable serait une bonne solution si on la limitait aux actionnaires qui perdent la totalité de leur capital et aux détenteurs d’obligations subordonnées  car ils ont pris un risque correspondant à un désir de rémunération plus forte que celle du marché .Il n’en est pas de même des déposants que l’on considère à tort comme des créanciers normaux. En effet le dépôt à vue est semblable aux dépôts d’or que les Anglais faisaient auprès des « Goldsmiths » avant la création de la Banque d’Angleterre. C’est-à-dire que c’est un dépôt dont le secteur bancaire est responsable. Cette catégorie de dépôt doit donc être intégralement remboursée. Sans cela on retrouvera de nombreuses paniques lors de la prochaine crise.

Ainsi le prêteur en dernier ressort devrait intervenir dans 3 cas : pour rembourser les insuffisances de dépôts en espèce , pour sauver les SIFI en déroute (application du « Too big to fail » surtout le jour où il y aurait une explosion des produits dérivés (les seules « Couvertures de défaillance ou Credit Default Swaps»  ont une position de 15 trillons de dollars sur un montant total d’échanges de 550 trillons. L’idée de protéger ce Marché en obligeant peu à peu les opérateurs à passer par des « chambres de compensation » est en soi une bonne idée. Malheureusement la principale « chambre de compensation » la « Depository Trust and Clearing Corporation ou DTCC » n’a que 3.500 millions de Dollars de Capitaux Propres. Aussi au G 20 de de Hambourg des 7 et 8 Juillet 2017, Mark Carney, gouverneur de la banque d’Angleterre a fait remarquer la faiblesse financière des chambres de compensation et a proposé d’étudier s’il ne faudrait pas les obliger à augmenter leurs fonds propres (le montant actuel est ridicule si l’on note que le FMI considère qu’il « suffirait » de 3 à 4 trillons pour assurer la protection de l’ensemble des produits O.T.C).

En outre on remet en cause l’accord de « résolution » dès que l’on s’aperçoit qu’il est trop dur et qu’il menace la structure économique d’un pays Ainsi l’Italie a sauvé deux banques régionales en faisant un apport de 17 milliards d’euros.

Conclusion

On voit ainsi :                                                        
 a) Que la politique de contrôle des banques devient de plus en plus tatillonne sans que l’on sache si elle se révèlera efficace au cours de la prochaine crise.                                                                  
 b) Qu’elle tente de plus en plus à gêner l’investissement et assure ainsi le développement de formes de financement beaucoup plus dangereuses comme la « banque parallèle / shadow banking »                                           
c) On découvre par ailleurs qu’il faut faire une distinction entre placements à risque (actions, obligations) et dépôts. On pourrait concevoir que les déposants à vue payent une commission mais soient totalement assurés de retrouver leurs fonds à la demande. Cela éviterait les « fuites en avant » dans l’avenir.
La « moralisation » du système bancaire devrait essentiellement consister à faire comprendre aux banquiers qu’ils sont un « Service » et non une «  Industrie » qui cherche à faire des profits au risque de les faire au détriment  du public.

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